Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

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jeudi 5 juillet 2018

Fresh - Boaz Yakin (1994)


Fresh raconte l'histoire de Michael (Sean Nelson), surnommé Fresh, un garçon de 12 ans faisant passer de la drogue pour le compte des gros dealers locaux (notamment Giancarlo Esposito). S'inspirant des leçons d'échecs de son père (joué par Samuel L. Jackson), un maître du blitz (forme d'échecs où les coups se jouent très rapidement), Fresh établit un plan pour sortir sa sœur droguée (N'Bushe Wright) et lui-même de leurs vies sans espoir.

A travers le succès des films de Spike Lee et des cultissimes Boyz'n the Hood de John Singleton (1991) et Menace II Society des frères Hughes (1993), le « film de ghetto » est un sous-genre en essor au début des années 90. Il s’imprègne de l’imagerie et des excès du gangsta rap triomphant dans les charts (tout comme la Blaxploitation s’inscrivait dans le sillage de la soul 70’s), témoigne d’une réalité sociale violente et définit une nouvelle forme de polar urbain. C’est l’occasion de casting témoignant de la diversité ethnique de ces ghettos à travers les communautés noires ou latino aux Etats-Unis, d’une découverte des nouveaux codes criminels avec la culture des gangs. Les avatars ne manqueront pas, plus ou moins bons et surtout s’étendront à d’autres pays pour de grandes réussites comme La Haine de Matthieu Kassovitz (1995) en France ou La Cité de Dieu de Fernando Mereilles (2002) au Brésil. 

Dans ce courant, Fresh est un opus aussi méconnu qu’atypique. Il s’agit du premier film du scénariste Boaz Yakin, qui s’était fait connaître en donnant dans un versant plus tape à l’œil du polar urbain avec Punisher (1989) et La Relève de Clint Eastwood (1990). Avec Fresh, Yakin s’attèle à une œuvre plus intimiste et qui tout en respectant le réalisme attendu d’une vision des ghettos US dénote dans le genre par son ton, certains choix artistiques (on n’entend pas un seul morceau de rap du film, dominé par la bande-originale mélancolique de Stewart Copeland) et dramatique notamment le point de vue d’un jeune adolescent. Dès l’ouverture l’enchevêtrement inextricable entre le quotidien et la réalité criminelle du ghetto frappe lorsqu’on suit le jeune Michael « Fresh » (Sean Nelson) opérer comme coursier sur le chemin de l’école pour les dealers du quartier. 

Retardé par les différents intermédiaires (où le sens du détail inscrit destin partout telle cette mama latino joviale au bras criblés de piqûres), il finit même par arriver en retard en classe. La loi du ghetto oriente dès le plus jeune âge vers le chemin de la délinquance et rien ne semble pouvoir rien y changer. Yakin le développe subtilement dans le quotidien de de l’école et la camaraderie avec les attitudes des ados reprenant gestuelle et langage gangsta, à travers la réalité sociale aussi avec Michael vivant dans un appartement exigu avec sa tante et ses cousines. Le réalisateur ne donne pas dans le sordide mais plutôt sépare bien grâce à la photo de Adam Holender l’intime sinistre aux teintes sombres et les couleurs chaudes des scènes de rue supposées signifier l’exaltation et le panache de cette vie. 

Une anomalie vient pourtant ce glisser avec la mélancolie que dégage le personnage de Fresh, interprété tout en retenue par Sean Nelson. Il suit cette voie contraint, emprisonné par un déterminisme social qui frappe tout son entourage notamment sa sœur (N'Bushe Wright) junkie sous la coupe du redoutable dealer Esteban (Giancarlo Esposito). Les longs plans sur le regard pensif de Fresh tout comme les nombreux fondus enchaînés installent une forme de spleen planant qui donne une certaine hauteur au récit, tandis que des éléments plus concrets révèleront les aptitudes qui permettront à Fresh de s’en sortir. 

Le culot et la gouaille de l’adolescent se conjuguent à une intelligence hors pair rôdée aux parties d’échecs menées avec son père (Samuel L. Jackson excellent en mentor abîmé par la vie). Ce dernier lui racontera ses hauts et ses bas face aux grands joueurs d’échecs qu’il a pu rencontrer, tout en lui expliquant que dans l’urgence d’une partie au parc du quartier il pourrait facilement battre n’importe quel cador mondial. La réalité du ghetto oblige à penser vite et bien si l’on veut survivre et ce sera l’apprentissage de Fresh avant de mettre en place un plan audacieux pour échapper à sa condition.

Le film donne dans le coming of age classique mais dont les passages obligés (les sorties avec les copains, les premières amours) sont zébrées par des éclairs de violence révoltants où la mort frappe au hasard, même les enfants ayant le tort de se trouver au mauvais endroit aux mauvais moments (insoutenable scène du terrain de basket). Boaz Yakin use de ce point de vue juvénile pour verser dans la tonalité de conte (voie qu’empruntera notamment l’excellent et méconnu polar  La Peur au ventre de Wayne Kramer (2005) et Boaz Yakin à nouveau dans le plus récent Safe (2012)) où Fresh est une sorte de Petit Poucet qui n’a que son astuce pour vaincre les multiples ogres qui l’entourent. Le réalisme cru et cette imagerie s’entremêlent constamment, notamment lors d’une scène nocturne où les jeux d’ombres engloutissent Fresh et un ami surpris par des hommes de mains brutaux. La caractérisation méticuleuse de tous les protagonistes (même les plus secondaires au premier abord), l’identification précise des lieux et des business illégaux qui s’y déroule (la nature des différentes drogues distribuées par chacun des dealers aura son importance) permettent de rendre crédible les manœuvres de Fresh tout en conservant un suspense haletant. 

Boaz Yakin ne donne jamais dans la facilité, son héros est à la fois stoïque et vulnérable, le contexte cru évitant les écarts à la Maman j’ai raté l’avion (1991) et son gamin jamais effrayé de faire face à des malfrats – même si bien sûr l’objectif des films diffère. Tout tient finalement à cette émotion contenue si longtemps et que Fresh laisse éclater lors d’une magnifique dernière scène où il peut enfin avoir son âge et laisser couler ses larmes. 

Inédit en dvd zone 2 français (alors qu'il avait eu droit à une sortie salle française à l'époque) mais trouvable en dvd zone 1 avec sous-titres anglais et une vf 

 

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