L'histoire se déroule en 2029 dans un monde futuriste
cyberpunk et nous fait suivre les aventures de Motoko Kusanagi, dite « major »,
et Batou, deux cyborgs appartenant à une unité spéciale du gouvernement (la
section 9, anti-terroriste) qui essaient de capturer le pirate informatique le
plus dangereux et insaisissable au monde, connu seulement sous le pseudonyme de
Puppet master (« le marionnettiste »). Cette traque se fait sur un fond de
guerre des services avec la section 6, qui s'intéresse elle aussi au Puppet
master dans le cadre d'un projet mystérieux, le « projet 2501 ».
Ghost in the Shell reste sans doute l’œuvre maîtresse de Mamoru Oshii, un jalon essentiel du courant cyberpunk et tout simplement un classique de la science-fiction. Oshii avait emmené l’animation japonaise dans l’âge adulte avec Patlabor (1989) et Patlabor 2 (1993), tant dans la mise en scène que par l’ambition du traitement entre polar technologique et politique-fiction. Cependant les deux films par leurs velléités réalistes étaient dénués - si ce n’est par le sens de l’atmosphère du réalisateur - du vertige existentiel des œuvres les plus personnelles d’Oshii, que ce soit L’œuf de l’Ange (1985) ou Lamu : Beautiful Dreamer (1984). Patlabor avait permis à Oshii d’imposer son style dans une production exigeante et grand public au sein de la structure collective Hedgear réunissant des collaborateurs par la suite indissociables de son nom comme le scénariste le scénariste Kazunori Ito ou le compositeur Kenji Kawai. Patlabor 2, plus complexe et moins porté sur l’action montrait donc un Oshii pousser plus loin sa dimension réflexive et introspective. Ghost in the Shell lui offre un écrin idéal croisant la rigueur des Patlabor et la nature plus étrange et insaisissable qui le caractérise.
Le scénario adapte la trame la plus fameuse du manga éponyme de Masamune Shirow, celle opposant la Section 9 à l’insaisissable criminel Puppet master. Dans un futur proche, le monde est de plus en plus connecté au point de susciter une véritable mutation de l’humain désormais « dopé » par des implants le reliant en permanence au réseau. A ces nouvelles possibilités répond donc également une criminalité nécessitant une autre forme d’opposition à travers la Section 9. Motoko Kusanagi est un cyborg mêlant corps artificiel et cerveau humain dont l’enquête sur le Puppet Master va réveiller les questionnements sur ce qu’elle est vraiment. Oshii développe tout d’abord la facette cybernétique de son héroïne à travers ses facultés surhumaines. Ce sera dans l’action où la précision chirurgicale, la vélocité et l’art du camouflage de Motoko sont remarquablement mis en valeur dans des morceaux de bravoures virtuose. Cette déshumanisation s’exprime aussi dans l’approche plus contemplative et typique d’Oshii. L’ouverture montrant la silhouette de l’héroïne dominant l’urbanité nocturne souligne ainsi la distance qui la sépare des hommes – auquel elle ne se mêlera que pour déployer ses capacités. De même le générique montrant la chaîne de fabrication d’un cyborg appuie cette idée.
C’est lorsque le rythme se ralenti et que Motoko s’isole de son environnement que cette humanité peut discrètement ressurgir. Le réveil solitaire où son ombre se dessine face à la lumière du jour évoque un vide plutôt que la distance évoquée précédemment. La scène de plongée perdant sa silhouette dans l’immensité des profondeurs exprime ce besoin d’oubli de soi où la machine affutée laisse place à la femme en plein doute. Le film - contrairement au manga, aux séries télévisées ou à la version live à venir – ne dévoile rien de la possible vie humaine ayant précédée pour Motoko, son attitude taciturne signifiant tour à tour la froideur du cyborg ou l’introspection d’un être qui se cherche. L’interaction avec les autres personnages contribue à l’empathie, notamment un Batou de même constitution cybernétique mais se posant nettement moins de question – au point d’en plaisanter par cette réplique Togusa, seul partenaire humain de la Section 9 : « T'es le seul avec Aramaki dont le corps n'est pas sous garantie... ».
Le chara-design appuie tout à la fois les formes féminines marquées de Motoko tout en soulignant plusieurs fois l’aspect massif – et donc artificiel – de son corps avec un environnement (échafaudages, rebords d’immeuble) s’effritant sous son poids notamment lors de la poursuite urbaine. Les héroïnes charnues de Masamune Shirow et l’imagerie sexy qui les entoure sont escamotées par Mamoru Oshii qui n’érotise jamais une Motoko dont la nudité va de pair avec sa fonctionnalité de camouflage thermique. Pourtant Batou fait plusieurs le geste de la recouvrir d’un manteau, l’indifférence de Motoko soulignant son inhumanité tandis que la prévenance de son collègue lui redonne la pudeur qu’on rattache à une femme. Mais peut-elle seulement aspirer à autre chose, elle dont l'entretien de couteuse technologies dépend de ses employeurs ?
Ces doutes sur qui définit un être humain se ressentent de façons diverses. Les longues plages contemplatives portées par les complaintes et percussions hypnotique du score de Kenji Kawai nous perdent sans but dans cette cité futuriste. Le croisement entre esthétique cyber à la Blade Runner et urbanité plus pittoresque (avec ces écrans publicitaires intégrés à une architecture plus rustique, les prémisses d’images 3D numérisant les différents pans de la ville), la dualité entre building high-tech et quartier populaire, tout cela est également une façon par la seule image de montrer ce futur coincé entre passé et progrès – et reflétant par la même les doutes de Motoko qui s’y perd sans but. Notre héroïne constitue ainsi le revers d’une même pièce avec le Puppet Master. Intelligence artificielle immatérielle s’éveillant à la conscience, il s’oppose à Motoko et la complète, elle qui malgré son corps partiellement humain s’interroge sur sa vraie nature.
Le « ghost » soit l’âme qui relie l’homme à la machine ne repose donc pas sur un statut physique figé mais par un questionnement et une volonté de s’incarner dans un tout définissant son être. Ce plan d’ensemble puis ce lent travelling avant révélant la nouvelle entité joue de cette ambiguïté, l’image évoquant autant la marionnette que le visage rajeuni de Motoko pour affirmer la fusion de ces identités contraires et complémentaires. Place à un être nouveau, à l’enveloppe physique et à l’esprit réconciliés pour une mutation l’emmenant plus loin que l’humanité. La redite de la scène finale avec l’ouverture où Motoko domine la ville n’évoque donc plus un fossé face à ce monde mais une impatience à s’y fondre. Des possibilités infinies et fascinantes mais peut-être pas totalement comblées dans un Ghost in The Shell 2 : Innocence (2004) formellement époustouflant mais sans doute trop hermétique.
Sorti en dvd zone 2 français et bluray chez Anime
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