À Paris, André
Chatelin, restaurateur aux Halles à l'enseigne Au rendez-vous des Innocents,
est un modèle d'homme droit, patron paternaliste et le cœur sur la main. Mais
un beau matin, une jeune fille tout juste arrivée de Marseille se présente à
son restaurant. Elle dit être Catherine, la fille de Gabrielle, première femme
de Chatelin, dont il est divorcé et n'a plus de nouvelles depuis vingt ans.
Selon Catherine, Gabrielle vient de mourir, et elle n'a nulle part où aller.
Chatelin lui offre alors son hospitalité. Mais insidieusement, Catherine mène
un jeu trouble auquel Chatelin ne voit que du feu.
Pour Julien Duvivier Voici
le temps des assassins sonne comme la réponse noire et désespérée au
romantisme naïf et flamboyant de Marianne de ma jeunesse (1955), son film précédent fraîchement accueilli par la
critique et le public. Ce sera l’occasion des retrouvailles entre Duvivier et
Jean Gabin, qui avaient tournés La
Promesse (1944) le temps de leurs exil Hollywoodien sous l’Occupation mais
dont les grandes collaborations remontaient aux années 30 avec les mythiques La Bandera (1935), La Belle équipe (1936), Pépé le Moko (1937) entre autres… Ce sera avec Touchez pas au grisbi de Jacques Becker (1954) un des films qui
reconstruira l’image de Jean Gabin aux yeux du public, pas encore le « Patron »
et plus le jeune premier écorché vif des années 30.
Les grands classiques de Duvivier avaient souvent été
empreints d’une vraie noirceur mais le lyrisme et le romanesque l’emportaient
toujours malgré les conclusions tragiques. S’il s’adonne à la plus franche
comédie dans certains de ses films d’après-guerre (Le petit monde de Don Camillo (1952) et Le Retour de Don Camillo (1954) qui restent ses plus gros succès),
c’est également là qu’il signe ses films les plus nihilistes. Les fantômes de l’Occupation
planent au-dessus de Panique (1947)
avec son racisme ordinaire et sa peur de l’autre, mais également Marie-Octobre (1959) où la fraternité de la
Résistance se voit ébranlée par la suspicion. Même n’évoque pas frontalement le
sujet, on peut tout à fait y associer Voici
le temps des assassins. Le personnage faussement angélique Catherine
(Danièle Delorme) est le portrait d’une jeunesse précocement avilie par la
misère de cette Occupation, et prêt à tout pour ne pas y retomber. Tout comme
dans La Belle équipe, c’est l’aura
corruptrice d’une séductrice qui viendra briser un espace de fraternité.
Duvivier filme dans une approche réaliste (les extérieurs tournés sur place, et
les intérieurs minutieusement reconstitués en studio) l’activité foisonnante
des Halles (superbe photo de Armand Thirard), la camaraderie des maraîchers qui
se connaissent tous et dont l’allant
teinté de bonhomie est bien représenté par le restaurateur André Chatelin (Jean
Gabin). Catherine, fille de l’ex-épouse de Chatelin va venir y semer le chaos.
Le choix de Danièle Delorme peut surprendre mais alors que
le choix d’une vamp pulpeuse aurait été trop évident, la candeur de l’actrice peut bien plus aisément laisser s’immiscer
la discorde chez ses interlocuteurs ne soupçonnant pas sa duplicité. Un regard
enjôleur, une déclaration d’amour innocente, une allusion ambigüe, tout cela
suffira à enflammer le cœur du vieux Chatelin comme du jeune fils spirituel
Gérard (Gérard Blain) et les brouiller sans raison. Jean Gabin incarne un
personnage gentiment bourru et attachant qui ne voit rien venir, tant sa vie
semble destiner à être dominée par des femmes fortes. Chacune symbolise une
figure de cauchemar où la fragilité de Catherine dissimule une âme
pervertie, l’ex-épouse en fait bien vivante Gabrielle (Lucienne Bogaert) tire
les ficelles du complot en coulisse et la mère de Chatelin (Germaine Kerjean
qui n’avait en fait que 10 ans d’écart avec Gabin) véritable harpie castratrice
et envahissante – on pourrait même y ajouter la vieille domestique intrusive
jouée par Gabrielle Fontan. Elles auront toutes droit à une scène montrant l’envers
monstrueux de cette féminité que ce soit le regard meurtrier et fou de
Catherine lors d’un meurtre révoltant dans la dernière partie – la Jean Simmons
du final de Un si doux visage (1952) n’est
pas loin - , le visage déformé par le manque de Gabrielle devenue junkie, et la froideur impitoyable de la mère
Chatelin qui châtie sa belle-fille à coups de fouet lors séquence hallucinante.
Toutes les aspirations légitime à une existence douce
(matérielle, sentimentale…) guide les personnages vers un point de non-retour
dont il sera impossible de revenir. Visuellement tous les éléments positifs
initiaux se voient teintés de cette noirceur. L’espace convivial du restaurant
se resserre peu à peu ne plus capturer que la jalousie et la suspicion
naissante, le fourmillement pittoresque des travailleurs des Halles s’interrompt
saisir un bagarre brutale et Duvivier inverse même l’imagerie de ses films
précédent ici avec les rives de la Marne - théâtre de moments de joie hédoniste
dans La Belle équipe - où se
déroulera la tragédie finale. Cette quête d’ailleurs sera synonyme de perte
dramatique (de son âme, de sa vie, d’un proche et surtout de ses illusions)
pour tous les protagonistes dans une conclusion parmi les plus désespérée du
cinéma français des années 50. Un pur diamant noir, un des chefs d’œuvres de
Duvivier.
Sorti en dvd et bluray chez Pathé
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