Totsuko est synesthète : elle peut voir les couleurs des gens. Avec Kimi, élève décrocheuse, et Rui, qui rêve de synthés quand ses parents l’imaginent médecin, elle décide de monter un groupe de musique. Naoko Yamada confirme son talent pour les histoires adolescentes tendres et libres.
The Color Within marque le retour au cinéma de Naoko Yamada, près de 6 ans après célébré Liz et l’Oiseau bleu (2018). C’est aussi le premier film que Yamada signe au sein du studio Science Saru, qu’elle a intégré depuis 2021 et au sein duquel elle avait déjà réalisé la série The Heike Story (2022) et le court-métrage Garden of Remembrance (2022). La réalisatrice avait jusque-là gravi les échelons au sein du studio Kyoto Animation, participant à la construction de l’identité visuelle du studio à divers postes au sein de séries cultes (K-On, Sound Euphonium) puis y marqua les esprits avec son premier film Silent Voice (2016). Naoko Yamada semble s’être éloigné de Kyoto Animation après le drame criminel qui frappa le studio en 2019, et The Color Within est vraiment l’œuvre ambitieuse concrétisant ce nouveau départ.
Le film semble sur le papier un retour aux sources des œuvres qui firent la renommée de la réalisatrice avec cet environnement lycéen, ces tourments adolescents et la pratique musicale au centre de K-On et Sound Euphonium. Le traitement narratif et formel prouve cependant que l’art de Yamada est en constante évolution en évitant la redite. L’un des défauts que l’on pouvait trouver à Silent Voice était l’expression trop appuyée de ses émotions, écueil en partie corrigé dans un Liz et l’oiseau bleu tout en finesse, par sa symbolique et ses jeux de regards entre les protagonistes. The Color Within creuse le même sillon en jouant de la perception du monde et des autres décalée de son héroïne Totsuko. Atteinte de synesthésie, son entourage lui apparaît auréolé de couleurs l’incitant ou pas à s’attacher à eux. C’est ainsi qu’elle va tomber sous le charme de Kimi, camarade plus âgée qui va bientôt cesser de se rendre au lycée. Elle parvient à retrouver sa trace et décide à la suite d’un concours de circonstances de monter un groupe avec elle et un autre garçon, Rui.Les deux jeunes filles ont la particularité d’être scolarisées dans un lycée catholique, élément assez original dans le cadre japonais. Cet environnement se déleste pourtant de sa portée oppressante et culpabilisatrice à travers le regard de Totsuko. Ce rapport au monde que son symptôme lui fait ressentir acquiert une portée apaisante dans l’atmosphère traversant la salle de culte. Yamada n’appuie pas forcément la douceur du lieu par sa dimension pieuse, mais son calme, son climat de recueillement et de confidence au sein duquel Totsuko peut être elle-même et assumer sa nature excentrique par sa foi. Les inserts sur les symboles, l’espace aéré et calme du lieu ainsi que la bienveillance d’une sœur participent à cet épanouissement, loin de l’agitation du reste du lycée.L’évolution de Totsuko consistera en construire ce type d’environnement ailleurs. Le scénario se montre évasif, tant dans les dialogues que les situations quant aux maux affectant les personnages. Totsuko masque en public les émotions que lui provoquent les visions inhérentes à sa synesthésie, Kimi reste taciturne sur les difficultés l’ayant fait quitter le lycée, et seule la pression familiale vécue par Rui est explicitement évoquée – par la narration davantage que par lui-même. La musique créée en commun par le trio servira ainsi de terrain d’expression, d’exutoire intime. Pourtant, une nouvelle fois, Naoko Yamada fait dans la retenue et frustre volontairement le spectateur. Un début de couplet ici, une amorce de mélodie là, c’est avant tout le bonheur de passer un moment amical ensemble plutôt que la création que privilégie la réalisatrice. La grâce suspendue de ces instants existe par les inserts abstraits de couleurs, par des séquences oniriques convoquant des styles d’animations plus expérimentaux. Tout comme les personnages sont encore incapables de verbaliser leurs émotions, la mise en scène les rend palpables par cette touche subtiles et hypnotiques.The Color Within est dès lors un film où la légèreté se dispute à la gravité, mais sans conflits ni réel rebondissement dramatique. C’est un entre-deux correspondant à l’inconséquence des affects adolescents, qui n’explosera que durant le concert final. L’approche musicale évite de rendre cette délivrance lourdement explicative, mais au contraire touchante et euphorisante par l’alliance de la musique et des paroles. Ce final est un magnifique accomplissement (porté par une bande-son qu’il sera difficile de vous sortir de la tête) qui ne sert pas de résolution à tout, mais l’expression d’un ressenti qui permettra d’avancer. Naoko Yamada nous là un petit bijou de tendresse et d’instantané adolescent.Découvert en avant-première durant le Carrefour de l'animation au Forum des images, le film sortira en 2025