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mardi 12 août 2025

La Coupe à 10 francs - Philippe Condroyer (1974)

 André, jeune ébéniste dans une fabrique de banlieue, est menacé de perdre son emploi s'il ne se coupe pas les cheveux. Face à la violence arbitraire du patron, le jeune héros et ses copains mettent un point d'honneur à préférer se faire renvoyer. Mais la pression familiale et sociale aura bientôt raison d'André, et l'histoire de cet homme digne défiant son oppresseur prendra un tournant tragique.

La Coupe à dix francs est une véritable photographie de la jeunesse, et par extension de la société française post-Mai 68. On y ressent l’opposition en cette jeunesse ayant soif de libertés pas encore réellement acquises, et d’une vieille France gaullienne pas encore prête à desserrer l’étreinte autoritaire. Le film s’inspire d’un authentique fait divers qui vit un jeune homme de 18 ans s’immoler devant l’usine où il était employé comme menuisier, ce geste tragique faisant suite à l’ordre de son patron l’intimant à se couper les cheveux. Le réalisateur Philippe Condroyer est profondément touché par ce drame dont il lit le récit dans les journaux, et y voit la matière d’un film plus personnel que ses précédents travaux. Il avait jusque-là signé un pur film de commande avec Tintin et les oranges bleues (1964), ainsi que le plus inclassable polar Un homme à abattre (1967). Mais surtout, en plus de plusieurs courts-métrages, Condroyer s’était spécialisé dans le film industriel, expérience durant laquelle il eut tout le loisir d’observer le monde de l’usine qu’il va dépeindre dans La Coupe à dix francs.

André (Didier Sauvegrain), jeune ébéniste dans une usine de province, est un beau jour convoqué par Forger (François Valorbe) son patron, qui lui donne l’ordre de se couper les cheveux. Il ignore l’injonction avec d’autres de ses camarades à longue tignasse, entraînant une réaction chaîne fait d’humiliation et d’intimidation. Philippe Condroyer exprime par l’image et les situations les perspectives limitées de cette jeunesse. L’image granuleuse découle de l’usage de caméra 16 mm, qui contribue à l’atmosphère austère du récit. L’oppression sous forme de harcèlement moral guide les scènes de l’usine, mais le jugement intrusif se prolonge bien en dehors. L’évasion est impossible pour André et ses amis face à des loisirs limités au café de la ville ou aux soirées dansantes du samedi. La vie sentimentale est soumise au jugement inquisiteur invisible, André ne pouvant passer la nuit chez sa petite amie Léone (Roseline Villaumé) à cause d’un voisin trop curieux.

Il y a une dimension politique dans la manière de justifier la demande du patron par son sentiment de toute-puissance, de mainmise sur le corps et l’esprit de ses employés contraint à lui être entièrement assujettis. La stigmatisation s’étend ainsi à l’ensemble de la ville, faisant d’André un paria. Le dénuement social et idéologique ne leur donne pas les outils idéologiques pour se défendre, que ce soit par des parents peu éduqués et conditionnés à cette logique de soumission, ou par des institutions (le syndicat) informant sans sérieusement accompagner le combat des oppressés. Didier Sauvegrain, par son interprétation fragile et taiseuse, est très touchant dans sa détermination ne trouvant pas de réel écho. Philippe Condroyer s’identifie totalement à la détresse de son héros, auquel il attribue des aspirations artistiques correspondant à un caractère rêveur se heurtant à cet environnement contraint. Les peintures d’André vues dans le film sont d’ailleurs des œuvres du réalisateur, un des aspects l’ayant touché dans le véritable fait divers étant que le jeune ouvrier était également peintre. 

Les surcadrages nombreux dans la mise en scène correspondent d’ailleurs à cette notion d’échappée et d’enfermement. Les surcadrages travaillent l’idée d’un ailleurs en filmant les tableaux d’André, ou enchantent le réel lors de cette scène où il observe un paysage à travers un cadre vide. A l’inverse différemment motifs discrets de ce surcadrage expriment cette prison du réel, par le jeu sur les reflets, l’étouffement ressenti dans les environnements professionnels qui va progressivement se prolonger à la vie quotidienne. La répression sur la coiffure n’est que le premier étage de la fusée visant à écraser toute individualité, à prolonger un modèle social où le subalterne n’osera même pas envisager de se rebeller. La conclusion est un véritable choc, et le film malgré l’insuccès rencontré à sa sortie est vraiment annonciateur du cinéma de Jacques Doillon et de certaines œuvres de Maurice Pialat comme Passe ton bac d’abord (1978).

Sorti en bluray français chez LCJ 

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