Stéphane du Mesnildot dépeint un Japon en plein schizophrénie, forcé par l’occupant américain d’estomper la logique nationaliste et belliqueuse de ses racines politiques et sociétales, notamment en estompant le culte divin de l’empereur et en embrassant la démocratie. Cela passe par une mue vers la culture capitaliste, mais les codes sacrificiels du bushido (dont la supposée tradition s’est installée à postériori durant l’ère Meiji pour préserver une identité nationale face à l’influence de l’Occident) se transpose dans le monde de l’entreprise où les salarymen dévoués à leur compagnie remplacent les samouraïs et les pilotes kamikazes, et les corporations se substituent au Shogunat. L’auteur scrute ce questionnement à travers le cinéma de genre, refuge de cette idéologie dans les films de yakuzas du courant Ninkyo Eiga bardant les criminels d’une aura chevaleresque – dont sont dépourvus les samouraïs psychotiques ou cyniques du jidai-geki lorsque sa production sera de nouveau permise par les Américains.
A ce maintien d’une tradition qui ne dit pas son nom répondent plusieurs nouveaux courant contestataires s’inscrivant dans la hargne d’une jeunesse engagée et nihiliste. La Nouvelle Vague japonaise, bien qu’initiée au départ par les studios japonais, voit naître des œuvres de jeunes gens ayant grandi dans un pays à reconstruire, et désormais vindicatif quant à ses évolutions et ses compromissions. Stéphane du Mesnildot se montre exhaustif et pédagogue en mettant en parallèle les évènements cruciaux d’alors (les traités de sécurité de l’ANPO entre le Japon et les Etats-Unis, la construction de l’aéroport de Narita) et l’opposition féroce qu’ils soulèvent. Le respect d’une tradition fantasmée tout comme la destruction d’un système façonnent des personnalités (Yukio Mishima) et des groupes (les deux factions de l’Armée rouge japonais) d’extrêmes droites et de gauche qui se consumeront durant les années 70.
L’auteur dépeint la manière dont cela infuse le cinéma japonais de l’époque, dans son versant studio comme indépendant, et en scrute les travers et les élans progressistes entremêlés dans un ensemble complexe et jamais manichéen. Les sous-genres du cinéma érotique soulèvent des productions allant de la putasserie phallocrate (les productions historiques de la Toei) à la vraie bienveillance et mise en lumière des marges – les transgenres de Les Funérailles des roses de Toshio Matsumoto (1969), les travailleuses du sexe de Nuits félines à Shnjuku de Noboru Tanaka (1972).
Le cinéma d’exploitation est un véritable laboratoire thématique et formel exprimant tout et son contraire, déconstruisant les mouvements initiaux comme Kinji Fukasaku et sa vision plus crue et démythificatrice des yakuzas dans son passionnant corpus des années 70. L’ouvrage est riche, captivant, imagé dans l’écriture et l’illustration, et met en avant des œuvres et personnalités (Nagisa Oshima, Koji Wakamatsu, Takashi Ishii) plus ou moins identifiées des férus de cinéma japonais qui ne manqueront pas de susciter des envies de (re)visionnage après lecture.
Edité chez Façonnage Editions
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