Dans les Cornouailles, Roderick Fitzgerald et sa sœur
Pamela achètent, pour une somme dérisoire, une maison surplombant une
falaise. Ils ont emménagé depuis peu quand ils s'aperçoivent que la
demeure est hantée. La nuit venue, on y entend en effet les sanglots
d'une femme...
The Uninvited marque l'incursion de la Paramount dans le fantastique et constitue une œuvre à la croisée des chemins du genre à l’époque. Le décorum gothique stylisé évoque les classiques Universal du début des années 30, son climat oppressant baigné de l’aura d’une disparue rappellera forcément Rebecca (1940) d’Alfred Hitchcock et son fantastique explicite baigné de psychanalyse côtoie les succès suggestifs de la RKO produits par Val Lewton. Le film adapte le roman éponyme de l’écrivain irlandais Dorothy Macardle et retranscrit cette tradition du fantastique littéraire anglo-saxon où les fantômes, plus qu’une menace directe, sont des réminiscences accrochées aux lieux qu’ils hantent et altèrent le caractère des vivants - tradition que prolonge un classique comme Shining (1980). Ici nous aurons donc Roderick Fitzgerald (Ray Milland) et sa sœur Pamela (Ruth Hussey) qui en vacances tombent sous le charme de cette demeure surplombant les hauteurs d’une falaise, un cadre de rêve dont ils s'étonneront du prix d’acquisition dérisoire. La mise en place est parfaite en isolant discrètement la menace surnaturelle dans une pièce, l'atelier de peinture des anciens propriétaires où s’instaure le malaise par une espace glacial en plein été, qui fane les fleurs fraîchement cueillies et éveille la mélancolie de celui qui y reste trop longtemps - Milland qui joue un air romantique au piano devient peu à peu très triste. Plus tard, ce seront les sanglots nocturnes d'une femme qui viendront perturber les nuits des nouveaux habitants.
Le mystère ambiant de ces manifestations est également fort bien amené avec un lien qui se fait avec la jeune Stella (Gail Russell), fille de l'ancienne propriétaire suicidée des lieux et qui y a vécu dans son enfance. Attirée par la demeure, sa présence en accentue l’aura malfaisante et suggère que son destin est lié aux drames passés qui s’y sont déroulés. Lewis Allen, dont c’est le premier film, déploie une imagerie flamboyante avec des cadrages qui magnifient la puissance évocatrice du décor. Le poids du secret plane sur ces visions aériennes de la falaise, la photo de Charles Lang - qui entre Peter Ibbetson et le postérieur L'Aventure de Madame Muir sait y faire dans ce registre - pose l’ambiance surnaturelle par des jeux d'ombres opaques où les pleurs des spectres se perdent dans les ténèbres indistinctes de la demeure.
Ces qualités mettent en valeur une direction artistique impeccable, notamment ce fameux atelier donnant une vue sur la mer. Le mystère et l’atmosphère pesante fonctionnent mais le film finit néanmoins par souffrir de son manque d’identité. L’esthétique, aussi soignée soit-elle, ne fait jamais réellement ressentir l’âme torturée des esprits, que ce soit dans la suggestion ou l’explicite. Tous les éléments visuels précités servent une esthétique gothique soignée mais impersonnelle, dont le film a à souffrir face au modèle Rebecca dans lequel Hitchcock imprégnait chaque mur de Manderley de l’aura de l’épouse défunte quand Lewis Allen cherche juste à inquiéter, sans façonner, un malaise plus personnel. Le choix de montrer les fantômes - imposé à Allen - est un aveu d’échec pour rendre réelle leur présence, d’autant qu’on découvrira qu’ils sont deux et animés d'intentions très différentes sans que cela se traduise par la mise en scène.
L’imagerie est un écrin mais pas un moyen de narration où chaque révélation passera essentiellement par le dialogue. Parfois cela fonctionne tout en étant lourdement explicite, comme ce très théâtral personnage d’infirmière cachant à peine son amour lesbien pour une disparue dont elle scrute le portrait avec passion. Plutôt que de plonger de plain-pied dans le fantastique, le récit opère dans le sous-genre du murder mystery avec une laborieuse enquête qui entrecoupe chaque moment fort qui aurait permis à l’ensemble de prendre son envol. L’appel maléfique de la falaise donne lieu à un vertigineux moment préfigurant une séquence identique de Sueurs Froides (1957) - avec l’image emblématique de Gail Russell au bord du précipice -, tout comme une glaçante scène de spiritisme.
Ce refus de franchir le pas de la terreur pure joue aussi sur l’interprétation où si Gail Russell dégage une présence mystérieuse et virginale, Ray Milland finit par agacer par sa désinvolture comique - son registre de prédilection, même si ses rôles suivants comme dans Le Poison (1945) de Billy Wilder changeront bientôt la donne. Quelques dialogues piquants et un décalage amusé face à l’inconnu font leur effet ici et là mais empêche l’implication complète. Cette schizophrénie est parfaitement résumée lors de l'ultime face-à-face entre Ray Milland et le fantôme malfaisant, fascinant à l'image - les effets spéciaux de Farciot Edouart sont remarquables - mais frustrant par son ton comique représentatif du grand écart malheureux que propose le film. Que l’on ne s’y trompe pas, La Falaise mystérieuse est un vrai beau film fantastique mais auquel il manque un regard, une proposition marquée. C’est d’autant plus vrai qu’à la même période, John Brahm signait à la Fox une trilogie gothique - The Undying Monster (1942), Jack l'Éventreur (1944) et Hangover Square (1945) - au ton autrement plus dérangeant.
Sorti en dvd zone 2 français chez Wild Side
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