Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

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jeudi 5 novembre 2015

Dimanche d'août - Domenica d'agosto, Luciano Emmer (1950)

Dimanche 7 août 1949 : des Romains prennent le chemin du lido d'Ostie. Une famille nombreuse, un couple de bourgeois et leur petite fille, une bande de jeunes à vélo s'apprêtent à parcourir les 80 kilomètres qui les séparent de la mer. Les cyclistes se glissent sur une plage huppée. Henri y rencontre Marcelle, les jeunes gens s'amourachent l'un de l'autre, pour découvrir en fin de compte qu'ils sont du même milieu social. D'autres ont dû rester en ville : Hercule, agent de police, est en faction. René se résout à commettre un vol pour reconquérir Lucienne, qui aime les voitures...

Dimanche d'août est une œuvre de transition marquant dans le cinéma italien le virage du néoréalisme vers le « néoréalisme rose ». Ce dernier terme désigne un mouvement qui vit les préoccupations sociales et la veine naturaliste du néoréalisme délaisser le drame pour la comédie, annonçant l’âge d’or de la comédie italienne amorcée à la fin des années 50 avec Le Pigeon (1958). Cette mutation est en partie dût aux deux coscénaristes emblématiques du film, Cesare Zavattini et Sergio Amidei. Le premier est bien sûr le collaborateur privilégié de Vittorio De Sica pour lequel il signera de grandes réussites tant dans sa veine néoréaliste initiale (Le Voleur de bicyclette (1948), Miracle à Milan (1951), Umberto D (1952)) que dans les grandes comédies à venir. Sergio Amidei est tout autant rattaché au néoréaliste dont il contribue à façonner l’imagerie pour Roberto Rossellini avec les scripts de Rome, ville ouverte (1945), Paisà (1946), Allemagne année zéro (1948) et Stromboli (1950). C’est précisément d’Amidei que vient l’idée et la construction du récit, lui qui avait déjà su insérer des éléments de comédie dans Rome, ville ouverte notamment. Luciano Emmer dont c’est est le premier film est quant à lui issu du documentaire et parviendra à un équilibre délicat entre cette tendance et la pure fiction en s’inspirant de la tradition des récits « de congés » comme le classique Lonesome (1928) de Paul Fejos – ouvertement cité lors de la scène finale - Les Hommes le dimanche (1930) de Robert Siodmak et Edgar G. Ulmer, Treno popolare (1933) de Raffaello Matarazzo ou le plus méconnu Weekend (1938) de Carol Reed dont il reprend notamment le récit choral.

Dimanche d’août constitue une véritable photographie de l’Italie d’après-guerre et à l’aube de la bulle économique des années 50. Le contexte du récit avec la récréation que constitue pour les protagonistes ce dimanche d’août prolonge donc la dureté de l’existence d’alors puisqu’il s’agit alors encore du seul jour de repos des travailleurs, de la seule possibilité de sortie familiale et/ou amoureuse. Ce rare moment de détente annonce pourtant l’essor futur de la société de loisir où avec le redressement économique du pays la relâche s’étendra au-delà du seul dimanche. Luciano Emmer inscrit ce passé douloureux, présent difficile et futur radieux par sa mise en scène où il use habilement de ces éléments de décors. La plupart des protagonistes délaissent ainsi Rome pour les plages d’Ostie dont le cadre ensoleillé abritait encore des combats quelques années plus tôt (les jeunes amoureux ne pouvant traverser une plage condamnée car encore minée, une ancienne barque de débarquement désormais reconvertie en plongeoir par les nageurs) et où se devine les symboles de l’hédonisme à venir avec les premiers scooters Vespa que l’on voit traverser l’écran. 

Le moyen de circulation est justement le moyen de caractériser le groupe de personnage, par sa classe d’âge, son rang social et leurs situations personnelles. Une famille nombreuse se charge tant bien que mal dans une voiture brinquebalante, des jeunes garçons vigoureux font le trajet en vélo, une jeune femme est emmenée dans une belle voiture par un prétendant nanti tandis qu’un couple mal assorti et leur petite fille prennent un train bondé. Les récits s'enchevêtrant sans les césures d'un film à sketches, c’est en les capturant dans le mouvement que Emmer caractérisent ses personnages. La famille bruyante, sa marmaille nombreuse et la corpulence des parents les inscrit dans une tonalité chaleureuse et populaire. Le peu de cas fait de la fillette par la « mère » et son caractère orageux nous laisse deviner qu’elle ne l’est pas justement lors du voyage en train et marque déjà la rupture annoncée avec le père plus attentif. 

Cette journée emprunte ainsi différents tons, restant subtilement dans la légèreté tout en esquissant un contexte plus difficile. Là encore Emmer s’appuie avec brio sur son environnement par cette séparation de la plage par un grillage plaçant les pauvres, leurs berges bondées et bungalows collectif d’un côté et les riches de l’autre avec jeux, espace dégagé et restaurants. La présence et la volonté de passer de l’un à l’autre côté du grillage définit les aspirations des personnages, même d’une façon faussement anecdotique. Les deux adolescentes passent ainsi en fraude du côté des riches pour des rencontres supposées plus intéressantes et la jolie Marcella (Anna Baldini) vivra un début de romance charmant avec Roberto (Massimo Serato jeune star montante de l’époque) usant du même subterfuge en se faisant passer pour un nanti. Ce jeu de rôle innocent prend une dimension plus sombre pour les usurpateurs déjà installés du bon côté, que ce soit Luciana (Elvy Lissiak) subissant les assauts d’un baron (Corrado Verga) pour une vague promesse de carrière artistique ou son petit ami laissant faire car dépendant et dont la rutilante voiture n’est qu’une façade.

Cette notion de séparation des classes et de renoncement fonctionne aussi selon que vous ayez la possibilité ou pas d’aller vous détendre en ce dimanche d’août. C’est donc par les laissés pour compte demeuré à Rome que se dévoileront les pans les plus ouvertement dramatiques de l’intrigue. Le récit de cet agent de circulation (Marcello Mastroianni dans un de ses premiers rôles, ne vous étonnez pas de ne pas reconnaître son timbre de voix puisqu’il est  doublé par Alberto Sordi) et de sa fiancée coincée dans cette ville fantôme montre la destinée incertaine des modestes employés et des faibles au sens large, ce court épisode dans un hospice associant les vieillards aux exclus de la sortie dominicale. 

Malgré l’adversité le couple garde pourtant espoirs quand la frustration en conduira d’autres à l’irréparable. L’ex-fiancé Renato (Mario Vitale) ayant vu son aimée partir avec le fameux possesseur du bolide va ainsi basculer dans le banditisme mais sans réussite. L’évasion du dimanche est une respiration qui n’estompe pas les difficultés mais ceux n’y ayant pas accès voient les leurs s’exacerber, comme un symbole de leur précarité. Luciano Emmer offre un passionnant kaléidoscope, allant du collectif à l’intime (annoncé par l’ouverture en aérien des plages avant de s’attarder sur les destins individuels) et offrant une ballade contrastée où la langueur estivale n’est jamais loin de la réalité du quotidien.  La candeur de la dernière scène esquisse cependant les lendemains plus lumineux du néoréalisme rose. 

Sorti en dvd zone 2 français chez SNC/M6 vidéo 

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