Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

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mardi 29 avril 2025

Un Condé - Yves Boisset (1970)

Favenin, policier désabusé, veut venger la mort de son coéquipier tué par des gangsters. Au mépris des lois, il n'hésite pas à user du chantage et de la torture pour retrouver les assassins et préfèrerait tuer plutôt qu'arrêter le coupable.

Un Condé est la première réussite majeure d’Yves Boisset, et le film qui amorce la veine engagée et polémique qui irriguera toute son œuvre à venir. Il s’agit d’une adaptation du roman La Mort d’un Condé de Pierre Lesou, auteur ayant déjà donné ses lettres de noblesses au polar filmé avec Le Doulos de Jean-Pierre Melville (1962) également tiré d’un de ses livres. Le film s’inscrit dans un contexte post-Mai 68 très contestataire où l’autorité et les méthodes policières sont grandement remises en causes. Des films comme Le Pacha de Georges Lautner (1968) ou dans une veine plus austère Max et les ferrailleurs de Claude Sautet (1971).

Le début de l’histoire établit initialement un schisme clair entre le monde policier et criminel. Un propriétaire de boîte nuit menacé par un caïd refuse par principe la main tendue par Barnero (Bernard Fresson), policier idéaliste et désabusé. L’assassinat du propriétaire va radicaliser et finalement réunir fatalement ces mondes policiers et criminels. Dan Rover (Gianni Garko), meilleur ami du défunt, va engager une vendetta contre le coupable. Durant son action, Vitali (Michel Constantin) tue également Barnero présent sur les lieux. Dès lors une seconde mécanique de vengeance s’enclenche, celle de Favenin (Michel Bouquet), collègue et ami de Barnero, qui va employer les méthodes les plus répréhensibles pour parvenir à ses fins. La défiance initiale entre civils et policiers débouche donc sur cette boucle de vengeance, dans une escalade sans retour.

La radicalité du traitement et la frontalité de la violence sont cependant contrebalancées par l’humanisme de Boisset. Dan Rover était un truand retiré que les évènements font rechuter, tandis que si les graines du virage de Favenin étaient déjà là (il vient d’être muté pour désobéissance), c’est paradoxalement en poussant Barnero (qui souhait laisser échapper les assassins du caïd par mauvais esprit) vers une attitude plus digne qu’il provoquera involontairement sa mort. Cette zone grise intime intervient donc tout naturellement même lors de leurs agissements les plus discutables, notamment Favenin. La prestation glaciale de Michel Bouquet amène de façon passionnante une plus grande ambiguïté qu’un Lino Ventura initialement envisagé mais rebuté par la noirceur du personnage. Ventura acteur aux émotions et à la physicalité plus frontale n’aurait pas pu amener la dimension à la fois cérébrale et vulnérable dégagée par Bouquet. 

Il amène avec lui le passif plus faillible de ses rôles antérieurs (notamment chez Chabrol) tout en endossant une présence taciturne et menaçante qui renouvèle son registre. Ainsi les exécutions sommaires, les passages à tabacs et les intimidations verbales le rendent effrayant, mais l’armure se fissure quand il est ramené aux responsabilités de son statut de policier. La scène de confrontation avec Vitali est remarquable à ce titre, le criminel assumant ce qu’il est quand le policier vacille face aux vérités qui lui sont assénées. C’est encore plus intense face au personnage de Raymond Aulnay (Rufus), contestataire de gauche n’ayant aucune confiance dans l’autorité policière et qui, roué de coup devant son enfant lâche à celui-ci cette terrible phrase : « Regarde bien, c’est ça un flic ».

Le ton et l’atmosphère du film donnent dans une froideur toute melvilienne sans toutefois en atteindre l’abstraction et la maîtrise formelle, mais Boisset parvient tout de même à creuser un sillon qui lui est vraiment propre. Il connaîtra d’ailleurs ses premières bisbilles avec la censure, le ministère de l’intérieur de l’époque Raymond Marcellin, y voyant un violent réquisitoire contre la police. C’est incontestable au travers de certains protagonistes comme le très cynique et laxiste le commissaire divisionnaire incarné par Adolfo Celli. Au prix de quelques coupes, Boisset pourra néanmoins sortir son film, qui auréolé par cette « publicité » sera un succès commercial. La voie était ouverte pour d’autres brûlots. 

Sorti en bluray français chez ESC 

dimanche 27 avril 2025

Meurtre - Murder, Alfred Hitchcock (1930)

John Menier, acteur dramatique de renom, participe en tant que juré à la condamnation pour meurtre d'une jeune actrice (Norah Baring) dont il finit cependant par douter de la culpabilité. Il entreprend alors de conduire sa propre enquête...

Meurtre est la troisième incursion dans le parlant d’Alfred Hitchcock, et s’inscrit dans la seconde phase de sa carrière britannique. Après des débuts au sein du studio Gainsborough dont le cadre modeste favorise sa créativité, Hitchcock intègre la compagnie British International Pictures (B.I.P.), studio britannique bien plus prestigieux et au sein duquel il est cette fois un talent prometteur certes, mais un de plus parmi d’autres. Il y signe d’authentiques réussites comme Le Masque de cuir (1927) et Chantage (1929), et d’autres œuvres où il semble encore se chercher. Meurtre constitue un intéressant entre-deux, poursuivant dans le registre du suspense où il semble trouver ses marques. Adapté du roman Enter Sir John de Clemence Dane, le film dessine grandement l’approche du thriller à venir pour le réalisateur.

Le récit endosse la figure du faux-coupable grandement revisitée par la suite, et détourne celle du whodunit. L’heure n’est pas encore au road-movie échevelé pour l’accusée Diana Baring (Norah Baring), résignée à son sort et dont la culpabilité est établie le temps d’un procès expéditif. La scène d’ouverture pose en effet une réalité qui semble implacable, avec Diana prostrée face au corps inerte de la victime et l’arme du crime à ses pieds. L’équilibre entre humour britannique et gravité se dessine d’ailleurs dans le microcosme social que constitue le jury par lequel l’ignorance ordinaire, l’effet de groupe et le déterminisme social scelle le destin de Diana condamnée à mort pour un crime dont elle n’a aucun souvenir. 
Cette dynamique est illustrée par Hitchcock par un effet de répétition, une sorte de musicalité dans les interactions communes par les cadrages et le montage qui achèvent de convaincre le groupe de voter au plus vite « coupable ». Seul John Menier (Herbert Marshall) grand acteur et assigné au sein du jury, a daigné émettre un doute mais a aussi finalement céder à l’avis commun avant de le regretter.

Une des phrases-clé déterminant son avis moins tranché est l’habitude qu’il a d’inviter la vie pour nourrir son art d’acteur, et le sentiment que cette affaire nécessite la démarche inverse, se servir de son art pour mieux comprendre l’incertitude de la vie. Avant cette tirade, Hitchcock aura illustré cette idée par l’image durant l’enquête policière initiale. Durant une scène où la police interroge les acteurs de la troupe avant leur entrée sur scène, le passage du naturel à leur rôle dessine déjà de manière triviale une certaine dualité, tandis que les vues de la scène depuis les coulisses découpent cette espace en deux pour nourrir une ambiguïté implicite. La résolution obéit d’ailleurs à ce motif avec un meurtrier agissant pour masquer sa mixité/dualité ethnique tout en en affichant une ambivalence sexuelle dans sa caractérisation.

L’enquête n’est pas particulièrement palpitante, mais servie brillamment par ce fond passionnant et un Hitchcock débordant d’invention formelle. Il sait jouer des nouveaux apports du parlant lors de la scène de quasi-épiphanie durant laquelle face à son miroir, la volonté de sauver Diane s’éveille chez John Menier sur fond de Tristan et Yseult de Wagner. Il prolonge aussi la force évocatrice et plus explicite du muet, de manière furtive lorsque le sol de la demeure de Manier s’enfonce sous le pas des acteurs pour faire ressentir le confort du luxe, ou la scène de trapèze finale avec toutes les émotions contradictoires traversant l’esprit du coupable en fondus enchaînés. Sans être un opus majeur, Meurtre est donc une œuvre intéressante qui appose une pierre de plus au grand édifice hitchcockien. 

Sorti en bluray français chez Carlotta 

vendredi 25 avril 2025

Une flic de choc - Zhi fa xian feng, Corey Yuen (1986)

Lors du procès d'un trafiquant de drogue, le témoin principal est abattu et le suspect relâché faute de preuve. Convaincu que la loi doit être appliquée coûte que coûte, le jeune avocat de la défense démissionne et passe à l'action en supprimant le trafiquant. Ce qui n'est pas du goût du chef de la police qui envoie deux inspecteurs pour coincer le justicier hors la loi. Celui-ci est d'autant plus motivé qu'il s'avère être le cerveau du trafique de drogue et le commanditaire du meurtre.

Une Flic de choc est une production mettant en valeur différents aspects du polar martial hongkongais. Il s’inscrit dans une volonté d’asseoir Yuen Biao comme une star d’action hors du giron de ses condisciples Sammo Hung et Jackie Chan. Pour l’américaine Cynthia Rothrock, c’est l’occasion de surfer sur la popularité acquise par sa prestation mémorable dans Le Sensdu devoir 2 (1985) où elle fut révélée par Corey Yuen également réalisateur d’Une Flic de choc. La comédienne venait d’ailleurs de voir s’envoler l’opportunité d’incarner l’antagoniste dans Mister Dynamite (1986) de Jackie Chan, la grave blessure de ce dernier ayant reporté le tournage du film.

Une Flic de choc est un polar assez sommaire dans le déroulé de son récit, mais soulevant quelques thématiques intéressantes dans le contexte de Hong Kong. Le sujet de l’auto-justice est amené par l’existence alternative du procureur incarné par Yuen Biao, en terminant radicalement en coulisse avec les dangereux malfrats que la corruption l’a empêché d’inculper au tribunal. La corruption est à cette période un problème relativement résolu à Hong Kong, au prix de politiques agressives et volontaristes, mais dont le souvenir reste encore vivace pour ceux l’ayant vécu dans les années 60/70. 

Le fait d’imaginer l’ultime recours d’une justice alternative illégale et radicale est donc un argument dramatique efficace, d’autant plus avec un personnage dont le métier détonne des habituels flics que l’on a l’habitude de voir vriller. Yuen Biao se montre très convaincant et va croiser son pendant opposé avec Cynthia Rothrock, policière dure à cuire et croyant encore naïvement à l’application stricte de la loi.

Il est dommage que cette confrontation idéologique n’aille pas assez loin dans les situations proposées et les dialogues, mais cela pose en tout cas une base dramatique plutôt solide. Ce manque de profondeur malgré les possibilités est fort heureusement contrebalancé par un spectacle de très haute volée durant les scènes d’actions. Ces dernières sont conjointement chorégraphiées par Yuen Biao et Corey Yuen, offrant un crescendo impressionnant en termes de combats et cascades. Les cascades les plus périlleuses semblent dévolues à Yuen Biao nous offrant d’authentiques instants kamikazes n’ayant rien à envier à son comparse Jackie Chan (la descente en rappel d’un immeuble, l’esquive de voitures cherchant à le renverser dans un parking, le climax sidérant accroché à un avion dans les airs) tandis que les joutes martiales les plus nerveuses seront l’affaire de Rothrock. 

Le sommet à ce titre survient lors de son duel face à Karen Sheperd (ancienne rivale du temps de leurs compétitions sportives) qui prolonge la tradition des grandes antagonistes féminines étrangères dans le cinéma d’action hongkongais. Usage inventif de l’environnement est des accessoires ordinaires à disposition, bottes secrètes douloureuses et hargne de tous les instants, l’affrontement est un morceau de bravoure époustouflant. La maestria de Cynthia Rothrock, de Yuen Biao (qui la double sur certains mouvements périlleux) et Corey Yuen est à son meilleur et l’étonnante noirceur du récit rend ces moments de plus en plus cathartiques. Melving Wong campe ainsi un méchant délicieusement ignoble et redoutable, et le seul regret du film est de ne jamais voir Cynthia Rothrock et Yuen Biao constituer un vrai team-up pour en venir à bout lors du combat final. 

On peut sans doute soupçonner les agendas et cadences intenables des productions hongkongaises pour nous priver de cela, les deux stars se croisant très peu et vivant leur aventure chacune de leur côté durant le film. Une Flic de choc n’en demeure pas moins un spectacle nerveux et efficace, voire assez nihiliste selon le montage dans lequel on le voit. Le cut hongkongais dispose en effet d’une fin sombre, et le montage international d’un happy-end tourné après la mauvaise réaction du public et ayant nécessité d’expéditifs reshoots – aisément repérables avec la coupe de cheveux différentes de Cynthia Rothrock. 

Sorti en bluray français chez Le Chat qui fume