Pendant la guerre des
Cristeros au Mexique (1926-1929), les prêtres sont assassinés par le pouvoir
révolutionnaire. Un prêtre, déguisé en paysan, revient dans son village et
devient le seul prêtre en activité dans le pays. Il est chassé par les forces
de police et doit fuir…
Dieu est mort est
une des œuvres les plus décriées de John Ford - notamment par son interprète
principal Henry Fonda qui n’aura de cesse d’en dire le plus grand mal, y voyant
sa pire collaboration avec Ford – qui d’ordinaire si critique envers lui-même
en faisait son film préféré, celui où il s’est senti le plus libre. Adapté du
roman de Graham Green La Puissance et la
Gloire, Dieu est mort (titre
français bien plus poétique que le simple The
Fugitive original) est le second film de Argosy Pictures, la société de production
montée par Ford avec Merian C. Cooper. Fort de cette liberté, le réalisateur
signe une de ses œuvres les plus radicales et qui sera d’ailleurs un échec
commercial.
Si le féru d’histoire et le lecteur de Graham Green situe
aisément la période de ce récit ayant pour cadre le Mexique - La guerre des
Cristeros voyant l’affrontement des paysans mexicains, catholiques, contre le
gouvernement, profondément anticatholique, de 1926 à 1929 - Ford ne fait à l’inverse
pas acte d’historien pour nous plonger dans une quête spirituelle. Nous suivons
le dernier prêtre libre du Mexique (Henry Fonda), traqué à travers le pays et à
la foi vacillante. La première scène frappe par le lien qu’elle noue entre l’homme
et son sacerdoce. Figure quasi anonyme perdue dans un paysage désertique, le
fugitif n’existe et ne s’incarne qu’à travers son statut, à l’image et dans les
yeux des autres tout au long du film. C’est ainsi lorsqu’il pénètre dans l’église
de son ancienne paroisse que la grâce du personnage s’impose, sa silhouette se
dessinant dans la lumière immaculée des lieux abandonnés tandis que la simili
Marie Madeleine incarnée par Dolores del Río l’implore de baptiser son
nourrisson.
Malgré la symbolique plus qu’appuyée formellement (la photo tout en
contraste et jeu d’ombres de Gabriel Figueroa, futur collaborateur de Luis Buñuel), Ford ne fait pas de son héros un
saint. Au contraire Henry Fonda apparait profondément démuni et humain dans ce
monde en désolation où l’apaisement ne repose plus que sur cette religion
catholique proscrite dont il est désormais le dernier représentant. Chaque péripétie
le renvoie à cette fonction, tant par le danger qu’elle représente pour lui que
par le répit qu’elle exprime pour les âmes en peine du pays. Le prêtre se confronte
ainsi à des situations éprouvant sa foi dans ses ultimes extrémités et auxquelles,
homme ordinaire cherchant à survivre plutôt que martyr il ne saura pas toujours
répondre.
On pense à ce chantage à l’exécution par l’armée où, s’il se
propose à la place du malheureux condamné il n’osera pas avouer qu’il est le
prêtre que tous recherchent. Dans ce contexte hostile, l’aide aux autres n’est
pas instinctive mais le fruit d’un effort au mépris de sa propre survie. Cette
dualité passe merveilleusement à travers la prestation d’Henry Fonda dont la
présence naturellement douce et bienveillante s’orne d’un halo de doute. On
pense à cette superbe scène où sur le point d’embarquer en bateau pour l’étranger
et fuir ce chaos, il est sollicité par un enfant pour veiller sa mère mourante.
L’appel hors-champ de l’enfant fait presque figure de sollicitation intérieure et mystique
que le héros feint d’ignorer avant d’être ramené à la réalité et à ses
obligations. Le personnage n’est jamais nommé par son nom si ce n’est dans la
dernière scène car il n’est pas accompli, il n’a pas (re)trouvé la foi, fuyant
ou se soumettant avec douleur aux épreuves auxquelles il se destine. Cette
hésitation ne l’en rend que plus attachant qu’une figure de saint/martyr à la
vertu inaccessible et renforce l’empathie face à ses peurs légitimes. La scène
emblématique de cette idée, entre courage et lâcheté, sera celle où il ira
chercher du vin pour célébrer une messe mais où il n’osera de peur d’être
démasqué arracher la bouteille aux parasites qui la boivent allégrement.
A l’opposé du vacillement constant de Henry Fonda, Ford nous
montre d’autres protagonistes plus lâches répondant aux mêmes questionnements de manière
indigne. Le lieutenant de police incarné par Pedro Armendáriz souhaite
éradiquer la religion comme pour éteindre la croyance en Dieu encore vivace en
lui, ce reniement rejoignant aussi celui de son passé et de sa race – son rapport
ambigu avec Dolorès del Rio, le mépris qu’il a pour les indiens mexicains
ignorant et pieux. Le malfrat El gringo (Ward Bond) et le mouchard crasseux (J.
Carrol Naish) sont également de purs figures négatives et corrompues fuyant le
spirituel dans la dépravation mais qui finalement dans l’adversité de la mort
et du dénuement sont tout autant dans l’attente, l’espérance du spirituel.
Tous
devront faire face à leurs contradictions dans leur rapport à Henry Fonda
désormais apaisé, sur de sa foi qu’il est enfin prêt à assumer jusqu’au bout. John
Ford malgré un certain manque de subtilité dans l’imagerie pieuse en reste
cependant au cheminement initiatique et spirituel sans tomber dans la bondieuserie.
Les derniers instants le confirment, la solennité de la marche finale d’Henry
Fonda restant à hauteur d’homme malgré la stylisation. La dernière scène avec ce
portail baigné de lumière « divine » ramène également à l’humain avec
une affirmation d’identité autant que de foi dans sa dernière phrase. Inégal,
un peu longuet et un parfois trop appuyé dans son propos, Dieu est mort n’en demeure pas moins une œuvre captivante et parmi
les plus audacieuses de John Ford.
Sorti en dvd zone 2 français aux Editions Montparnasse
Extrait
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