Comment Sarah et
Victor ont-ils fait pour se supporter pendant plus de 45 ans ? Qui était
vraiment cette femme énigmatique vivant dans l'ombre de son mari ? Amour et
ambition, trahisons et secrets nourrissent cette odyssée d'un couple hors du
commun, traversant avec nous petite et grande histoire du dernier siècle.
Auteur à succès au théâtre et trublion télévisuel gentiment provocateur,
Nicolas Bedos ne voyait dans ses expériences que des étapes pour sa réelle
obsession : le cinéma. Monsieur et
Madame Adelman témoigne ainsi de son humour et irrévérence bien connus,
mais également d’une tendresse qui surprendra ses détracteurs. Le projet naît
au départ d’improvisations de plus en plus longues et élaborées que se plaisent
à mener Nicolas Bedos et sa compagne Dora Tillier. Devant l’inventivité de la matière
accumulée, le duo passent à l’écriture en constituant à partir de toutes les
situations et personnages créés un fil rouge sur le couple. Le scénario est
commun et Nicolas Bedos apportera plus spécifiquement sa patte aux dialogues.
Ce récit courant sur près de 45 ans est une sorte de pendant français à des
grands classiques du genre comme le Voyage à deux (1967) de Stanley Donen ou encore le Mariage à l’italienne (1964) de Vittorio De Sica. On y retrouvera
ce mélange tendre et vachard explorant la passion, l’incompréhension et la
rancœur constituant les hauts et les bas du couple à travers une sur une
société changeante.
Le film trouve sa voie par l’angle singulier abordé. Le
point de départ est l’enterrement du célèbre écrivain Victor Adelman (Nicolas
Bedos) et des confidences que suscite cette disparition à sa compagne de toujours, Sarah (Dora
Tillier). La question sera la place de l’épouse dans la réussite du grand
homme : muse stimulant la création, amante apaisante favorisant
l’inspiration ou présence aussi rassurante qu’invisible ? La réponse sera
plus complexe que cela et ne ménage aucun des deux personnages. Nicolas Bedos
s’amuse ainsi de ses douleurs passées et du narcissisme qu’on lui prête avec le
caractère tourmenté de l’aspirant écrivain Victor. Ce dernier est si autocentré
et frustré qu’il ne sait que se plaindre, hurler sa haine du monde et rester
totalement indifférent à la fascination qu’il exerce sur Sarah. La
caractérisation joue par l’excès pour illustrer cela, le comique vachard
dévoilant la goujaterie de Victor tandis que la stylisation des tenues
changeantes de Sarah sous le prétexte vintage sert en fait son amour
inconditionnel et toutes les identités à prendre pour enfin capter l’attention
de son homme.
La nature de muse fonctionne en opposition à l’entourage de
Victor, la jeune fille moderne et rebelle ayant un attrait pour bousculer une
famille bourgeoise traditionnelle de droite portée par un Pierre Arditi
survolté en patriarche réac – quand à l’inverse la première tentative échouera
avec Sarah en étudiante à l’intelligence castratrice pour le créateur mal dans
sa peau. Nicolas Bedos montre donc un couple se compléter faussement au
détriment de l’effacement assumé de Sarah. L’épanouissement artistique de
l’écrivain se fait par un égo envahissant, une vampirisation de l’autre qui ira
jusqu’à s’approprier son identité juive et son passé dans un rebondissement
étonnant. Là aussi la comédie de situation et le point de vu double constant
(par la voix-off ironique de Sarah ou des situations revisitées comme une
première nuit d’amour maladroite) amène un décalage amusé. La construction en
chapitres se moque ainsi à chaque fois des personnages en les inscrivant dans
leur époque avec un brio formel certain, voir l’épisode « La Thune »
et son portrait croquignolet des nouveaux riches de la France Giscardienne.
Les concessions initiales se distendent au fil des décennies
et provoquent les problèmes de Victor et Sarah. Malgré un propos et une
esthétique très éloignée, on peut ainsi penser aux hommes omnipotents et
immatures des films de Claude Sautet ou Yves Robert des années 70 qui se
trouveraient bousculés par l’émancipation de la femme. La frime tapageuse
saupoudrée de coke des années 80 est une autre manière de faire retrouver
l’attention de son mari pour Sarah avant l’apaisement et l’indépendance des
années 90. A chaque ère ces caractéristiques qui relancent les cartes, la prise
de conscience et la frivolité changeant de camp en permanence. Nicolas Bedos
évidemment à l’aise en trublion égocentrique et anxieux montre une profondeur
touchante au fil du récit, reposant de moins en moins sur les effets comiques
marqués.
Dora Tillier pour son premier rôle au cinéma est tout aussi épatante
par cette passion dévouée, soumise, agacée mais jamais vraiment éteinte pour
son homme. Ces vas et vient de l’amour ne trouvent pas leur conclusion par une
énième dispute/séparation mais par les effets inéluctables du temps. Le comique
grinçant et osé (voir le traitement des enfants, du benêt rejeté à la fille à
papa insupportable) ne s’estompe jamais totalement mais l’émotion de la
dernière partie donne une profondeur et une émotion réellement palpable à
l’ensemble. Une vraie belle odyssée amoureuse – on saluera au passage l’étonnante
qualité du maquillage, une gageure dans ce type de récit – où l’on reprochera
juste un « twist » qui surligne ce qui était habilement suggéré dans
ce premier film populaire et prometteur.
En salle
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