Pour surmonter des
difficultés financières et gagner son indépendance, une jeune femme, Nelly
(Emmanuelle Béart) fait plusieurs petits boulots. Par l'intermédiaire d'une
amie, Jacqueline (Claire Nadeau), elle rencontre dans un café un riche
retraité, Pierre Arnaud (Michel Serrault), qui lui propose de dactylographier
ses mémoires. Nelly accepte. Elle quitte son mari Jérôme (Charles Berling) et
passe de plus en plus de temps avec Monsieur Arnaud. Elle entre ainsi en rapport
avec Vincent (Jean-Hugues Anglade), qui se propose d'éditer le livre.
Avec cette œuvre sensible, troublante et feutrée, Claude
Sautet conclut sa filmographie en apothéose avec Nelly et Monsieur Arnaud. Sautet avait exploré sous toutes ses
formes la thématique de l’homme mûr indécis entre vulnérabilité et machisme
traditionnel dans la société française en mutation des 70’s (Les Choses de la vie (1969) César et Rosalie (1972), Vincent, François, Paul... et les autres
(1974), Mado (1976), Une histoire simple (1978)). Il parvint
à totalement se réinventer dans les 80’s en capturant cette fois les tourments
d’une jeunesse écorchée vive et en manque de repère dans les superbes Un mauvais fils (1980) et Quelques jours avec moi (1988) où il
bousculait le ton austère et la forme maîtrisée de ses films précédents par une
touche d’excentricité et de fougue où la sensibilité du drame ne s’estompait
pas. Nelly et Monsieur Arnaud
apparait à la fois comme une nouvelle mue tout en étant un aboutissement de ces
deux axes de sa filmographie, représenté par les personnages-titres.
A travers l’amitié trouble se nouant entre la jeune Nelly (Emmanuelle
Béart) et le riche retraité Monsieur Arnaud (Michel Serrault), c’est tout un
pendant des personnages emblématiques de Sautet qui renaît sous une forme plus
sobre. Pierre Arnaud représente ainsi au soir de la vieillesse les figures
masculines ambitieuses et handicapées sentimentalement des 70’s. La biographie
qu’il rédige retrace ainsi un parcours qui le vit passer du magistrat idéaliste
à l’homme d’affaire froid pour aboutir à une vieillesse en solitaire, séparé de
son épouse et voyant rarement ses enfants sans que cela ne semble l’affecter
outre mesure. Nelly quant à elle, entre deux boulots précaire et une vie
sentimentale sans but aboutissant d’entrée par une séparation d’avec son mari
(Charles Berling) reprend la résignation en plus et la folle énergie en moins
le relai des Patrick Dewaere et Daniel Auteuil pour cette jeunesse sans but.
Nelly comme Monsieur Arnaud se satisfont, l’une par l’apathie, l’autre par l’indifférence,
de leurs solitudes respectives. La reconnaissance polie de Nelly répond ainsi à
la philanthropie détachée de Monsieur Arnaud lorsque ce dernier la secoure
financièrement. L’évolution se fera lorsqu’ils se verront au quotidien pour
rédiger les mémoires de Monsieur Arnaud.
La simple dictée de départ devient plus impliquante pour Monsieur
Arnaud, tout comme la rédaction pour Nelly à travers leurs échanges. Michel
Serrault alterne ainsi bonhomie et détachement de plus en plus forcé, perturbé
qu’il est par cette jeune femme opaque. Sautet les oppose par leur
positionnement à l’image, par le dialogue et par le jeu très différent de
Michel Serrault et Emmanuelle Béart. Monsieur Arnaud arpente son bureau en tous
sens quand Nelly reste figée à son bureau, soliloque sur sa vie tant dans la
dictée de ces mémoires que dans des anecdotes plus personnelles qui n’y figurent
pas alors que Nelly garde ses distances et est peu diserte. La construction du
film inverse d’ailleurs en partie cette approche, les éléments du quotidien de
Monsieur Arnaud n’intervenant presque toujours que dans le cadre de son
appartement et sous le regard de Nelly (les coups de fils de sa femme, les
visites étranges de Michael Lonsdale, la rencontre avec sa fille) quand cette
dernière voit son quotidien bien plus fouillé (ses amis, son divorce, sa
romance naissante) comme pour offrir un contrepoint à cette apparente froideur.
Au fil des entrevues, le rapport change et l’ouverture à l’autre de chacun
répond à cette caractérisation initiale. Monsieur Arnaud moins centré sur
lui-même questionne sans succès Nelly sa vie et celle-ci par ses critiques et
réflexion sur l’ouvrage qu’elle tape laisse deviner un intérêt, une proximité
et finalement un attachement pour le vieil homme. Sautet procède par esquisses,
l’évolution de Monsieur Arnaud faisant évoluer son caractère gentiment bougon
par un semblant de jalousie quand Nelly nouera une liaison avec son éditeur
(Jean-Hugues Anglade). Pour Nelly cela passe par le regard (on a le sentiment qu'elle lève soudainement enfin les yeux sur Monsieur Arnaud) d’Emmanuel Béart
perdant peu à peu de sa nature indéchiffrable pour se faire plus tendre et
finalement par le geste quand un massera Arnaud victime de douleurs lombaires.
Le sommet de cette complicité sera une belle scène de dîner où Sautet traduit
subtilement la reconnaissance et l’affection pour l’autre qui remplis si bien
sa vie.
L’écart d’âge semble empêcher chacun d’envisager une
possible romance ou en tout cas sa supposée attente se fera en décalage. Si
Monsieur Arnaud lui fait retrouver confiance en elle, Nelly ira plutôt se jeter
au bras de Jean-Hugues Anglade. Lorsque Nelly rompra (une scène de rupture
glaciale et cruelle typique de Sautet) et fera enfin de son bienfaiteur un vrai
confident, ce sera le moment où ce dernier décidera enfin de briser sa solitude
casanière. Le désir et l’amour que ressentent les deux personnages ne s’expriment
alors qu’avec ce mélange d’intimité et de recul. On pense à cette magnifique
scène où Monsieur Arnaud observe Nelly dormir et n’ose toucher sa peau nue.
La brusque
séparation finale où les regards en disent plus que la timide étreinte est tout
aussi poignante. La dernière scène inverse leur rapport à l’espace, en
exprimant par l’image le regret de ce qui aurait pu être et le manque que l’on
ressentira de l’autre. L’éternelle solitude se ressent avec cette fois un
Michel Serrault figé en gros plan le regard perdu et cette fois Emmanuelle en
mouvement arpentant d’un pas spectral une rue où le temps semble comme s’être
arrêté. Entre amitié et romance inassouvie, Claude Sautet tisse un délicat
entre-deux où ses héros ont toujours autant de difficultés se livrer. Magnifique.
Sorti en dvd zone 2 français et bluray chez Studiocanal
Belle interview d'époque
Belle interview d'époque
Hello Justin, je ne l'ai pas revu depuis sa sortie, mais j'en garde un beau souvenir.
RépondreSupprimerStrum
PS : je vois que tu es passé à Splendeurs et misères des courtisanes. J'espère qu'Illusions Perdues t'a plu !
Et oui une nouvelle fois bien cueilli par Sautet il me reste encore à découvrir Un coeur en hiver et j'aurai tout vu !
RépondreSupprimerEt sinon oui j'ai vraiment beaucoup aimé Illusions Perdues, récit social, romanesque et moral touchant et cruel ça m'a bien captivé. Splendeurs et misères des courtisanes démarre tout aussi bien j'ai enchaîné direct ! ;-)