Parallèlement à sa fructueuse carrière de comédien au sein du cinéma anglais, Lionel Jeffries a mené une courte mais belle carrière de réalisateur essentiellement consacré au film pour enfant. The Railway Children (1970), son premier essai, fut un grand succès et un classique instantané du cinéma anglais. Il réitère l’exploit avec le superbe The Amazing Mr Blunden (1972), qui bien qu’à destination du jeune public se teintait d’une vraie noirceur et atmosphère de film gothique. Jeffries ne craint pas d’aborder des thématiques difficiles telle que la mort, la vieillesse, la séparation dans ses fables où il ne prend jamais son spectateur juvénile de haut, et dont la profondeur est apte à toucher les adultes. Cela se confirme avec Baxter, nouveau bijou de sensibilité.
The Railway Children et The Amazing Mr Blunden étaient adaptés de classiques anglaise de la littérature enfantine dont les récits se situaient dans le passé (l’Angleterre victorienne pour The Railway Children, et edouardienne pour The Amazing Mr Blunden). Chacun des films proposaient un message bienveillant célébrant l’entraide, sous un jour lumineux dans The Railway Children et plus inquiétant dans The Amazing Mr Blunden. Cet ancrage dans le passé et le cadre rural des récits leurs conféraient une certaine idéalisation du monde de l’enfance, théâtre de tous les possibles. Baxter, adapté du roman The Boy Who Could Make Himself Disappear (publié en 1968), vient rompre ce confort en se situant à une époque contemporaine. On retrouve cependant les prémices des deux autres films avec Roger Baxter (Scott Jacoby), jeune adolescent qui va se trouver déraciné après le divorce de ses parents, quittant les Etats-Unis pour venir vivre à Londres avec sa mère (Lynn Carlin). Les flashbacks dépeignant le passé familial douloureux puis le présent de l’installation à travers les échanges acerbes entre Roger et sa mère illustre une situation complexe pour le jeune adolescent. Bien que désormais éloigné géographiquement, son père accaparé par ses affaires a toujours été absent pour lui, et sa mère bien que vivant avec lui est davantage préoccupée par sa vie mondaine et ses loisirs que de s’occuper de lui.En apparence Baxter est pourtant un enfant enjoué et à la langue bien pendue. C’est pourtant bien son élocution qui trahit ses maux intimes puisqu’il se montre incapable de prononcer la lettre R (qui devient L) lorsqu’il s’exprime – renforçant sa crise d’identité puisqu’il est incapable de correctement prononcer son propre prénom. Cette faille qui aurait pu être soignée plus tôt avec de la patience, de l’amour et de l’attention persiste chez lui, suscitant les railleries de son professeur d’anglais. D’ailleurs la quête d’attention du personnage réside dans le fait d’exposer d’emblée son « handicap » à chaque nouvel interlocuteur plutôt que de honteusement le cacher. Le microcosme rural, les personnalités excentriques rencontrées et l’équilibre entre ce qu’ils donnaient et recevaient construisaient une sorte d’idéal romanesque et solidaire dans les précédents films de Lionel Jeffries. Cela ne semble qu’en partie reproduisible dans la grisaille urbaine de Londres dans laquelle, le moral au plus bas, il traîne sa mélancolie. Cette notion de microcosme bienveillant va néanmoins exister avec le couple de voisins qui va s’attacher à lui. Elément gênant dans son propre domicile en présence de sa mère, Roger se déride et devient spontané, détendu et sollicité en compagnie du français Roger (Jean-Pierre Cassel) et de l’anglaise Chris (Britt Eckland) quand ils l’emmènent avec eux à la campagne. La joyeuse euphorie de ces moments alterne avec sinistrose de la demeure familial, dans le fond et la forme. Lionel Jeffries adopte des couleurs et un montage « pop » dans les environnements et la compagnie plus aimante de Roger, et retrouve une imagerie terne et exiguë lors des retours au quotidien. C’est un véritable ascenseur émotionnel traduisant un état de dépression dont même les moments heureux en deviennent douloureux. Ainsi lors d’un immense moment de détresse et de solitude, le sourire revient le visage de Roger le temps d’une tourbillonnante scène de cuisine, mais le semblant d’atmosphère familial alors créé par la chaleur de Chris et Roger rappellent au jeune garçon ce qu’il n’a jamais vécu et ne vivra jamais avec les siens. Jeffries illustre subtilement ce schisme, avec un cadre dans le cadre montrant Jean-Pierre Cassel et Britt Eckland s’affairant joyeusement dans la cuisine éclaire, tandis que Roger se trouve dans la pièce extérieure, loin d’eux malgré leur gentillesse.Le très beau personnage d’orthophoniste incarné par Patricia Neal représente un vrai pivot pour Roger, celle face à qui il n’a pas à forcer un masque de joie, avec laquelle il peut montrer ses failles – terrible scène où il échoue à prononcer Rolls Royce devant elle après avoir réussi quelques instants plus tôt. La vraie noirceur du récit surprend, notamment une dernière demi-heure durant laquelle Roger perd définitivement pied. Lionel Jeffries multiple les idées formelles pertinentes pour traduire cet état d’anxiété et de dépression, notamment par une caméra subjective et chaotique exprimant l’oubli de lui-même et le sentiment d’abandon de Roger. Le jeune Scott Jacoby est incroyablement touchant, d’une vulnérabilité suscitant une profonde empathie pour une des prestations les plus impressionnantes réalisée par un enfant-acteur. Cette sincérité va paradoxalement desservir le film puis Bernard Delfont, producteur à la tête de Anglo-EMI Film Distributors, principale compagnie finançant le film, sera rebuté par cette tonalité sombre et reportera la sortie du film qui bien que tourné avant The Amazing Mr Blunden sortira un après celui-ci. Voilà donc un superbe mélodrame à hauteur d’enfant qui mérite d’être remis en lumière.Actuellement visible en streaming sur MyCanal
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