Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

Pages

lundi 18 août 2025

Les Démons de la nuit - Shock, Mario Bava (1977)

Veuve, Dora réemménage dans son ancienne maison en compagnie de Marco, garçonnet de sept ans issu de son premier mariage, et de Bruno, son nouveau compagnon. Lorsque les phénomènes étranges se multiplient, Dora croit basculer dans la folie...

Schock est la dernière réalisation pour le cinéma par Mario Bava - La Vénus d'Ille, téléfilm coréalisé avec son fils Lamberto, sera son ultime travail. Le film conclut également des années 70 plus difficiles pour le cinéaste italien. S’il n’a rien perdu de son flair à anticiper les modes (La Baie sanglante (1971) précurseur du slasher), Bava est débordé en popularité et succès commercial par des « disciples » qu’il a pu influencer comme Dario Argento. Bava est pourtant réellement parvenu à se renouveler et à embrasser les nouvelles tendances du cinéma de genre, notamment avec La Baie sanglante donc et surtout Les Chiens enragés (1974) embrassant l’urgence et la rage du poliziottesco. Malheureusement, il n’est pas parvenu durant cette période à financer des projets personnels, et a vu certaines de ses œuvres mutilées (l’imbroglio des deux montages de Lisa et le Diable ou La Maison de l'exorcisme (1973)) ou invisibilisées comme Les Chiens enragés privé de sortie salle et qui ne sera redécouvert que bien plus tard.

Schock embrasse conjointement le glorieux passé de Bava et à sa quête de renouveau plus récente, à travers les thèmes et l’esthétique du film. Les grandes réussites gothiques du réalisateur reposent souvent sur le thème d’un passé chargé de culpabilité et de ressentiment, l’angoisse des vivants et la hargne des défunts formant un parfait alliage de récit fantastique et psychologique. C’est notamment le leitmotiv du fondateur Le Masque du Démon (1960), Le Corps et le fouet (1963) ou encore Opération Peur (1966). Les films gothiques se situent toujours dans le passé et baignent dans une approche plus européenne, tandis que les récits à suspense contemporain reposent davantage sur un héritage anglo-saxon et par extension hitchcockien dans des œuvres comme La Fille qui en savait trop (1963) et Six femmes pour l’assassin (1966), annonçant le Giallo qui en exacerbera la tonalité baroque. Schock va en quelque sorte pour Bava chercher à allier la thématique des œuvres gothiques, l’environnement contemporain des thrillers, et la frontalité notamment en termes de violence des productions des années 70.

L’ouverture du film équilibre déjà ces différentes tendances, avec cette caméra arpentant les pièces en décompositions d’une vieille maison, sur la bande originale « giallesque » à souhait du groupe Libra. La demeure est chargée de souvenirs douloureux pour Dora (Daria Nicolodi pour une prestation bine plus vulnérable que chez Argento) puisqu’elle y vécu avec son mari toxicomane et depuis mort de suicide. Ce qui aurait dû susciter une légitime appréhension se mue progressivement en angoisse sourde, lorsque le défunt semble prendre possession de l’esprit de leur jeune fils Marco (David Colin Jr.) et lui faire payer sa nouvelle union avec Bruno (John Steiner). Mario Bava se refuse à choisir entre terreur psychologique et récit fantastique pour puissamment associer les deux. 

Les phénomènes surnaturels tout comme les situations ambiguës sont le plus souvent uniquement observées et ressenties du son point de vue de Dora – notamment les réactions hostiles et jalouses de Marco lors des témoignages de tendresse avec Bruno. La réalité d’une menace fantastique est acceptée, mais la fébrilité à fleur de peau de Dora repose sur cette fameuse culpabilité des vivants qui traverse les films gothiques de Bava. Mais plutôt que d’ouvrir sur un moment spectaculaire expliquant le ressentiment du défunt, ou d’expliciter par un élément provocant l’angoisse du vivant (la relation SM de Le Corps et le fouet), Bava aligne les situations troubles pour réserver la grande révélation lors de la conclusion.

La caméra à l’épaule erratique transpose le chaos de Les Chiens enragés dans un environnement domestique, équilibrant par là l’approche gothique et psychanalytique. Si ce dernier point pourra paraître grossier dans son traitement, la provocation installée est terriblement efficace. Le désir à la fois œdipien et « possédé » de Marco pour sa mère est prétexte à des interactions au malaise certain (Marco sur Dora mimant la gestuelle d’un coït), dans le quel le fantastique semble n’intervenir que pour écourter les actions qui seraient trop insoutenables et perturbantes à la fois pour le jeune acteur et pour le spectateur. On pense à la main putréfiée caressant Dora dans son sommeil se substituant en vue subjective à Marco et son regard concupiscent – idem lorsqu’il la regarde nue sous la douche. Bava par ses cadrages et choix narratifs parvient de cette manière à rendre inquiétantes des expressions faciales à priori anodines chez un garçonnet de cet âge.

Tant qu’il reste dans cet entre-deux (pour exprimer ce sentiment double de frayeur et de culpabilité davantage que pour créer une ambiguïté), Bava excelle. Lorsqu’il chercher à rattraper les wagons d’un fantastique contemporain plus spectaculaire dans ses effets, la tension retombe. Les scènes de rêves sont notamment très inégales, celles reposant sur les gimmicks graphiques trop lisibles (ce couteau voltigeant pour agresser Dora, le sortilège sur l’avion) tombant à plat tandis que celles s’attachant à l’atmosphère, à cette transgression du refoulé par une imagerie onirique et subliminale, sont proprement glaçantes. Malgré ces légères scories, la tension s’installe avec une minutie diabolique tout au long du récit, jusqu’à un final tenant tout autant du coup de théâtre du Giallo que de l’exposition (psychologique, dramaturgique et topographique dans les entrailles de la maison)) du secret sur lequel repose ce refoulé dans la plus pure tradition gothique. Schock est vraiment une des plus grandes réussites de Mario Bava, et une synthèse conclusive à la hauteur de son talent.

Sorti en bluray français chez Sidonis

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire