Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

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jeudi 26 février 2015

Poltergeist - Tobe Hooper (1982)

L'heureuse famille Freeling mène une vie tranquille et prospère dans la petite ville de Cuesta Verde. Cependant, leur maison devient le théâtre d'étranges phénomènes quand des objets commencent à se déplacer et que le sol se met à trembler. Une nuit, la petite Carol Anne disparaît et se met à communiquer avec ses parents à travers la télévision. Les Freeling font alors appel à un parapsychologue.

En cet été 1982, la schizophrénie de Steven Spielberg se dévoilait au grand jour avec la sortie d’E.T. qu’il réalisait et de ce Poltergeist qu’il produisait (voir un peu plus). Le cinéaste aura constamment hésité en ce début de carrière entre un sens du merveilleux fascinant et touchant (E.T., Rencontre du troisième type (1977) et un talent exceptionnel pour provoquer la terreur (Duel, Les Dents de la mer (1975)). Une dualité voir un dilemme qui court tout au long de sa carrière et qui donnera des œuvres bancales comme Jurassic Park (film tout public aux écarts gore inattendus) et bien sûr Indiana Jones et le temple maudit (1984) monument de sadisme qu’il reniera par la suite. Il faudra attendre les années 2000 pour qu’il parvienne à résoudre cette schizophrénie dans des films plus équilibrés et cohérent. Sortis à une semaine d’intervalle, E.T. et Poltergeist sont les revers d’une même pièce. Le cadre de banlieue pavillonnaire américaine qui fera le charme des futures productions Amblin sert donc l’introduction d’un élément surnaturel qui va bouleverser la vie d’une famille ordinaire. 

D’un côté un extraterrestre fragile, messianique et bienveillant, de l’autre des esprits frappeurs malfaisant. Spielberg a écrit le scénario de Poltergeist et a signé l’histoire d’E.T. (remise en forme par Melissa Mathison pour le script) et les deux films relèvent bien sûr du traumatisme que furent pour lui le divorce de ces parents à l’adolescence. Chacun des films s’affirme comme une réponse à cette douleur originelle. E.T. voyait un être venu d’ailleurs apaiser la solitude du jeune Elliott dans sa famille séparée, à l’inverse Poltergeist et sa menace de l’au-delà viendra se briser face à l’amour inconditionnel d’une famille soudée. E.T. est un des chefs d’œuvres de Spielberg, Poltergeist sera juste un efficace film fantastique à cause du manque de maîtrise de Tobe Hooper pourtant largement dépossédé de son pouvoir de décision sur le tournage.

De curieux phénomènes vont se faire jour dans le quotidien de la famille Freeling, vivant paisiblement dans la ville de Cuesta Verde, en pleine expansion immobilière. De mystérieux interlocuteurs semblent s’adresser à la cadette à travers un canal neigeux de la télévision, des objets se déplacent… Tout cela se déroule dans l’ambiance lumineuse, bienveillante et bleutée typique de Spielberg mais le malaise s’installe progressivement. Le film est très représentatif de la transformation du cinéma américain avec l’avènement des premiers blockbusters que sont Les Dents de la mer (1975) et Star Wars. Alors que sur des thèmes voisins un Rosemary Baby ose l’ambiguïté et le malaise dans une longue montée d’angoisse et que Friedkin ennuie volontairement dans sa première heure de mise en place avant de déchaîner l’enfer dans L’Exorciste (1973), Poltergeist pêche par sa peur du vide. 

Le script dégaine ses cartouches trop tôt à coup de péripéties spectaculaires (l’attaque de l’arbre, l’enlèvement de Carol-Ann et les multiples phénomènes physiques dû au poltergeist) et caractérise superficiellement la famille, trop parfaite (même si attachante) et du coup sans autre enjeu ni double lecture que celui du postulat de base. E.T. encore amenait une plus grande profondeur justement par la longue caractérisation de la famille meurtrie par le divorce et introduisait avec une grande finesse l’élément perturbateur qu’était ET (dont les scènes qui précède l'apparition comporte plus de mystère). Ici la famille est idéale et sans aspérité et il faut toute la conviction d’une excellente JoBeth Williams et la bouille attachante de Heather O'Rourke pour que l’émotion fonctionne. On se raccrochera à la critique sociale, rapprochant un peu l’ensemble à du Stephen King lissé quand on connaîtra les origines sordides de la prospérité immobilière de la ville.

Même problème côté peur puisque l’on est asséné sans interruption d’effet choc reposant plus sur les trucages que la mise en scène pour faire monter l’angoisse. L'horreur plus graphique et impressionnante n'est pas un mal en soi mais le tout est de savoir doser ses effets comme Carpenter su le faire magistralement avec The Thing. La touche contemplative de Spielberg fait mouche le temps de quelques apparitions spectrales mais dans l’ensemble c’est plus impressionnant que réellement terrifiant (et pour le coup on est plus proche du Tobe Hooper de Lifeforce (1985)) même si le final n’hésite pas dans la touche macabre, usant de vrais squelettes humains (un choix qu’on affirme être la cause de l’espèce de malédiction qui frappa certains membre du casting disparus dans des circonstances tragiques). 

Cet aspect « horreur tous public » fera le succès du film (qui connaîtra deux suites) et Spielberg sera le roi de cet été 1982 avec le triomphe de E.T. Un petit classique du fantastique 80’s donc (auquel les récent Insidious et Conjuring doivent tout) mais peut-être un peu surestimé, un remake doit sortir en 2015 et avec l’outil numérique le côté fête foraine risque d’être encore plus indigeste même si l’espoir est permis puis que le réalisateur est Gil Kenan, responsable du plus bel hommage à Amblin (bien plus que Super 8) avec le film d’animation Monster House (2006).

Sorti en dvd zone 2 français chez MGM

mercredi 25 février 2015

Empire Records - Allan Moyle (1995)

Joe Reaves tient une boutique de disques que le propriétaire veut revendre à une multinationale. Tous ses employés se mettent de la partie pour éviter de se retrouver au chômage...

Un film culte des 90's qui en ces temps de piratage et mp3 nous renvoie presque à une époque révolue avec cet évocation du quotidien d'un magasin de disque. Ces lieux incarne un espace de liberté et d'amusement pour ses jeunes employés y travaillant de longue date pour leur attachant et soupe au lait manager Joe (Anthony LaPaglia). Pourtant la menace de rachat d'une grande chaîne de magasin plane, avec une uniformisation qui provoquerait le renvoi assuré des personnalités loufoques qui s'y trouvent. Le début du film est particulièrement délirant avec Lucas (Rory Cochrane) le plus déjanté de tous les vendeurs allant parier la recette du jour à Atlantic City pour racheter la boutique. Il échoue bien sûr lamentablement et accélère le sursis du magasin dans une intrigue se déroulant dans une unité de temps et de lieux.

La boutique constituera un lieu de joyeuse anarchie où l'on découvrira les personnalités d'une attachante bande de personnages. L'excellente bande-son marquée rock indé 90's (The Cranberries, Evan Dando, Edwyn Collins...) est prétexte aux happenings les plus fous et inattendus auxquels participent gaiement les clients où l'on trouvera également quelques allumés comme le jeune voleur paumé Warren (Brendan Sexton). Pourtant la menace de fermeture et la disparition de ce refuge va amener les héros à s'interroger sur leur existence, à la morne vie et aux opportunités qu'ils fuient dans l'enceinte du magasin.

Un sentiment d'urgence plus intime se fait jour alors pour Cora (Liv Tyler) qui s'apprête à partir pour Harvard. Les attentes en apparence futiles des héros révèleront ainsi leur mal-être latent comme AJ (Johnny Whitworth) dessinateur en herbe qui a décidé sa flamme à Cora avant 13h37, alors que cette dernière a décidé de perdre sa virginité avec le rockeur bellâtre Rex Manning (Maxwell Caulfield en sorte de simili Michael Bolton en pire, clip affreux à l'appui).

Gina (Renée Zellweger) est une fille, facile, Debra (Robin Tunney méconnaissable en look façon Sinead O' Connor) a des penchants suicidaires et Joe rêve d'avoir son propre magasin. Le début du film en fait des pantins sauteurs et rigolard mais ils se doteront tous d'une profondeur plus intéressante au fil du récit qui délaisse son hystérie pour des moments plus intimistes. On reste cependant dans un registre léger et positif, les quelques éléments pouvant donner une tournure plus dramatique (Cora accro au speed) était évacué et les circonstances bienveillantes amenant une issue attendue.

Une œuvre attachante cependant, surtout devenue culte (après le génial Pump up the volume (1990) Allan Moyle est décidément un spécialiste) avec le temps en dépit de son échec initial et dont la plupart du casting sera promis à de belles choses par la suite. Avec High Fidelity, un des films qui donne le plus envie de travailler dans un magasin de disque, enfin quand il en existait encore.

Sorti en dvd zone 2 français chez Warner

mardi 24 février 2015

Violette et François - Jacques Rouffiot (1977)

Violette vit avec François, un jeune homme instable. Ils volent dans les grands magasins, autant pour assurer leur subsistance que par jeu antisocial...

Durant les années soixante-dix, le scénariste Jean-Loup Dabadie triomphe en signant les scripts de grands succès populaires, en particulier pour Yves Robert (Salut l’artiste (1973), le diptyque Un éléphant ça trompeénormément/ Nous irons tous au paradis (1976, 1977) et Courage fuyons (1979)) et Claude Sautet (Les Choses de la vie (1970), César et Rosalie (1972), Vincent, François, Paul... et les autres (1974) et Une histoire simple (1978)). Entre ces grosses machines, il décide de s’accorder une « parenthèse enchantée » avec  le scénario-roman de Violette et François. Trop sérieux pour Yves Robert et à l’inverse pas assez grave pour Sautet, Violette et François recèle néanmoins une continuité avec les films que Dabadie écrivit pour eux avec cette figure d l’adulte inadapté à la vie, mal dans son quotidien. Pour faire court le romantisme joyeux et tourmenté de César et Rosalie côtoie le spleen de Vincent, François, Paul... et les autres. Jacques Rouffiot dont c’est le troisième film sera un choix étonnant tant ces œuvres précédente semblent éloignées de cet univers (L'Horizon (1967) et Sept morts sur ordonnance (1976)) mais saura donner un résultat poignant.

Violette (Isabelle Adjani) et François (Jacques Dutronc) sont deux jeunes gens qui s’aiment d’un amour passionné et orageux. La violence des séparations est à la mesure de l’ardeur des retrouvailles, leur environnement s’estompant alors y compris leur bébé. Sans vraie trame directrice, le récit est hésitant à l’image du quotidien sans but des personnages. Leur fougue juvénile et insouciance est progressivement rattrapé par les obligations ordinaire de l’âge adulte : trouver un travail, un logement stable, se nourrir au quotidien…

Notre couple n’y semble pas préparé mais pendant un temps n’en a que faire, jusqu’à un éveil progressif et douloureux aux réalités. Jacques Dutronc est excellent avec ce personnage reflet de sa propre désinvolture goguenarde mais frappé d’une mélancolie et vulnérabilité qu’aura toujours su dissimuler la star. C’est un vrai être romanesque qui dépérit peu à peu face à l’insignifiance de la vie « normale » et des boulots minables qu’il ne garde pas bien longtemps. Dès lors la seule aventure, la seule adrénaline qu’il peut ressentir se déroulera lors de ses vols à l’étalage en magasin. Isabelle Adjani est aussi expressive et tourmentée que Dutronc sera secret et taiseux, une boule d’émotivité à vif. Dans cet élan passionné, elle suivra un temps son compagnon dans ses larcins. 

Jacques Rouffiot apporte une atmosphère et un tempo très particulier au récit. Le ping pong verbal, les gags et la complicité charnelle du couple rythme le début du film. Lorsque la médiocrité ordinaire s’installe la présence de l’autre ne suffit plus et sa caméra suit avec une certaine virtuosité et en instaurant une vraie tension les vols du couple, tout en restant très ludique. Ce besoin d’artifice extérieur signe pourtant leur éloignement inexorable tant cette exaltation n’est pas partagée, et surtout dangereuse. Rouffiot par son montage inventif amène aussi une énergie très inventive à son film. La scène d’ouverture donne le ton avec Violette quittant avec fracas son travail, le découpage saccadé lorsque François est pour la première fois près de se faire arrêter conforte ce côté ludique, ce sentiment d’ivresse associé au couple (le quasi insert qui montre la rupture de Violette d’avec sa famille nantie pour François). 

Plus les vols se substituent à une vraie vie de famille apaiser, moins leur mise en image se fait virtuose, avec pour le dernier méfait une simple course poursuite en François et deux policiers en magasin. Cela semble aussi signer le point de non-retour pour nos amoureux. Sous la romance contrariée, le film fait un constat social assez visionnaire sur la société de consommation. Si les premiers vols concerne l’alimentation et une volonté de subsister, tous les autres seront totalement gratuit, « pour le sport » en quelque sorte et visant des objets luxueux et ou à la mode : parfums, premiers walkman du marché, diamant de platine vinyle.

Rien d’indispensable donc mais le vol en lui-même permet de se sentir vivant et posséder ses divers objets d’exister. Un destin peut viable sur la longueur et qui conduira le couple dans le mur. Une œuvre délicate où l’on sent la filiation avec les titres cités plus haut, mais qui par ses héros juvénile, son ton percutant et son milieu modeste trouve sa propre voie avec brio.

Sorti en dvd zone 2 français chez Tamasa

Extrait

lundi 23 février 2015

La Conspiration - Conspiracy of Hearts, Ralph Thomas (1960)

En Italie, pendant la Seconde Guerre mondiale, les nonnes d'un couvent aident des enfants juifs à s'échapper d'un camp de concentration. Mais des soldats allemands vont prendre la relève de la garnison italienne en charge du camp...

Conspiracy of Hearts est une œuvre humaniste puissante célébrant l'héroïsme de religieuses durant la Seconde Guerre Mondiale. L'histoire se déroule en Italie et une introduction quasi documentaire se charge de nous illustrer le contexte d'alors. Mussolini de plus en plus affaibli et soumis à son allié Hitler se voit destitué par son peuple. L'Italie sous occupation allemande se voit alors déchirée par le combat entre les anciens alliés, les partisans italiens menant la vie dure aux allemands qui disposent pourtant encore de l'allégeance d'une partie de l'armée italienne. Les affrontements causeront des morts nombreuses décimant les familles et créant de nombreux orphelins où parmi eux les juifs seront évidemment envoyés en camp de concentration. L'un d'eux en campagne avoisine un couvent où les nonnes menées par la Mère supérieure Catherine (Lili Palmer) font régulièrement évader des enfants juifs qu’elles font sortir du pays. Le chef de camp italien Spoletti (Ronald Lewis) les laisse tacitement faire mais tous va basculer avec l'arrivée d'une garnison allemande bien plus impitoyable.

L'ouverture aura servi à nous dresser l'équilibre des forces en présence mais le reste s'avère beaucoup plus flou et pas forcément réaliste quant à la région d'Italie où se passe le récit, la topographie du camp de prisonnier à peine esquissé et les méthodes d'évasions parfois un peu simples (même l'accord tacite et la garde auprès d'enfant est sans doute supposé moins étroite). Ce qui intéresse Ralph Thomas, c'est le questionnement humaniste de ces nonnes qui risquent ainsi leurs vies. Pour certaines comme Mère Catherine ou la novice Sœur Mitya (Sylvia Syms) ce devoir est inné même si elles s'interrogent chacune à leur échelle : Catherine sur sa responsabilité dans les risques qu’elle fait prendre à ses sœur et Mitya sur les élans amoureux de son cœur car sa vocation n'est pas totalement affirmée. D'autres enfermées dans le dogme religieux mais ne sachant voir au-delà sont contrariées par cet héroïsme forcé tel Sœur Gerta (Yvonne Mitchell).

Le propos est subtil et malgré leurs actions louables le scénario n'en fait pas des saintes immaculées mais des femmes qui s'interrogent et craignent pour leur vie. La même finesse s'impose également dans la description de l'ennemi allemand. Si l'on a un sous-fifre nazi sadique et typique avec le Lieutenant Schmidt (Peter Arne détestable à souhait), le Colonel Horsten (Albert Lieven) s'avère plus complexe. Guère porté sur le fanatisme et l'idéologie nazie, il sera toujours pragmatique dans sa volonté d'exécuter le plus efficacement les ordres mais le moment venu s'avérera aussi impitoyable tout en semblant toujours regretter les exactions auxquelles il est contraint.

Le film dresse ainsi ce portrait contrasté tout en ménageant de sacré moments de suspense dans les stratagèmes qu'emploient les nonnes pour faire sortir, cacher et évacuer les enfants au nez et à la barbe des nazis. Là aussi les enfants ne sont pas de simple figure angélique sans parole à sauver, le traumatisme, le reniement de soi et la peur de ceux-ci étant longuement exposée dans des moments douloureux (cette fillette qui a oublié son prénom et ne pense plus que mériter le sobriquet de "saletés de juive"). La scène où les nonnes les autorisent à célébrer le Yom Kippour et où ils fondent en larmes au moment d'écrire le nom de leurs disparus est un vrai déchirement.

Malgré le danger, le film garde presque un aspect ludique par l'ingéniosité de ces nonnes mais une dernière demi-heure insoutenable voit la réalité les rattraper et l'inhumanité nazie se faire jour, l'habit religieux ne constituant plus un rempart suffisant à la barbarie. Captivant de bout en bout, fin et poignant une grande réussite portée par une Lilli Palmer habitée (le fait qu'elle ait dû fuir l'Allemagne nazie avec sa famille car ils étaient juif contribue sans doute à la vérité de son interprétation). Le public anglais plébiscitera le film, en faisant un des cinq plus gros succès de l'année.

Sorti en dvd zone 2 français chez Elephant Film

dimanche 22 février 2015

L'Amant - Jean-Jacques Annaud (1992)

L'Indochine, dans les années 1930. Une Française de 15 ans et demi vit avec sa mère, une institutrice besogneuse, et ses deux frères, pour lesquels elle éprouve un étrange mélange de tendresse et de mépris. Sur le bac qui la conduit vers Saïgon et son pensionnat, elle fait la connaissance d'un élégant Chinois au physique de jeune premier. L'homme a l'air sensible à son charme et le lui fait courtoisement savoir. Elle accepte de le revoir régulièrement. Dans sa garçonnière, elle découvre le vertige des sens. Il est follement épris, elle prétend n'en vouloir qu'à son argent.

Le récit initiatique se sera toujours conjugué au vrai dépaysement dans le cinéma de Jean-Jacques Annaud. Pour ce grand voyageur, l’environnement constitue constamment un moteur de l’intrigue, que ce soit par les contrées parcourues mais aussi leurs influences sur les émotions de ses personnages. Du coup hormis Coup de tête (1979) au cadre et sujet bien contemporain, chacun de ses films nous emmènera dans un passé plus ou moins éloigné, nous fera visiter des lieux inédits et saura nous faire adopter les points de vue les plus inattendus dans des œuvres comme La Victoire en chantant (1976), La Guerre du Feu (1981), Le Nom de la Rose (1986) ou L’Ours (1988) pour en rester à ses premiers succès où il aura su y exprimer une sensibilité épique, ethnologique et humaniste. Les quelques entorses à l’ouvrage d’Umberto Eco avait cependant laissé deviner une fibre romanesque inexploitée avec l’évocation des premiers émois du jeune moine joué par Christian Slater, que ce soit l’étreinte furtive ou la dernière rencontre du personnage avec sa tentatrice – moments absents du livre. Avec son cadre exotique et son évocation de la France coloniale déjà abordé dans La Victoire en chantant, L’Amant de Marguerite Duras posait des bases attrayantes pour le réalisateur tout en l’emmenant sur un terrain inconnu. Dans ce roman autobiographique, Marguerite Duras narrait son adolescence dans l’Indochine française et notamment sa découverte du sexe à travers la liaison scandaleuse qu’elle entretiendra avec un riche chinois.

Claude Berri, connaissant l’envie d’Annaud de traiter d’un récit au féminin va donc lui en proposer l’adaptation en 1987. Annaud va lire l’ouvrage à cette occasion et bien que captivé il refusera l’offre dans un premier temps. Après la collaboration idéale d’Umberto Eco pour Le Nom de la Rose, il sait bien qu’il ne revivra pas une expérience aussi réussie avec un auteur et surtout pas – la suite le confirmera – avec la réputée difficile Marguerite Duras. Finalement l’attrait pour cette histoire sera trop fort et Annaud accepte le projet. Entre les échanges instructifs mais orageux avec Marguerite Duras, la longue quête des interprètes idéaux (la production recevra près de 1000 lettres par jour pour le rôle remporté par Jane March) et la lourde logistique à mettre en place pour le tournage au Vietnam, la production sera de longue haleine. Les aveux et/ou points de blocage lors des discussions avec Duras ainsi que la découverte du cadre vietnamien (où certains lieux de la véritable histoire existent toujours dans ce Vietnam pas entré dans la modernité, ainsi que des survivants qui apporteront leurs points de vue) permettront à Annaud d’acquérir une vision personnelle, forcément opposée à celle de l’auteur. 

L’adaptation de Jean-Jacques Annaud s’avère à la fois très fidèle tout en étant une trahison du roman. Si la relation avec le Chinois était bien sûr le fil conducteur, la narration en était plus flottante. La voix de Marguerite Duras y naviguait dans son intime entre passé, présent et futur, cette « romance » étant le moteur d’une histoire de famille tumultueuse et complexe. L’émoi du présent et l’éveil aux sens de la jeune fille se mêlaient au regret, à l’amertume et nostalgie pour ce passé. Le lecteur novice pouvait autant s’y impliquer dans une vraie immédiateté par la romance (ce qui explique l’immense succès du roman) que l’afficionado de Duras qui y verrait les liens avec d’autres ouvrages autobiographiques, notamment Barrage contre le pacifique – expliquant notamment la situation financière précaire de la famille. 

Une adaptation littérale aurait été possible et aurait sans doute donné un film intéressant. Seul souci, le résultat aurait certainement été très proche d’un des travaux les plus fameux de Marguerite Duras, le scénario de Hiroshima mon amour (1959). On peut imaginer qu’elle avait déjà L’Amant en tête à l’époque et usa du poème filmique d’Alain Resnais pour développer certaines idées narratives. Jean-Jacques Annaud simplifiera cette structure tout en conservant tous les éléments du roman. La voix-off de Jeanne Moreau effectuera le pont entre passé et présent, visible simplement à l’écran – et de façon un peu trop démonstrative en noir et blanc stylisé et factice  – durant les prologues et épilogues rappelant la source littéraire du film. Ce qui l’intéresse avant tout, c’est la passion fiévreuse dans cette Asie coloniale. 

L’histoire d’amour n’existe réellement qu’à travers cet artifice. La jeune fille (Jane March) représente dès sa première apparition, accoudée à la passerelle d’un bateau, une image d’innocence et une promesse de sensualité. La moue boudeuse et le teint de pêche exprime à la fois la candeur enfantine et la séduction féminine. Annaud a également pris soin de cerner cette dualité dans sa tenue vestimentaire, sa robe de tissu grossière étant propice aux vadrouilles et mouvements brusque de l’enfant qu’elle est encore, mais épousant avec volupté les formes de la femme qu’elle est en train de devenir. Le chapeau d’homme s’arbore dans un air de défi, les chaussures à talon pailletées comme un appel et une provocation. Tous ces éléments conjugués lui confèrent un air de nymphe inaccessible d’autant plus prononcé qu’elle se trouve dans un bateau grouillant d’autochtones la ramenant à sa pension. 

Annaud par sa caméra caressante nous fait ainsi partager le point de vue du Chinois (Tony Leung Ka-Fai), troublé par cette jeunesse sensuelle qu’il observe de l’intérieur de sa voiture. La première rencontre et même l’ensemble du film affichera donc ce paradoxe : l’adolescente inexpérimentée menant le jeu, insensible, face à un adulte fébrile et éperdument amoureux. Le désir coupable est double pour l’amant avec l’attrait pour cette très jeune fille qui est aussi une blanche. De la même façon la séduction est ambiguë pour la fille. Le Chinois ne semble qu’un instrument du défi qu’elle lance à sa famille et à cette aristocratie coloniale qui les a rejeté. Tout ne fonctionne ainsi que par la symbolique, la garçonnière théâtre de leurs étreintes se trouve dans le quartier pauvre et mal famé de Cholon et un dialogue souligne le train de vie oisif du Chinois, n’existant finalement que pour donner à la jeune fille « la jouissance qui fait crier ».

La reconstitution méticuleuse (ramenant certains lieux à la vie comme le vrai pensionnat où séjourna Marguerite Duras), le dépaysement envoutant et les vues majestueuses confirment le sens visuel de Jean-Jacques Annaud mais sont également un trompe-l’œil à un envers bien plus cruel dans le rapport entre colons et colonisés. La relation entre la jeune fille et le Chinois est donc une aberration dont un amour sincère ne peut être la source. La scène de dîner avec la famille où le Chinois paie la note est saisissante de noirceur, les blancs déchus et nourris par leur supposé inférieur se montrant d’un mépris révoltant pour compenser leur honte. Bienfaiteur soumis et expression de son émancipation insolente pour la fille, le Chinois semble donc reproduire ce schéma colonial et la relation ne reposer que sur un attrait intéressé. Une dualité qui concerne réellement Marguerite Duras dont le dénuement initial guidera son attitude future entre son art et des préoccupations bassement pécuniaire – Annaud révèlera que lors de ses visites le seul ornement de son appartement était un tableau détaillant ses chiffres de vente. 

C’est par les pourtant très décriées scènes charnelles que Jean-Jacques Annaud va dépasser ce postulat cynique. L’eau est un leitmotiv constant de désir tout au long du film, symbolique d’abord avec ce bateau dérivant sur les rives du Mékong durant la première rencontre. Les peaux moites de sueurs et d’appréhension trahissent autant ce désir que les regards à la dérobée pendant le trajet en voiture et enfin l’humidité sera palpable dans l’intimité de la garçonnière après leurs ébats. 

Ce motif de l’eau trahi la sincérité de l’émoi des amants tandis que la séduction même dans ses plus beaux moments (sublime effleurement de doigts dans la voiture ou encore le baiser sur la vitre de Jane March magnifié par le superbe thème romantique de Gabriel Yared) semble encore distiller ce doute, semblant toujours un jeu pour l’adolescente. A l’inverse il dévoile aussi les passions et souvenirs néfastes de la famille : la pluie battante alors que se révèle les relations fraternelles torturées, où l’aveu de la ruine familiale de Jane March au Chinois face à la fameuse barrière contre le pacifique.

L’abandon lors des scènes de sexe sera donc le révélateur du réel amour du couple. Moins nombreuses que ce que la réputation sulfureuse du film laisse croire, elle se dessine en fait en trois temps. La crainte, l’appréhension et la curiosité se ressentent lors de la première étreinte. Le jeu et le calcul s’estompent - Jane March très entreprenante face à un Tony Leung n’osant franchir le pas – la fille découvrant une des émotions inconnues tandis que le Chinois oublie ses inhibitions. Les corps se jaugent, se palpent et s’unissent avec une infinie délicatesse dans une scène à la lenteur savamment calculée avançant au rythme des percussions en écho de Gabriel Yared. Ce moment fonctionne grâce à la réelle appréhension des acteurs, Jane March dix-huit ans à peine n’ayant pas l’expérience - dans la vie et encore moins au cinéma pour ce qui est son premier rôle - d’une telle intimité et Tony Leung n’étant guère habitué à ce type de séquence à Hong Kong. 

Après la découverte de ces nouvelles sensation et du corps de l’autre, on n’espère plus que de les retrouver au plus vite, ce qu’exprimera parfaitement l’urgence de la seconde scène de sexe capturée en un long plan fixe où le lit aura semblé bien trop éloigné par cette hâte de s’aimer. Enfin, la dernière scène témoigne désormais de la complicité érotique entre les amants, de leur parfaite connaissance dans la gestuelle où ils domptent désormais la montée de leur désir et Annaud ne filme plus au final que des chairs palpitantes de plaisir. Les différences d’âge, de races et de milieux s’estompent dans ces instants qui feront fulminer une Marguerite Duras préférant qu’ils ne soient pas explicites. Pourtant au-delà des mots de l’auteur, Annaud exprime une émotion palpable dont ces moments osés sont les déclencheurs, comme cette larme que versera Jane March dans la solitude de son lit en pension après sa première fois.

En dehors de ces moments isolés, le rapport redevient superficiel en public et le doute se réinstalle. Le jeu espiègle de Jane March montre un détachement juvénile auquel la ponctuation mélancolique de la voix-off de Jeanne Moreau – ex-amie de Marguerite Duras qui acceptera la proposition d’Annaud pour faire enrager cette dernière – amènera un contrepoint constant. Néanmoins la violence et l’influence de ce monde extérieur, l’hypocrisie qu’il entraîne (la fameuse séquence du dîner avec la famille) va les séparer progressivement. Les scènes de sexe qui les voyaient se rapprocher sans fard disparaissent et paradoxalement ce sont dans les scènes où ils s’observent à distance que la sincérité des sentiments se révèlera.
D’abord dans la somptueuse séquence de mariage où l’agitation ambiante s’estompe par seul force de leur échange de regard. Le rapprochement et la séparation s’exprime dans ce même moment, tout comme la scène d’adieu faisant écho à l’ouverture. Accoudée à la passerelle du paquebot l’emmenant loin d’Indochine, la jeune fille devine le regard insistant de son amant sur quai et c’est définitivement séparé de lui qu’elle s’avouera avoir réellement aimé son amant des antipodes. Au plus près ou au plus loin, là seulement la romance peut fonctionner mais surtout pas au quotidien où les regards inquisiteurs de leur communauté peuvent se poser sur eux. Le motif de l’eau accompagnera une fois de plus cette séparation, à travers le Mékong éloignant désormais le couple et les larmes que laissent enfin couler Jane March. 

Si cette dernière fut la grande révélation du film - malheureusement guère confirmé par la suite – on saluera la performance de Tony Leung Ka-Fai dont la beauté aristocratique sait révéler les fêlures de l’amoureux tourmenté – et s’avère en fait plus incarné et touchant que son équivalent papier. Une belle adaptation donc que l’approche esthétisante de Jean-Jacques Annaud soumettra à une critique sévère mais n’empêchera pas le succès. Evidemment mécontente, Marguerite Duras donnera sa réponse en donnant une variation/relecture avec L’Amant de la Chine du nord à la manière du film qu’elle aurait imaginé.

 Sorti en dvd zone 2 français et bluray chez Pathé

jeudi 19 février 2015

La Garce - Beyond the Forest, King Vidor (1949)

Rosa Moline, l'épouse d'un médecin d'une petite ville, a pour amant un homme d'affaires de Chicago, Neil Latimer, qu'elle retrouve les week-ends dans sa luxueuse villa en bordure du lac. Ce dernier devant retourner à Chicago, Rosa décide de le rejoindre. Elle est cependant éconduite, Latimer devant épouser une autre femme. Rosa revient chez son mari et découvre peu après qu'elle est enceinte. Le docteur Moline, pensant être le père, est ravi et espère pouvoir enfin s'attacher sa femme.

Parmi les personnages récurrents de la filmographie de King Vidor, on trouve souvent la figure du héros ambitieux, orgueilleux et prêt à surmonter tous les obstacles pour atteindre son but. Dans Une Romance Américaine (1944), cela s'exprime par l'ascension sociale et l'intégration dans l'expression du rêve américain de l'émigrant déterminé joué par Brian Donlevy qui deviendra un magnat de l'industrie impitoyable. Dans Le Rebelle (1949), cela prend une dimension presque abstraite avec le personnage d'architecte incorruptible de Gary Cooper, expression de la philosophie de l'objectivisme chère à Ayn Rand. Lorsque Vidor fait endosser cette idée à des personnages féminins, cela prend un tour souvent captivant. Soir de noce (1935) révèle une héroïne sacrificielle condamnée à voir ses rêves d'émancipation se briser, Duel au soleil (1946) et La Furie du désir (1953) portée par une fiévreuse Jennifer Jones donne un tour à la fois épique et intimiste à cette quête d'ailleurs.

La Garce s'inscrit dans ce cycle, le personnage de Bette Davis pouvant être vu comme voisin de la Barbara Stanwyck de Stella Dallas (1937). Grande différence cependant, le destin et le tempérament impétueux de ces différentes héroïnes causaient leur pertes mais elles n'en restaient pas moins touchante dans leur quête. La Garce est au contraire un pu diamant noir servi par une Bette Davis inhumaine et prête à toutes les bassesses pour servir ses ambitions.

Les premières images nous montrent des visions bucoliques d'une petite ville ouvrière du Wisconsin, sa nature paisible, son usine prospère. Un havre de paix pour la plupart de ces habitants, un enfer et une prison à ciel ouvert pour d'autres comme la fière Rosa Moline (Bette Davis). Epouse d'un modeste médecin de campagne (Joseph Cotten), elle ronge son frein avec une fureur difficilement contenue. Le scénario (adapté du roman de Stuart Engstrand) ôte toute idée d'empathie pour Rosa et son ennui provincial éventuellement compréhensible qui en aurait une Madame Bovary moderne. Sa perfidie s'exprimant encore à petit échelle dans ses manœuvres pour retrouver son amant (David Brian), le mal latent qu'on devine en elle (ce moment où elle abat sans raison un porc-épic au fusil) nous la rend immédiatement détestable.

Bette Davis, allure provocante, visage dédaigneux et traits constamment altérés par le dépit est extraordinaire, dégageant une dangereuse sensualité. Le problème est que cette émancipation espérée s'avère très superficielle, ne reposant que sur l'apparat et les signes de richesse, l'amant étant bien sûr un riche homme d'affaire et le long moment où Rosa touche envieuse le manteau de vison d'une autre femme étant terriblement révélateur.

Les actions de Rosa seront à la hauteur de la vacuité de son rêve avec nombre de moment particulièrement choquants : adultère humiliant, meurtres et tentative d'infanticide ne seront guère sources de remord pour elle. Vidor fait à de nombreuse reprise l'analogie entre le feu intérieur dévorant de Bette Davis et celui de la cheminée de l'usine de la ville. Cela s'exprimera dans un premier temps par l'association d'idée, puis par un montage alterné et enfin un plan où la cheminée incandescente et la silhouette fébrile de Rosa occupent simultanément l'image.

Ce rapprochement graduel correspond aussi aux étapes que franchit Rosa dans l'abjection et il faut tout le charisme de Joseph Cotten et la subtilité de Vidor pour éviter à l'ensemble de trop basculer dans le Bette Davis show. Cette escalade dans la noirceur correspond ainsi au point de non-retour franchit par le personnage qui après nous avoir révulsé va en devenir pathétique dans un incroyable final. Voyant son rêve lui échapper et après avoir fait tant de mal aux autres pour y parvenir, Rosa en devient pathétique avec un chemin de croix final lourdement appuyé par la mise en scène de Vidor et la musique de Max Steiner. Un film puissant et un King Vidor qui éclaire ses thèmes récurrents d'une saisissante noirceur.

Sorti en dvd zone 2 français chez Warner

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