Le Manoir du mystère marque le point final provisoire (son ultime réalisation Endless Night (1972) marquera un retour aux sources) de l’obsession hitchcockienne de Sidney Gilliat. Avant de devenir les rois de la comédie anglaise durant les années 50, Sidney Gilliat et son partenaire Frank Launder coururent après la quête de la recette du thriller hitchcockien, d’abord en collaborant avec le maître du suspense pour lequel ils écriront Une Femme disparaît (1938) et sa variation réalisée par Carol Reed Train de nuit pour Munich (1940). Gilliat et Launder vont ensuite briller dans les récits à suspense, que ce soit le whodunit médical La Couleur qui tue (1946) et surtout l’haletante traque de Secret d’état (1950). La réussite exceptionnelle de ce dernier voyait Gilliat presque égaler son modèle sur le postulat fétiche du faux-coupable, et permettait au réalisateur de passer à autre chose avec cette mue vers la comédie.
Le Manoir du mystère marque dont une « rechute » fort plaisante autour de ce modèle hitchcockien. En adaptant le roman Fortune is a woman de Winston Graham, un fois n’est pas coutume Gilliat précède Hitchcock puisque ce dernier adaptera quelques années plus tard le même auteur avec Pas de printemps pour Marnie (1964). La scène d’ouverture plongeant dans les entrailles du manoir de Lewis Manor reprend l’ouverture inquiétante de Rebecca (1940) avec une obsédante et inquiétante atmosphère gothique. Ce lieu hante l’agent d’assurance Branwell (Jack Hawkins) qui, venu y enquêter pour un incendie accidentel va y retrouver Sarah (Arlene Dahl), un amour passé désormais mariée à Tracey Morton (Dennis Price) maître du manoir. Tout en renouant avec Sarah, une série d’évènements font suspecter à Branwell une fraude à l’assurance dont elle pourrait être complice. Un nouvel incendie puis un meurtre va emmener les amants dans une spirale de doute et de suspicion. Sidney Gilliat nous embarque dans un scénario machiavélique qui multiplie les suspects et les fausses pistes, jusqu’à un retournement final que l’on aurait vraiment du mal à voir venir, tout en étant parfaitement logique. Entretemps, le brio formel du réalisateur aura fait son effet, notamment dans cette tonalité gothique, cette obsession pour le manoir et son panorama, dont les secrets se révèlent par procuration dans un tableau le représentant. Gilliat signe une vraie grande scène de frayeur lors de l’intrusion nocturne de Branwell dans le manoir, la seule recherche de fraude découlant sur une découverte réellement macabre. La scène se déroulant durant une pleine lune, les vitraux du manoir font passer un clair-obscur menaçant sur l’intérieur vide du manoir, au gré du passage des nuages devant la lune. Le travail conjoint de la photo de Gerald Gibbs et du montage font progressivement monter la tension au gré des pérégrinations de Branwell dans un ton lorgnant grandement sur le fantastique. Malheureusement Gilliat abandonne ces amorces plus mystiques (si ce n’est à la fin pour un retour tout aussi réussi dans les ruines du manoir) pour une enquête plus terre à terre sur les rives du film noir. L’intrigue imprévisible réserve néanmoins son lot de surprise et de personnages retors, mais il est dommage (même si cela reste certainement soumis à l’intrigue du livre) que les élans plus oniriques et insaisissables ne soient pas plus approfondis au vu du brio visuel de Gilliat pour les amener. C’est d’autant plus regrettable que Hitchcock y plongera de plain-pied l’année suivante avec Vertigo (1958). Reste un très efficace et prenant suspense classique.vendredi 13 juin 2025
Le Manoir des mystères - Fortune is a woman, Sidney Gilliat (1957)
jeudi 12 juin 2025
Mannequin à Paris - It Happened in Paris, Carol Reed (1935)
Mannequin à Paris est une œuvre gagnant son passage à la postérité pour être la première réalisation de Carol Reed. Après des débuts au théâtre, tout d’abord sur scène et encore adolescent en tant qu’acteur, puis en coulisse en étant l’adapteur attitré des adaptations théâtrale de l’auteur de thriller Edgar Wallace, Carol Reed intègre le monde du cinéma. Il est engagé au sein de Associated Talking Pictures, compagnie de production de Basil Dean. Il y gravit progressivement les échelons à travaillant à tous les postes (assistant, réalisateur de seconde équipe) jusqu’à enfin avoir l’opportunité de passer à la mise en scène avec It Happened in Paris. C’es d’ailleurs une coréalisation puisque si Reed y fait ses débuts, cela marquera la dernière expérience derrière la caméra de Robert Wyler, frère de William Wyler pour lequel il fera ensuite office de scénariste et producteur sur quelques-uns de ses plus fameux films (Histoire de détective (1951), Vacances Romaines (1953), La Maison des otages (1956), Les Grands Espaces (1958)).
Le film est l’adaptation de L’Arpète, pièce de d'Yves Mirande et Gustave Quinson jouée en 1928 et déjà transposée une première fois au cinéma dans une version muette réalisée par Émile-Bernard Donatien. Le film s’inscrit dans le système de production et la veine sociale des premiers films de Carol Reed, les quota quickies soit ces œuvres de complément de programme à brève durée ouvrant pour les titres plus prestigieux des majors américaines. S’il est difficile de déjà déceler l’identité de Reed dans ce contexte, on retrouve néanmoins la loufoquerie et l’observation des petites gens présentes dans les quotas quickies où il sera seul maître à bord comme le beau Bank Holiday (1938) ou encore La Grande Escalade (1938). L’intrigue se déroule dans le Paris bohème et romantique tel que fantasmé par les artistes en herbe durant les années 20 et 30. Nous allons suivre la rencontre et les amours de deux artistes frustrés. L’Américain Paul (John Loder) est un aspirant peintre installé dans un atelier miteux en attendant une espérée reconnaissance, tandis que la française Jacqueline (Nancy Burne) végète en tant que mannequin tout en aspirant devenir une grande couturière. La brièveté du film (1h06 à peine) ne tergiverse pas trop dans le rapprochement des deux jeunes gens, usant d’un étonnant et osé gag pour orchestrer la rencontre (il est question d’une culotte tombant au mauvais endroit et de quelques dialogues grivois) puis du motif plus classique mais joliment amené du vis-à-vis de fenêtre d’immeuble source de conflit puis de complicité. Il y a une plaisante simplicité, oscillant entre leitmotiv de screwball comedy et un pur ressort formel pour tisser le lien amoureux, notamment lors de la belle scène où Paul peint une Jacqueline endormie puis en profite pour l’embrasser avec son consentement amusé. La vie de bohème, les déconvenues professionnelles respectives et la touchante entraide entre les deux amants en quête de reconnaissance semble en grande partie constituer le socle de leur relation. Le « contrat » s’avère donc trahi lorsqu’il s’avère que Paul est un riche héritier absolument pas dans le besoin, les efforts et sacrifices ayant unis le couple s’en trouvant alors biaisés à travers plusieurs rebondissements. La séparation et les retrouvailles ne s’embarrassent pas trop d’une dimension dramatique complexe, mais reposent sur de belles idées narratives et formelles - les germes de la grâce d'une réussite comme Sentimentalement votre (1972) sont déjà là. C’est particulièrement vrai lors de la dernière séquence, magnifique aveu involontaire suite à un quiproquo. D’ailleurs le soin amené à toute les séquences du salon de couture et de l’exhibition des robes annoncent le raffinement à venir de Reed dans ses œuvres plus personnelles. De plus le film ayant entièrement été filmé en studio, Paris y apparaît dans une féérie stylisée lors de plan d’ensemble d’inspiration impressionniste par leur épure urbaine. Une modeste réussite mais le talent était déjà là.Disponible en streaming sur la plateforme MyCanal
mardi 10 juin 2025
Le Feu follet - Louis Malle (1963)
Louis Malle signe avec Le Feu Follet un de ses sommets, avec une des plus intenses expression de la dépression au cinéma. Malle adapte le roman éponyme de Pierre Drieu la Rochelle, publié en 1931. L’ouvrage est en grande partie autobiographique, témoignant de la vie dissolue et de la personnalité torturée de Drieu la Rochelle, auteur salué du surréalisme avant une bascule fasciste qui en fera une des figures les plus en vue durant l’Occupation allemande. Louis Malle transpose l’ouvrage à l’époque contemporaine et édulcore en partie les addictions du héros, passant de toxicomane à alcoolique.
L’une des forces du film, c’est de capturer la nature insaisissable et irrépressible de la dépression. Alain Leroy (Maurice Ronet) est certes interné pour alcoolisme, mais c’est une des conséquences davantage que la cause de son mal. L’isolation de la société mondaine de ses anciennes frasques l’apaise non pas par l’éloignement de la tentation alcoolisée, mais car la superficialité de ce cadre exacerbe son mal-être. La routine de sa cure et les excentriques authentiques qu’il y côtoie sont plus incarnés que la pantomime des nantis, Alain a lâché prise avec la vie et même l’amour d’une femme ne saura l’y raccrocher de nouveau. La force du film vient en grande partie de la double identification à Leroy se faisant à la fois pour Louis Malle et Maurice Ronet. La vacuité de la vie mondaine et de la mentalité bourgeoise est ancrée dans les origines sociales de Malle tandis que Ronet est un écorché habitué à brûler la vie par les deux bouts. Le réalisateur et l’acteur s’influencent l’un l’autre dans la caractérisation (dans un mimétisme qui se prolongera à la ville), chacun amenant des éléments de son expérience intime, notamment la chambre de Leroy en cure comportant les effets personnels de Louis Malle. Passant du cadre presque hors du temps du centre de désintoxication à la réalité urbaine et sociale parisienne, Le Feu follet brille par la longue errance sans but de sa deuxième partie. Grisaille oppressante de la ville, puis malaise des espaces de vie où l’on se sent épié et commenté (les brasseries parisiennes), et enfin la suffocation des dîners mondains durant lesquels se disputent commisération gênante ou mépris froid. Maurice Ronet est au-delà de l’affliction, du dégoût ou de la colère, c’est un être éteint incapable d’aimer et refusant de l’être en retour. Il n’attend qu’une chose, que cette douleur lancinante s’arrête. L’absence totale d’hésitation dans le geste fatal et son exécution en forme d’aller simple (une balle dans le cœur) exprime l’absence totale d’un possible appel au secours, mais davantage la volonté d’un point final. Cette conclusion choc ajoute à la puissance du film, qui amorçait là un questionnement autour de la fragilité masculine moderne et le mal-être social que prolongerait le superbe La Vie à l’envers d’Alain Jessua (1964) l’année suivante.Sorti en bluray français chez Gaumont
dimanche 8 juin 2025
Lenny - Bob Fosse (1974)
Lenny est une œuvre qui s’intercale entre deux sommets de Bob Fosse, Cabaret (1972) et Que le spectacle commence (1980). Bien que ne traitant pas des bonheurs et des maux du spectacle chanté et dansé, Fosse n’en traite pas moins des coulisses d’un autre grand art scénique, la comédie stand-up. L’un des inventeurs de ce style est sans conteste Lenny Bruce, star comique adulée et controversée durant les années 60 jusqu’à sa mort prématurée à l’âge de 40 ans. Bob Fosse va proposer le portrait de l’artiste dans une forme éloignée des poncifs du biopic et qui sera maintes fois copiée par la suite.
Le récit oscille entre les temporalités, les points de vue et les modes de narration. Il y a notamment une forme semi-documentaire voyant l’entourage proche de Lenny Bruce (son ex-femme, son manager et sa mère) témoigner face caméra sous forme d’interview. Il y des moments scéniques nous montre un Lenny en artiste au sommet de son art et de son irrévérence, partagée avec un passé s’attardant sur ses débuts et sa lente construction de trublion provocateur. Le montage brillant harmonise l’ensemble par un fil rouge intime et public ou chacun des dispositifs rebondissent et se répondent entre eux pour refléter le Lenny d’hier et de demain, le personnage de scène et l’homme. Ainsi à l’amoureux timide vivant un touchant coup de foudre avec Honey (Valerie Perrine) répond un Lenny déjà marqué par les excès mais posant un regard cynique et corrosif sur la relation de couple. Lors que ces différentes échelles de récit se rejoignent progressivement, l’on comprend peu à peu que les épreuves de la vie ainsi qu’une confiance artistique accrue ont permis à Lenny de se construire un alter-ego rebondissant avec férocité sur scène de ses bonheurs et déconvenues dans le privé. Ces nuances sont capturées par la somptueuses photo de Bruce Surtees, dans un noir et blanc magnifique dont les jeux d’ombres et de lumières immergent dans l’ambiguïté de Lenny. Après s’être montré capable de faire cet état des lieux personnel et impudique, il s’agit de faire celui de la société américaine dans son ensemble, ce qui amorcera le début des problèmes avec la justice. Racisme, sexualité, droits des gays, aucun tabous, aucune injustice n’échappe au verbe acéré de Lenny, qui n’épargne pas davantage les autorités ou les personnalités publiques comme les Kennedy. Bob Fosse offre plusieurs perspectives dramatiques dans sa mise en scène des séquences de stand-up. Passé le début où Lenny se cherche dans des propositions impersonnelles correspondant aux standards codifiés de l’époque (imitations, déguisement, jeux de mots), Fosse montre un Lenny dominateur et sûr de lui. Il est capable de retourner une salle qu’il a lui-même rendu hostile par l’usage de termes raciaux offensant en tissant sous la vulgarité un discours progressif et intelligent. Il dénonce l’hypocrisie morale par l’usage explicite de pratiques sexuelles supposées tabous mais pratiquées de tous. Fosse alterne entre le seul filmage de la scène arpentée par Lenny et à l’inverse l’ensemble de la salle de spectacle traversée et la harangue d’un public hilare, ravi de ces interactions. Les cadres figés du début correspondent au style de représentations désuètes auquel se soumet initialement Lenny, avant que l’improvisation typique du stand-up ne contamine la réalisation qui fait alors de la salle un terrain de jeu complice où notre héros est invulnérable – les hilarantes invectives des policiers présents pour le piéger et dont certains étouffent difficilement un rire. Malheureusement l’hostilité et l’opprobre morale du monde extérieur le rattrape hors de ce royaume. S’il parvient par son audace à prolonger la magie dans les cours de tribunal, Lenny est de plus en plus entravé, fragilisé mentalement et psychiquement dès lors qu’il ne peut plus exercer son métier. Dustin Hoffman livre une performance brillante, tout en savant mélange de contrôle et de nervosité, après avoir étudié en profondeur les enregistrements des prestations de Lenny Bruce. Bob Fosse signe un grand film en forme de cri de liberté face au rigorisme et à la bienséance de l’Amérique WASP.Sorti en bluray français chez Wild Side
mercredi 4 juin 2025
Police Story 3: Supercop - Ging chaat goo si III: Chiu kup ging chaat, Staley Tong (1993)
Police Story 3 fut à sa sortie une relance majeure de la saga policière à la gloire de Jackie Chan. C’est le premier film de la saga à ne pas être réalisé par Jackie Chan. En effet la folie des grandeurs avait rendu très dispendieux les précédents essais à la réalisation de la star s’étant façonnée des écrins à la hauteur de ses ambitions dans un enchaînement assez magique (Le Marin des mers de Chine 1 et 2 (1983, 1987), PoliceStory 1 et 2 (1985, 1988), Mister Dynamite (1986), Opération Condor (1991)). Tout en restant très interventionniste (Kirk Wong en fera les frais sur Crime Story (1993), tout comme Liu Chia-liang sur Drunken Master 2 (1994)), Jackie Chan devra donc en partie déléguer à un réalisateur avec l’arrivée de Stanley Tong. Celui-ci, ancien cascadeur, va devenir un partenaire privilégié de la star dont il va contribuer à l’ascension auprès du grand public international avec Contre-attaque (1996), Jackie Chan dans le Bronx (1997).
Police Story 1 et 2 bénéficiaient d’intrigue assez sommaire de polar et de comédie, brodées autour des scènes d’actions désormais mythiques (la destruction de bidonville et le combat dans le centre-commercial de Police Story). Ce troisième opus semble un peu moins conçu dans ce sens, et l’intrigue tout comme les morceaux de bravoure semblent chercher à davantage renouveler la série. Le scénario introduit une figure relativement récurrente et finalement assez spécifique au polar HK, celle du flic infiltré. Si l’on ne plongera jamais dans les dilemmes existentiels et moraux des grands films du genre, c’est une manière de montrer que Ka-Kui (Jackie Chan) n’est plus le jeune chien fou des précédents films, et qu’une mission jouant d’un certain profil bas, d’intelligence et de duplicité est désormais de son ressort. Dans le sillage de Police Story, le sous-genre du girls with gun a fait durant quelques années les beaux jours du polar d’action à travers les sagas du Le Sens du devoir, Angel, Angel Terminators et des stars féminines ne s’en laissant pas compter comme Michelle Yeoh ou Moon Lee. Cette tendance irrigue Police Story 3 avec la présence de Michelle Yeoh, faisant là son grand retour sur les écrans après une retraite de trois ans durant son mariage avec le producteur Dickson Poon. Ce changement de ton se conjugue aussi à celui de l’environnement, l’enquête en immersion nous menant de la Chine continentale à Taïwan, en passant par la Malaisie. Cela donne un récit étonnamment plus rigoureux, malgré quelques facilités, pour montrer Ka-kui et l’inspecteur Yang (Michelle Yeoh) remonter la hiérarchie d’un dangereux trafic de drogues. Les quelques moments de vaudeville surgissent encore ici et là (le retour tardif du personnage de Maggie Cheung relaçant les enjeux) et Jackie Chan se montre encore capable d’hilarante facéties burlesques. Mais le personnage professionnel et terre à terre de Michelle Yeoh contamine globalement le film et vole plus d’une fois la vedette à Jackie Chan. Une grande partie du récit repose avant tout sur la tension et les faux-semblants, et l’action tout en restant impressionnante repose davantage sur la pyrotechnie que sur la sidération kamikaze des cascades d’antan. Le « cadrage » voulut de Jackie Chan par les producteurs se ressent, du moins jusqu’à un climax lâchant enfin les chevaux. Poursuites sur les toits, dans les airs, sur la route puis le toit d’un train, plaçant les obstacles les plus fous et autorisant les cascades les plus dantesques, l’attente est plus que récompensée. Dans ce chaos, Michelle Yeoh se taille la part du lion avec une cascade insensée la voyant sauter à moto sur le toit d’un train en marche (le traditionnel making-of au générique rendant l’exploit encore plus intimidant). Stanley Tong est un excellent exécutant ayant su amener des éléments renouvelant la formule, mais il manque toute de même un poil de cet inattendu grisant dans cette tonalité carrée. Le temps de quelques gags amusant, la future rétrocession est en ligne de mire et la dernière ligne de Jackie Chan annoncerai presque ses accointances futures. Police Story 3 est une très réussie relance de la franchise (davantage que ne le sera 11 ans plus tard le poussif New Police Story) et rencontrera un succès immense qui mettra sur orbite la carrière de Michelle Yeoh.
Sorti en bluray français chez Le Chat qui fume
lundi 2 juin 2025
Les Yeux bandés - Los ojos vendados, Carlos Saura (1978)
Le 20 novembre 1975, le décès de Franco met fin à 40 ans de dictature en Espagne. Le réalisateur Carlos Saura perd en quelque sorte là son meilleur ennemi, tant le cycle de films qu’il signa à partir du début des années 60 fonctionnaient comme des brûlots allégoriques (et fortement soumis à la censure) dénonçant le régime franquiste. Saura va solder les comptes avec trois autres films tournant autour de cette thématique avec Cria Cuervos (1976), Elisa, mon amour (1977) et Maman a cent ans (1979). L’œuvre qui va poser les jalons d’une évolution nécessaire pour le réalisateur sera donc Les Yeux bandés, un pied dans les anciens questionnements et l’autre dans des chemins futurs plus inattendus.
En 1975, Carlos Saura assiste à un symposium ayant pour thématique les dictatures en Amérique latine, cadre dans lequel il sera frappé par le témoignage saisissant d’une femme racontant son enlèvement et sa torture. Il décide façonner son prochain film en s'inspirant de cette expérience, s’inventant avec le personnage de Luis (José Luis Gómez) une sorte de double cinématographique. Ce dernier est un acteur et professeur de théâtre qui va assister à un évènement similaire à Saura, et envisager d’en monter une pièce de théâtre avec ses élèves. Le postulat pourrait faire penser que le film reposera sur une dimension politique, mais malgré l’inspiration du fait initial (le témoignage venant de d’évènements s’étant déroulé dans la dictature argentine) Saura va davantage s’attacher à la persistance du mal, à cette hantise de l’expérience de la torture. Ainsi la manière dont Luis imagine le déroulement de ce terrible souvenir va-t-elle se mélanger à sa propre psyché. Saura nous égare dans des projections mentales au sein desquelles l’expérience de la torture en elle-même est absente, sorti des descriptions orales traumatisantes, mais dont l’avant (l’enlèvement) et l’après se mélangent à des éléments de la vie personnelle du héros. Le visage de la victime endosse celui d’Emilia (Geraldine Chaplin), amie puis amante de Luis, et les faits se déroulent dans des cadres où Luis a lui-même vécu des évènements moralement et/ou physiquement douloureux. Il va dès lors faire une introspection correspondant au propre sentiment d’humiliation et frustration qu’il a par le passé pu éprouver dans d’autres circonstances, comme son expérience d’ouvrier de charbon auprès d’un oncle balayant ses velléités artistiques. Emilia vivant de son côté également un enfer personnel auprès d’un compagnon violent, va trouver refuge et amour auprès de Luis. Aspirant à être comédienne, la projection que fait Luis avec ses traits endossant ceux de la victime de torture va se concrétiser dans la réalité lorsqu’il va lui confier ce périlleux rôle pour sa pièce. Cette réflexion sur la hantise et la contagion du mal, du traumatisme physique et psychique, se poursuit donc avec Emilia dont l’apprentissage de ce texte de confession imprègne aussi son humeur. Les comédiens évitent grandement au film d’être trop abstrait et théorique, il faut voir Géraldine Chaplin véritablement marquée physiquement en énonçant les sévices que son « personnage » subit, et la manière dont cela affecte l’initialement touchante romance avec Luis. L’empathie pour le couple permet un ancrage pour le spectateur malgré la froideur du ton, sans totalement trouver l’équilibre des autres fables de Saura mieux équilibrées entre veine intime et sous-texte politique – comme Peppermint frappé (1967) Stress es tres, très (1968) qui traitaient des affres du couple aussi tout visant autre chose. Là l’élément politique est plus nébuleux malgré le sujet, reste ténu pour ne plus véritablement ressurgir que pour une scène finale choc qui prête à interprétation. Réflexion sur la menace physique des régimes autoritaires sur les artistes, prolongation du fantasme se croisant au réel, ou audacieux happening façon mise en abyme ? La question reste ouverte et participe au mystère de ce Saura de transition.Sorti en bluray français chez LCJ
vendredi 30 mai 2025
Innocents: The Dreamers - Bernardo Bertolucci (2003)
Mai 1968, à Paris. La révolte étudiante gronde, les manifestations se multiplient. Isabelle et son frère Théo, restés seuls dans la capitale pendant les vacances de leurs parents, invitent chez eux Matthew, un étudiant américain qu'ils ont rencontré à la Cinémathèque où ils passent le plus clair de leur temps. Dans cet appartement, ils rejouent les scènes de leurs films préférés, cherchent à se découvrir en se livrant à des jeux sensuels de plus en plus troubles.
Avant-dernier film de Bernardo Bertolucci, Innocents semble sur bien des points comme une forme de synthèse de certains des sommets de sa filmographie. Le huis-clos dans un appartement parisien sur fond de sexualité sulfureuse rappelle bien sûr le controversé Le Dernier tango à Paris (1972). L’arrière-plan sociopolitique et révolté de mai 68, ainsi que la description d’une certaine jeunesse cinéphile et idéaliste évoquent quant à eux Prima della rivoluzione (1964), premier film que Bertolucci considérait comme personnel au sein de sa filmographie. Le réalisateur adapte ici le roman The Holy Innocents de Gilbert Adair - également auteur du scénario – publié en 1988. Inspiré de Les Enfants terribles de Jean Cocteau et de l’adaptation éponyme qu’en tira Jean-Melville (1950), le roman offre effectivement un écrin idéal à Bertolucci pour apporter un regard neuf et mature sur certains pans son œuvre passée.
Le récit nous plonge dans la fièvre cinéphile qui agitait la jeunesse cultivée des années 60, et nous fait revivre certains évènements majeurs d’alors comme les manifestations qui eurent lieu devant la cinémathèque de Chaillot après l’éviction de Henri Langlois de sa direction par le ministre de la Culture André Malraux. Bertolucci dans ce début de film enchevêtre les clins d’œil cinéphiliques avec l’avancée de son intrigue. Ainsi la rencontre entre le trio de héros durant les manifestations laissent entrevoir une superposition entre les images d’archives d’un jeune Jean-Pierre Léaud et celles de lui plus âgé, issues du film, déclamant pour la défense de Langlois devant le palais de Chaillot dans une fluidité de montage où la phrase de l’archive se conclut dans la fiction qu’est Innocents. Les trois protagonistes représentent chacun une facette de la personnalité de Bertolucci. Matthew (Michael Pitt), jeune américain innocent, naïf et cinéphile est une sorte de double de Bertolucci même si ce dernier avait dépassé ce seul stade en 1968. Théo (Louis Garrel) correspond lui à la facette politisée et idéaliste du réalisateur, tandis qu’Isabelle (Eva Green) correspond aux penchants provocateurs et excentriques de Bertolucci. Se liant d’amitié avec les jumeaux Isabelle et Théo, Matthew être entraîné dans une relation trouble avec eux à travers une sorte de triangle amoureux. Le trio commence par partager un sandwich durant leur première rencontre, puis l’appartement vide laissé par les parents des jumeaux, les idées au rythme d’intense discussion cinéphiles et politiques, puis enfin les corps dans un mélange de défi, désir et provocation. Bertolucci multiplie dans un premier temps les références, dont il parsème le film à plusieurs niveaux. Il y a tout d’abord les « quizz » cinéphiles que se lancent inopinément les personnages, débouchant sur de nombreux extraits entrecoupant le film, et dont l’issue débouche sur des gages restant sur cet axe érudit et ludique (battre le record de course dans le Louvre de Bande à part de Jean-Luc Godard (1964)) avant de prendre une tournure plus provocatrice. L’environnement même des jumeaux débordent de cette obsession pour le cinéma, notamment les chambres d’adolescents parsemés d’affiches de films, de collage comme ce détournement du tableau La Liberté guidant le peuple d’Eugène Delacroix dont la femme révolutionnaire arbore désormais le visage de Marilyn Monroe. Ce cadre traduit les velléités provocatrices des jumeaux, leur volonté de bousculer les socles institutionnels, mais aussi leur approche puérile et superficielle pour le faire. Innocents apparaît en effet comme une variation, avec le recul du vieil homme qui a vécu, de Prima della rivoluzione. Dans ce dernier, Bertolucci restait irrésolu dans sa volonté de célébrer ou de dénoncer les ruades idéologiques de son jeune héros politisé dans la parole, mais bien peu actif dans les actes. Matthew place à de nombreuses reprises Théo face à ses contradictions lorsque ce dernier s’égare dans les déclamations creuses autour de l’idéologie maoïste. Il en va de même lors des discussions cinéphiliques durant lequel le jeune américain propose une argumentation cohérente quand son interlocuteur n’est que dans la posture. Prima della rivoluzione souffrait d’une esthétique bien trop explicitement influencée par la Nouvelle Vague, et plus particulièrement Godard que Bertolucci admirait profondément. Bertolucci semble presque dénoncer son propre manque d’identité de l’époque, tant dans le versant cinématographique que politique, dans la caractérisation de Théo. L’égarement fiévreux des sens revêt la même dimension critique avec le personnage d’Isabelle. Ces instincts provocateurs, la sensualité et la liberté dont elle fait montre avec son corps, ne dépassent pas le giron de son frère jumeau. Le sentiment de jeu et de défi permanent aboutit ainsi à des moments chocs, comme lorsqu’Isabelle couche avec Matthew suite à un gage de Théo, et qu’à l’issue du coït l’on comprend qu’elle était vierge. L’appartement se transformant progressivement en dépotoir et les corps des trois jeunes gens de plus en plus enchevêtrés constituent une prison physique et mentale plutôt que l’émancipation qu’ils revendiquent. C’est assez captivant de voir la manière dont Bertolucci retourne les motifs supposés de liberté (sexuelle, politique) de l’époque pour dénoncer leur aspect aliénant - Matthew étant le tampon permettant de consommer l'inceste par procuration pour les jumeaux, mais exclu de ce "triangle" en définitive. C’est une facette qu’il retranscrit d’ailleurs aussi dans la bande-son, composées de certains des artistes les plus anticonformistes d’alors, mais dont l’écoute obsessionnelle par les protagonistes (Ball and Chain et I need a man to love de Janis Joplin revenant en boucle, incessamment joués par Isabelle) traduisent une pose plutôt qu’un instinct sincère de rébellion. L’ambiguïté idéologique et/ou de mœurs agitant volontairement ou non certaines œuvres passées de Bertolucci semble en partie résolue avec Innocents, Matthew représentant ce à quoi le réalisateur aurait aspiré être et le duo Théo/Isabelle les errances morales et intellectuelles dans lesquelles il s’est parfois perdu. Sous le drame juvénile et torride, Innocents apparaît davantage comme le droit d’inventaire d’une époque. Le talent des trois acteurs (en particulier une Eva Green étincelante dans ce premier rôle majeur où elle crève l’écran) empêche l’entreprise de basculer dans le cynisme, tout en demeurant lucide avec cette séquence finale d’émeute où Théo et Isabelle s’immerge enfin dans cette révolution dont ils n’ont jusque-là fait que parler, mais davantage pour l’adrénaline que par convictions.Sorti en bluray français chez Metropolitan
mercredi 28 mai 2025
La Tigresse - Too Late for Tears, Byron Haskins (1949)
La nuit, sur une route déserte de Californie, les Palmer se rendent à une soirée quand une mystérieuse voiture leur jette une mallette. Ils découvrent qu'elle est remplie de dollars. Si Alan veut prudemment remettre la trouvaille à la police, sa femme, Ellen, n'est pas prête à y renoncer. Le couple décide d'attendre un peu, mais quand un homme vient réclamer l'argent, une décision doit être prise. Jusqu'où la jeune femme ira-t-elle pour garder le magot ?
La Tigresse est un film noir qui participe à installer l’aura de Lizbeth Scott en tant que femme fatale emblématique du genre. Le scénario a l’originalité de déplacer, tant formellement, thématiquement que psychologiquement, cette figure de la femme fatale dans un contexte plus terre à terre. Point d’intrigue tortueuse, d’héroïne vénéneuse ou d’atmosphère stylisée et mystérieuse ici. Ellen (Lizbeth Scott) est une jeune femme vénale qui pense que le destin l’a toujours éloigné de la grande vie fastueuse qu’elle mérite.
Il est largement sous-entendu qu’elle a probablement poussé au suicide un premier mari qui n’a pas su répondre à ses exigences luxueuses, et elle-même admettra avoir eu le sentiment de ne pas être à sa place durant son enfance au sein d’une famille modeste. Tout ces éléments qui seront explicités plus tard se devine durant la scène d’ouverture où Ellen, honteuse de sa condition, rechigne à se rendre à la soirée chez des amis nantis en compagnie de son époux Alan (Arthur Kennedy). La providence semble enfin sourire au couple quand une mallette remplie de dollars échoue dans leur voiture durant leur trajet.Alan malgré la tentation de garder le magot préfère le rendre aux autorités, mais à l’inverse tous les rêves de grandeur d’Ellen sont ravivés, et l’entraîneront dans une spirale criminelle sans fin. La frivolité du personnage est parfaitement capturée, les premières dépenses ne servant qu’à des produits de luxe futiles et superficiels – tout comme le train de vie faste et vain qu’elle tiendra en fin de film. Cet argent ne sert qu’à combler un vide matériel, à flatter un égo, ne s’inscrit que dans une satisfaction immédiate et individualiste dont son époux est totalement exclu. Lizbeth Scott le visage dur et l’œil brillant de cupidité es fascinante, imposant une présence froide à la Lauren Bacall, mais totalement déshumanisée. Sa vilénie écrase les protagonistes bons l’entourant, son mari en tête (la bonhomie d’Arthur Kennedy fonctionnant à merveille), et finit par intimider les mauvais qui tente de l’intimider tel Danny Fuller (Dan Duryea) qui va amèrement regrette être venu réclamer son dû.Malgré quelques atermoiements (le personnage de Don Black (Don DeFore ) introduit au forceps), le cadre domestique du récit (hormis quelques scènes extérieurs les enjeux s’articulent dans les espaces clos d’appartements quelconques) offre un contraste captivant entre cette normalité et la détermination impitoyable d’Ellen. Byron Haskins, plus connu pour son travail sur les effets spéciaux ou pour des réalisations plus spectaculaires (La Guerre des mondes (1953), Quand la Marabunta gronde (1954)) se montre fort intéressant sur ce registre plus sobre et parvient à livrer un film noir singulier et prenant.Sorti en bluray français chez Elephant Films