Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram
Joe Parkson, revenu handicapé de la Seconde
Guerre Mondiale, en tient pour responsable Frank Enley, ainsi que de la
mort de plusieurs soldats qui voulaient s'enfuir d'un camp de
prisonniers, Parkson étant lui-même le seul survivant, servant sous les
ordres d'Enley, leur officier, qu'il compte bien abattre.
Acte de violence est un des premiers films
hollywoodiens à évoquer le sort des vétérans de la Seconde Guerre
Mondiale, thématique à laquelle reviendra d'ailleurs Fred Zinnemann avec
son film suivant C’étaient des hommes
(1950). Une grande majorité des œuvres abordant le sujet étaient de purs
mélodrames abordant la difficile réinsertion des vétérans dans une vie
normale (le classique Les Plus Belles Années de notre vie de William Wyler (1946) ou Till the End of Time de Edward Dmytryk (1946)), Acte de violence
donne dans le film noir. Fred Zinnemann joue habilement dans le fond et
la forme sur l'idée d'ombre et de lumière opposant Joe Parkson (Robert
Ryan) et Frank Enley (Van Heflin). Le film s'ouvre la présence menaçante
de Parkson s'emparant d'une arme et qui sa chambre d'hôtel animé d'un
instinct meurtrier, tandis que la première apparition d'Enley se fait en
pleine jour, le présentant comme un père de famille idéal et un homme
adulé par la communauté.
La narration suit ce schéma à travers les manœuvres de Parkson pour se
rapprocher et tuer Enley, mais l'esthétique et l'atmosphère du film nous
dit autre chose. La raideur d'Enley à la possible présence de Parkson
ne trahit pas seulement une peur, mais quelque chose de plus trouble
ressemblant à de la culpabilité. Dès lors la mise en scène de Zinnemann
et la photo de Robert Surtees cultive cette ambiguïté en travaillant des
jeux d'ombres altérant le quotidien domestique et la présence
chaleureuse d'Enley. A l'inverse, tout agressif qu'il paraît être,
Parkson ressemble davantage à un être meurtri et vulnérable (dans son
corps et son esprit), dont malgré la haine l'on ne sent pas capable
d'aller au bout de sa vengeance.
Après avoir fait vaciller notre
perception initiale par l'image, le scénario le justifie par les
révélations sur le passé au front et dans un camp de prisonnier
expliquant la cause du ressentiment de Parkson. Là encore le regard
perdu de Robert Ryan trahi une forme de désespoir et une fuite en avant
autodestructrice, alors que Van Heflin oscille entre la culpabilité et
un instinct de survie qui l'a fait autrefois trahir ses camarades.
Les rôles féminins en forme de boussole morale sont très réussis,
notamment Janet Leigh et Mary Astor, véritable moteur de la possible
rédemption des personnages masculins. Tout en ayant une pure atmosphère
tortueuse de film noir (et en en ajoutant des rebondissements un peu
artificiels à la fin), c'est davantage l'étude de caractères des deux
héros plutôt que le suspense qui suscite l'intérêt. Entre celui qui doit
oublier pour se reconstruire (Parkson) et celui devant se souvenir afin
d'être en paix avec lui-même (Enley), la tension dramatique est
puissante grâce à la superbe prestation des deux acteurs. Si l'on a
souvent déjà vu Robert Ryan dans ce registre fébrile et inquiétant, Van
Heflin impressionne vraiment par sa finesse à effriter son image de
monsieur tout le monde avenant notamment lors de la longue errance
finale - ou l'altération de son univers domestique se prolonge à des environnements urbains expressionnistes et inquiétants pour traduire sa culpabilité. Hormis une conclusion un peu expédiée, une tentative très
intéressante donc.
Actuellement visible en streaming sur le bouquet MyCanal
Un enfant assiste impuissant à l'assassinat de
ses parents par quatre bandits. Quinze ans plus tard, il recherche
toujours les coupables, guidé par sa soif de vengeance. Il rencontre un
homme énigmatique qui semble avoir le même but. Ils décident de
s'associer...
La Mort était au rendez-vous est une belle
réussite du western italien qui navigue entre les codes naissants du
genre et un certain classicisme. Dans les éléments attendu le motif de
la vengeance, le casting et la caractérisation "eastwoodienne" de John
Philip Law (tenue, posture, blondeur, caractère taiseux et même une Vf
de Jacques Deschamps doubleur d'Eastwood sur la trilogie des dollars)
ainsi que la relation mentor/rival avec le personnage plus expérimenté
de Lee Van Cleef (qui retrouvera de nombreuses fois ce rôle de mentor
dans le western italien) nous laisse en terrain connu. Ces éléments et
la construction du scénario de Luciano Vincenzoni (collaborateur
emblématique de Sergio Leone sur la trilogie des dollars), entre la
relation passive/agressive du duo Law/Van Cleef, une course-poursuite et
des confrontations teintées de vengeance, ce sentiment familier
demeure. Pourtant Giulio Petroni parvient à amener une touche plus
singulière à l'ensemble.
L'essor du western spaghetti fut l'occasion d'imposer un style pour les
jeunes loups surdoués comme Sergio Leone, ou le terrain d'épanouissement
pour les artisans touche à tout comme Sergio Corbucci dont le génie s'y
révéla. Giulio Petroni n'est pas dans ce cas et a déjà un parcours
davantage tourné vers le drame, une pincée de comédie mais surtout un
énorme corpus dans le documentaire avant de s'essayer au western (auquel
il reviendra quatre fois par la suite). Contrairement aux élans
maniéristes et baroques de Leone, Petroni réserve une approche plus
stylisée à des moments clés du film, toujours liés à une dimension
émotionnelle et ne s'abandonnant jamais complètement à l'outrance si
plaisante dans le western italien. La séquence d'ouverture verse à la
fois dans l'imagerie gothique par le travail sur les ombres et
l'atmosphère nocturne presque fantastique, mais aussi une violence
psychologique aux éléments presque psychédélique dans la manière dont le
jeune Bill (John Philip Law) observe, sidéré le massacre de sa famille.
Le chaos de la scène traduit cette sidération et incompréhension de
l'enfant, notamment en maintenant ce point de vue par l'évitement d'une
certaine complaisance durant la scène de viol de la mère et de la sœur -
égards par forcément toujours présent dans le cinéma d'exploitation. La
réalisation plutôt sobre est ainsi traversée de réminiscences
fulgurantes de ce traumatisme lorsque Bill adulte croise la route d'un
des agresseurs, avec un travail très agressif au montage dans
l'alternance entre éléments physiques (cicatrices, tatouages, pendentif)
identifiant le coupable et le regard bleu halluciné et assoiffé de sang
de Bill. Un des grands moments à ce titre est une des dernières scènes
durant laquelle Bill en voulant simplement sauver une jeune femme en
détresse reconnaît soudain la brute comme un des meurtriers de sa mère,
l'effet s'avère encore plus intense à ce moment-là, notamment par le jeu
de John Philip Law passant de sauveur désinvolte à une raideur
vengeresse intense - ce qui le perdra d'ailleurs en relâchant sa
vigilance.
Lee Van Cleef est toujours aussi charismatique et la relation avec Law, même si l'ombre de celle avec Eastwood dans Et quelques dollars de plus
(1965) plane, est très attachante. Law ajoute paradoxalement une
certaine vulnérabilité dans sa froideur qui dénote de l'assurance et
l'arrogance eastwoodienne, et parvient à imposer une touche personnelle
en apprenti tueur encore trop sûr de lui et plaisamment rabroué par Van
Cleef. Les apartés plus outrés rappellent davantage certains westerns
hollywoodiens atypiques (La Vallée de la peur de Raoul Walsh (1947) ou Rio Bravode
Howard Hawks (1959) que le western italien mais dans l'ensemble Petroni
donne dans une efficacité sans génie mais très plaisante durant les
nombreuses scènes d'action.
L'émotion repose davantage sur les surprises
que réserve le scénario (le piège dont sera victime Van Cleef, la très
belle scène finale), entrecoupées par des fulgurances de Petroni qui
choisit clairement des instants précis pour sortir de sa sobriété. La
conclusion sous une tempête de sable dans un village mexicain ravive
ainsi ce côté presque surnaturel et fantomatique exploité durant la
scène d'ouverture, même s'il manque un soupçon de folie pour rendre la
séquence totalement mémorable. Il n'en reste pas moins un superbe
western, d'ailleurs porté par un score une fois de plus très inspiré du
grand Ennio Morricone.
Pendant la Seconde Guerre mondiale, sur une île en Grèce,
un camp de prisonniers de guerre alliés est dirigé par le major Otto Hecht, un
Autrichien anti-nazi auparavant marchand d'art. Le travail des prisonniers
consiste à déterrer des trésors archéologiques, normalement destinés à
l'Allemagne, mais dont les plus belles pièces sont en fait revendues au marché
noir par le Major. Les prisonniers sont bien traités mais s'allient néanmoins
avec la résistance grecque pour prendre le camp et attaquer un monastère
transformé en base secrète de lancement de missiles.
Bons baisers d’Athènes est une superproduction
agréable et opportuniste dans sa manière de naviguer entre les genres et les
époques dans ses différentes composantes. C’est un projet résultant du succès
de L'aigle s'est envolé de John Sturges (1976) solide film de guerre
financé par la compagnie ITC Entertainment de Lew Grade et produite par David
Niven Jr (fils de l’acteur David Niven) et Jack Wiener. La même équipe décide
donc de remettre le couvert avec une nouvelle superproduction sur fond de
Deuxième Guerre Mondiale, avec cette fois à la mise en scène le nouveau venu
George Pan Cosmatos ayant montré ses aptitudes à la fois dans un récit dramatique
à contexte historique (SS Représailles (1973)) et surtout dans un récit
spectaculaire avec le film catastrophe Le Pont de Cassandra (1976).
Le casting hétéroclite témoigne du grand brassage plus ou
moins réussi que tente le film. On y trouve David Niven (ravi de contribuer à
une production de son fils) en caution du vieil Hollywood, à l’inverse Elliott
Gould ramenant clairement sa persona rigolarde de MASH (1970), Roger
Moore soit James Bond himself en faux antihéros retrouvant bien vite ses vertus
héroïques, Richard Roundtree en caution Blackploitation, Telly Savalas et
Claudia Cardinale, Sonny Bono dans un rôle farfelu qui aurait pu être tenu par
Topol. Le film surfe sur une sorte de revival du film de commando à la fin des
années 70 avec des productions comme L’Ouragan vient de Navarone de Guy
Hamilton (1978) – suite de Les Canons de Navarone de Jack Lee Thomson
dans lequel jouait David Niven qui revient dans cette même région grecque pour
Bons baisers d’Athènes-, Les Oies sauvages d’Andrew McLaglen ou
justement L’Aigle s’est envolé – et reprend les codes du genre dans l’introduction
en situation et stylisée de chacun des protagonistes.
Il s’inscrit aussi durant
sa première partie dans la tradition du film de camp de prisonnier, osant par notamment
quelques clins d’œil audacieux avec ce caméo de William Holden (en visite sur
le tournage pour voir sa petite amie Stéphanie Powers) reprenant son rôle de
prisonnier du Stalag 17 de Billy Wilder (1950). Les quelques moments de
quotidien capturés lorgnent ainsi sur cet aspect (on pensera forcément aussi à La
Grande évasion (1963)), sur fond de pillage d’œuvre d’art par les nazis, mais
le ton un poil trop décontracté se rapproche dangereusement d’une série comme Papa
Schultz.
L’ancrage humaniste et dramatique repose ainsi davantage sur
le peuple grecque avec nombres d’exécutions arbitraires effectuées par les
troupes allemandes en pleine ville. L’interprétation pleine de conviction de
Telly Savalas (davantage que celle de Claudia Cardinale tenancière de maison
close soutirant des informations aux clients allemands) suffit à instaurer une
vraie implication. La plus-value du film repose vraiment sur sa facture
spectaculaire, exploitant superbement son décor de Rhodes dans le contemplatif
(les nombreux et majestueux plans aériens filmés en hélicoptère) et l’action
dont une impressionnante course-poursuite à moto dans la ville.
Les ruptures de
ton et les changements de genre ne fonctionnent pas toujours, notamment la
chasse au trésor puis la super base nazie et le compte à rebours à la James
Bond mais l’ensemble constitue un très solide divertissement durant lequel on
ne s’ennuie pas. Il ne manquait pas grand-chose pour une profondeur plus
marquée et une certaine subtilité (le parallèle entre la rédemption de l’officier
allemand joué par Roger Moore et le cynisme intéressé d’Elliott Gould) mais là
n’était pas l’objectif.
C'est l'histoire d'Alex, un garçon esseulé et abandonné
par sa fiancée. C'est l'histoire de Mireille, une fille amoureuse qui se
raccroche à une histoire perdue d'avance. C'est l'histoire de leur rencontre.
De leurs paroles. De leurs regards. C'est l'histoire de leurs amours.
L'histoire d'une nuit...
Boys Meets Girls est l’argument via lequel Alfred
Hitchcock voyait le point de départ de toute fiction réussie qui se respecte.
Leos Carax par ce choix de titre prend l’adage au pied de la lettre avec ce
premier long-métrage, venant après Strangulation Blues (1980),
court-métrage qui fit sensation. Le postulat du film fait de la rencontre le
possible et probable aboutissement du récit, mais c’est un point de bascule
longtemps retardé par Carax.
La suite de sa courte mais puissante filmographie le
prouvera, Carax oscille justement entre d’authentiques influences
hollywoodiennes à travers une certaine grandiloquence (D.W. Griffiths, King
Vidor) et une veine plus arty qui lui est propre mais dont les sources
sont encore identifiables sur Boy Meets Girl. Ainsi l’ensemble du récit
appelle certes à une emphase romanesque, mais il est avant tout question de
dépit amoureux, de ruptures et d’absence de communication dans cette vision du
couple. C’est le sentiment dominant dans l’observation furtive (Maïté Nahyr
fraîchement échappée du domicile conjugal en ouverture) ou plus approfondie des
protagonistes. Plus que la passion amoureuse, c’est l’inéluctabilité de sa fin
qui intéresse Carax. Alex (Denis Lavant) nous apparaît certes brisé après avoir
été quitté par Florence, mais c’est davantage la fulgurance de son départ (et
le fait d’avoir été trompé) ainsi que le souvenir de sa difficile séduction qui
rendent la chose douloureuse plutôt que la romance en elle-même – comme la
carte parisienne des évènements de sa vie en atteste dans son appartement.
Mireille (Mireille Perrier) est quant à elle quittée par Thomas (Christian
Cloarec) convaincu de devoir rejeter l’image d’idéal romantique que semble
prendre son couple – forçant le dégoût dans tout ce qui lui plaisait auparavant
chez sa partenaire comme il le soulignera dans un monologue.
On associa un temps à tort Leos Carax à la génération de
cinéaste français « pubards » des années 80 comme Jean-Jacques Beinex
ou Luc Besson. Pourtant dès Boys Meets Girl, la recherche de la belle
image importe moins que le fait d’étendre par l’esthétique l’état d’esprit des
personnages. Carax filme un Paris nocturne en noir et blanc où la proximité
moderne (fêtes en appartement bourgeois, bar populaire) se dispute à la grandiloquence
dans la manière de perdre les silhouettes dans une urbanité ample et poétique
qui anticipe son travail à venir sur Les Amants du Pont-Neuf (1991). Le
face à soi dans la superficialité du moderne morne est insupportable, mais
c’est une même solitude qui guette dans la nuit blanche et les déambulations
urbaines.
Carax fait littéralement rebondir ce mal-être dans sa narration
lorsqu’une possible nouvelle rencontre d’Alex dans un bar est retrouvée plus au
bras de son amoureux avec lequel elle s’est réconciliée, notre héros observant
la scène avec dépit. L’euphorie peu brièvement s’inviter (la séance de
claquette de Mireille), mais là encore le travail sur les espaces de Carax sert
de révélateur. Le décor totalement irréaliste de l’appartement de Mireille,
avec cette sorte d’improbable baie vitrée sur l’immeuble en vis-à-vis, place la
jeune femme (et son couple) en tableau amoureux idéal pour les voisins. La
rupture la condamne désormais à voir sa solitude exposée, et à faire d’elle une
spectatrice à son tour des amours des autres.
L’influence réalisme poétique français des années 30/40,
ainsi que la poésie d’un Jean Cocteau fait ainsi par les choix formels de Carax
baigner le film dans une rêverie magnifiant et déconstruisant ce Paris urbain
80’s. La mélancolie, l’attente, le regret et l’espérance amoureuse fonctionnent
davantage comme un concept pour les personnages n’ayant pas su en profiter
lorsqu’ils y étaient immergés, et dès lors la rencontre est biaisée car ils
recherchent davantage un « état » qu’un nouveau partenaire.
La première
vision qu’Alex a de Mireille est sa détresse en surprenant une tentative de
suicide, Carax magnifie comme une sorte de tableau leur long échange dans les
plans d’ensemble où ils sont côte à côte. Pourtant lorsqu’il semble capturer
une certaine intimité dans ses effets (le décor en arrière-plan qui s’estompe
pour ne laisse que l’obscurité lors des gros plans) la composition, le
découpage et le positionnement du couple trahit l’impossibilité du coup de
foudre. Alex regarde Mireille qui lui tourne la face puis inversement, les
confessions mutuelles se noient dans des dialogues qui se chevauchent plutôt
que se répondre
Le moment suspendu que représente cette rencontre ne marque
pas un début, mais entérine une fin. Carax joue le jeu narratif de l’attente
des retrouvailles mais n’est pas dupe. Il accepte la tragédie avec la
résignation méta des jeunes gens modernes – la bande-son baigné de
Bowie, Iggy Pop, mais surtout s’ouvrant sur une reprise new wave de Jo Lemaire
du Je suis venu te dire que je m’en vais de Serge Gainsbourg, tout est
dit – mais aussi en laissant entrevoir une autre influence majeure, le Godard
de Pierrot le fou.
Au printemps de l'année 1936, David, jeune chômeur
désenchanté de Liverpool, estime qu'il n'a plus d'avenir en Angleterre. Sur un
coup de tête, il décide de se rendre en Espagne afin de rallier les forces
républicaines qui luttent contre les troupes franquistes. Incorporé dans une
section clandestine combattant en Aragon, David tombe immédiatement sous le
charme de la belle Blanca.
Ken Loach signe une de ses œuvres majeures avec Land and
Freedom, captivante évocation de la Guerre Civile espagnole. Le scénario
semble librement inspiré d’ Hommage à la Catalogne de George Orwell,
récit par le futur auteur de 1984 de son expérience au sein des milices communistes.
Les écrans nous narrant les origines du conflit en ouverture semblent dépeindre
une situation simple, avec le gouvernement Républicain faisant face au bloc
bourgeois représenté par l’armée, l’église et les riches menés par Franco, ces
derniers craignant la fin de leurs privilèges avec une part de pouvoir plus
grande pour les ouvriers. Ce sont également des images parlantes et un discours
d’adhésion limpides qui motivent l’anglais et militant communiste David (Ian
Hart) à s’engager dans ce qui représente un combat contre le fascisme.
Ken Loach va bien sûr complexifier le propos en observant l’apprentissage
du jeune homme et les désillusions qui en découleront. Dans un premier temps,
nous restons au cœur de la milice, de sa diversité sociale, géographique et de
genre pour une vision idéale de la vie en communauté. Intellectuels
anglo-saxons en quête d’aventures et d’un idéal avec Lawrence (Tom Gilroy),
jeune femme espagnole prolétaire trouvant l’émancipation dans la cause pour
Maïté (Icíar Bollaín), militant française la rage au ventre concernant Bernard
(Frédéric Pierrot) ou passionara vivant l’amour et la combat dans une même
fièvre pour Bianca (Rosana Pastor), c’est un microcosme bouillonnant et
complexe.
On y voit que la compréhension
commune et la solidarité prévalent sur l’autorité militaire sans entraver la
vie collective ou l’organisation au combat, et que convaincre est plus naturel
qu’ordonner (la première apparition de Maïté rattrapée amicalement par un
soldat après un exercice militaire fastidieux). Les escarmouches militaires au
sein des villages alternent ainsi avec la belle description du groupe.
L’ennemi franquiste reste caractérisé à gros traits, dépeint
dans sa vilénie et ses exactions abjectes (le prêtre dénonciateur). En effet,
la complexité est placée au sein des divisions agitant les forces républicaines
pour Loach. Une passionnante scène introduit ces questionnements lors du débat
au sein de la communauté d’un village libéré, incapable de se décider entre la
collectivisation des terres ou le maintien de la possession individuelle. L’application
stricte des idéaux révolutionnaires et l’avancée de la cause appelle au
collectivisme, mais ces notions divisent les prolétaires entre eux. Lorsque les
membres de la milice tentent d’arbitrer le débat, leurs propres ambigüités
surgissent.
Lawrence appelle à une souplesse des pans les plus radicaux de la
révolution pour s’attirer les faveurs de puissances étrangères soutenant Franco
(France, Angleterre, Etats-Unis) mais dont la politique capitaliste est aux
antipodes de la cause. Si à cette petite échelle, le débat trouvera sa
résolution, il anticipe tout un schisme chez les Républicains qui finira par
étouffer les idéaux progressistes. La nécessité d’être fourni en arme oblige à
être noyé dans les troupes communes et se soumettre à leurs règles renouant
avec les codes sociaux archaïques – les femmes interdites de prendre les armes.
Loach à travers les espoirs meurtris de David équilibre vrai
fibre romanesque avec description réellement didactique d’une situation
géopolitique instable. Parfois une scène est plus efficace que les discours
pour expliciter les choses, telle cette séquence nocturne ou trois sous-divisions
républicaine (milicien du POUM, pro-stalinien et armée républicaine) se tirent
dessus de nuit comme les adversaires qu’il ne sont pourtant pas. Le
réalisateur, notamment par sa narration en flashback (les coupures de journaux
sur l’actualité sociale anglaise, la dernière scène au cimetière) semble
clairement vouloir faire un parallèle avec les luttes contemporaines et la
manière dont peut être noyé la cause de gauche pour une « acceptation »
extérieure faisant office de compromission.
Ce fut la cause de la défaite hier
en Espagne, c’est le risque qui tend les bras aujourd’hui. C’est captivant même
si un peu trop appuyé (et avec ce risque du manichéisme pendant toujours au-dessus
de Ken Loach), et voir un film au sujet voisin comme Libertarias de
Vincente Aranda (1996) est un complément recommandé sur la question. En tout
cas une belle réussite et une des œuvres les plus ambitieuses de Ken Loach.
Alexandre, un grand écrivain, est sur le point de quitter définitivement la maison en bord de mer dans laquelle il a toujours vécu. Avant son départ, il retrouve une lettre de sa femme, Anna, qui lui parle d'un jour d'été, il y a trente ans. Pour Alexandre commence alors un étrange voyage où passé et présent vont s'entremêler.
L'Éternité et Un Jour est le film de la consécration
pour le cinéaste grec Theo Angelopoulos, son douzième long-métrage qui le vit
remporter la Palme d’or à l’édition 1998 du Festival de Cannes. Le cinéaste y
voyait le dernier volet d’une trilogie après Le Pas suspendu de la cigogne
(1991) et Le Regard d'Ulysse (1995), avec pour lien thématique « la
notion de limite ou de frontière dans la communication entre les êtres, dans
l’amour, dans le passage de la vie à la mort » selon ses termes.On peut souvent voir en Angelopoulos un
cinéaste austère et difficile d’accès, mais les prémices douloureuses et
intimes du projet semblent avoir motivé en lui une approche plus explicitement
sensible et ouverte. Il va faire face à deux décès inattendus dans ses
relations professionnelles et amicales, avec Mikes Karapiperis, le chef
décorateur des premiers films, et l’acteur italien Gian Maria Volonté durant le
tournage du Regard d'Ulysse. Ces évènements vont attiser en lui une
réflexion, une interrogation, celle de savoir ce que les disparus auraient fait
s’ils avaient eu un jour de plus à vivre – et en connaissance de leur
disparition imminente.
C’est dans cette situation qu’il place son héros Alexandre
(Bruno Ganz), écrivain d’âge mûr s’apprêtant à entrer à l’hôpital pour
probablement n’en jamais sortir, la nature de son mal nous restant inconnu. On
constate que cette fin prochaine incite davantage Alexandre à faire le vide
autour de lui. Le vide de ses biens comme on le constate avec son appartement
désert en début de film, le vide de ses relations, de la plus formelle avec sa
domestique Urania (Hélène Gerasimidou) à la supposée plus étroite car filiale
pour sa fille (Iris Chatziantoniou), l’adieu le plus poignant n’étant pas celui
que l’on croit. Au dépouillement d’interaction du présent répond le trop-plein
de souvenir du passé pour Alexandre lorsqu’il entame son errance.
Ce passé se rattache à un lieu, une maison au bord de la mer
révélée par un long-plan séquence et un travelling avant nous offrant un
somptueux panorama durant la scène d’ouverture remontant à l’enfance du
personnage. La photo de Yórgos Arvanítis et Andréas Sinani alterne entre les
teintes urbaines sinistre du présent et celles, solaires, estivales et
chaleureuses du passé dans les flashbacks au sein de cette maison côtière –
dont on apprendra qu’elle a été vendue par sa fille. Alexandre n’est plus qu’une
ombre défilant anonymement dans la désolation du présent, mais s’avère aussi au
mieux un figurant dans les souvenirs. Le fossé qu’il a creusé autour de lui
alors que la fin s’approche, trouve sa source dans ces instantanés du passé
qu’une autre dépeint finalement pour lui. La voix-off s’imprègne alors des mots
posés sur papier par Anna (Isabelle Renauld), l’épouse défunte d’Alexandre, sur
les maux de leurs vie commune. Déjà, là, Alexandre, entièrement consacré à son
œuvre littéraire, était trop absent de corps et/ou d’esprit pour participer aux
moments de vie cruciaux de sa famille, ici une visite après la naissance de sa
fille. Angelopoulos adopte comme un point de vue extérieur et omniscient durant
ces séquences, comme si Alexandre observait ces instants en spectateur
lointain. Lorsqu’Angelopoulos immerge finalement son protagoniste au cœur de
l’évènement, la distance se maintient en lui conservant son physique usé de fin
de vie, en décalage avec l’énergie et la jeunesse de ceux qui l’entoure. Il est
trop tard, Alexandre n’est désormais plus qu’un invité, une anomalie dans des
souvenirs qu’il n’a pas réellement partagés, et c’est l’amertume de son épouse
en voix-off qui domine plutôt que la joie de revivre ces moments – s’il ne les
a jamais vécus.
Entre les couleurs d’un passé révolu et la grisaille d’un
présent dont on n’a plus rien à attendre, Alexandre va pourtant trouver un
entre-deux. La rencontre improbable avec un enfant migrant albanais et laveur
de carreau va déboucher sur un étonnant road-movie. Cet élément reconnecte
Alexandre au présent et à ses réalités sociales, ce qui amène paradoxalement
Angelopoulos à une imagerie plus stylisée encore, baignée de visions
saisissantes telles ce camp de réfugiés plongé dans la brume, ou encore cette
usine désaffectée déployant un espace de recueillement solennel pour d’autres
enfants errants. En homme qui n’a pas réellement vécu l’essentiel, Alexandre va
aider cet enfant à accepter le deuil et faire face à une vie qui lui tend les
bras. Angelopoulos fait passer toute cette gamme de sentiment complexe par
l’image, le verbe se faisant rare et souvent cryptique pour se reposer sur la
prestation poignante de Bruno Ganz.
La lourde silhouette et l’expressivité de
ce dernier est d’autant plus à saluer que les dialogues épars furent doublés
ensuite en grec durant la postproduction. Angelopoulos équilibre les
préoccupations intellectuelles de son héros, ses regrets et ce sursaut
d’empathie dans un tout cohérent, passant par de superbes idées formelles,
telle cette rencontre presque métaphysique avec le poète auquel il consacra ses
derniers travaux. Au lieu de l’éloignement intime que provoque habituellement
l’émergence de sa vie intellectuelle, Alexandre traverse le décor autrefois
occupé par le poète en expliquant la pensée de celui-ci à l’enfant. Le titre du
film fait ainsi sens quand s’approche la conclusion, l’éternité espérée dans
les arts par Alexandre valant autant que ce « un jour » de plus où il
a enfin pu l’accorder par une interaction aux autres, ceux de son passé et de
son présent.
Le pilote de dirigeable Michael Lander, qui a enduré les
horreurs de la guerre du Vietnam, est devenu psychotique. Désireux de se
suicider en grande pompe, il s'associe à la terroriste palestinienne Dahlia,
qui prévoit d'utiliser Lander pour faire exploser une bombe lors du Super Bowl
en faisant s'écraser son avion sur les gradins bondés. Alors que des milliers
de vies sont en jeu, l'agent militaire israélien Kabakov fait équipe avec le
FBI pour tenter d'empêcher le meurtre-suicide de Lander.
Black Sunday peut être vu comme un des derniers, si
ce n’est le dernier réel coup d’éclat d’un John Frankenheimer qui par la suite
rentrera tristement dans le rang, tant au niveau des faveurs du public que de
l’inspiration artistique. Issu de cette génération de réalisateurs (Sidney
Lumet, Arthur Penn) ayant fait leurs armes à la télévision sur des
« dramatiques » laissant le temps et la marge de manœuvre pour expérimenter, Frankenheimer est identifié dès ses premières grandes réussites.
Les heureuses rencontres (Burt Lancaster avec qui il tournera cinq films),
l’inventivité formelle et l’audace de ses sujets le mettent sur les radars de
la critique (notamment française). C’est notamment le cas pour une sorte de
trilogie paranoïaque comprenant Un crime dans la tête (1962), Sept
jours en mai (1964) et L’Opération Diabolique (1967). Tout en
s’appuyant sur les tensions d’un Guerre Froide vivace,Frankenheimer finissait par capturer un mal
plus intérieur, par ses peurs activées (Un crime dans la tête) ou du
moins stimulées par les menaces extérieures (Sept jours en mai), jusqu’à
l’épure existentielle et désespérée du fabuleux L’Opération Diabolique.
Les productions de la fin des années 60 et du début des années 70 contiendront encore
leur lot d’excellents film, mais les divergences avec les studios (la sortie
sabordée par MGM de Les Parachutistes arrivent (1969)) , les vedettes récalcitrantes
(Gregory Peck sur Le Pays de la violence (1970)), les insuccès
injustes (la fresque épique Les Cavaliers d’après Joseph Kessel),
placent progressivement le réalisateur à la marge d’une industrie ne jurant
plus que par la modernité d’Easy Rider.
Lassé des Etats-Unis, Frankenheimer s’imagine un destin à la
Joseph Losey et s’installe à Paris, séjour durant lequel il signera le méconnu L'Impossible
Objet (1973) exercice justement bien trop appliqué et déférent à ce cinéma
européen auquel il aspire. Il va en partie se remettre en selle en réalisant French
Connection 2 (1975), très solide suite du classique de William Friedkin. Ce
sont certainement les aptitudes, connues mais rondement exploitées dans
French Connection 2 (immersion documentaire, action filmée sur le vif) qui
convaincront Robert Evans qu’il est l’homme de la situation pour adapter Black
Sunday, premier roman d’un encore inconnu nommé Thomas Harris. Le projet
est entamé alors que le contexte du conflit israélo-palestinien est dans un de
ses moments les plus délicats, notamment la prise d'otages des Jeux olympiques
de Munich. On imagine Frankenheimer creuser encore davantage les jeux de
paranoïas et de faux-semblants de ses films des années 60, mais l’approche sera
différente.
Frankenheimer était un vrai artiste politisé, les penchants
progressistes de son cinéma se prolongeant dans la réalité puisqu’il eut la
charge de réaliser les films promotionnels de la campagne de primaire de Robert
Kennedy. Très lié à ce dernier, il l’aida à gagner en assurance face aux
caméras et s’apprêtait à venir le chercher le soir où il fut assassiné par
balles le 5 juin 1968. Cet évènement tragique ajouté au déconvenues professionnelles
évoquées plus haut affectèrent profondément, Frankenheimer, dans sa vie personnelle
(avec de longs épisodes d’alcoolisme et de dépression) et son art, notamment
sur Black Sunday.
Par de nécessaires précautions (qui n’empêcheront pas les
incidents en amont, durant et après le tournage, tout comme les controverses à
la sortie), le film fait une forme de choix apolitique dans son approche. La
narration avance en mettant en parallèle le projet terroriste de Septembre Noir
et l’enquête du Mossad pour le contrecarrer. Plutôt que d’opposer les groupes
et les idéologies, Frankenheimer observe les individus. Opération Diabolique
avait ouvert chez le réalisateur une réflexion sur le mâle américain, sa place
dans une société en mutation qui se prolongerait par l’immersion dans l’Amérique
profonde de Les Parachutistes arrivent et Le Pays de la violence.
Cela passait par l’interprétation de stars à la splendeur fanée dans ces trois
films (Rock Hudson, Burt Lancaster et Gregory Peck), et le constat d’un supposé
âge d’or révolu. Lander (Bruce Dern) est une figure bien différente, rattaché aux
maux profondément contemporains de l’Amérique. Brisé par son expérience de
prisonnier au Vietnam et trahi par des troubles de stress post-traumatique,
Land est un être déclassé par son ancien corps d’armée, et déconsidéré par les
institutions du pays censées l’accompagner – la cruauté du rendez-vous médical,
entre le mépris d’une assistante et l’impréparation du médecin devant le
suivre. La manière de retrouver sa dignité et prendre sa revanche consiste donc
en le projet fou d’être à l’initiative d’un attentat de Septembre Noir sur le
sol américain. Frankenheimer, qui fut par la suite longtemps attaché au projet
Rambo, se montre clairement visionnaire sur ce thème avant qu’il ne devienne
plus commun au sein du cinéma américain.
La double narration est captivante en mettant dos à dos les
individus, dans leurs errements comme leurs failles, à des instants décalés. La
barbouzerie d’ouverture nous introduit Kabalov (Robert Shaw), agent du Mossad
dont les états de services lui ont valu le doux surnom de « solution
finale ». Durant l’opération, sa volonté va pourtant faillir au moment d’abattre
Dahlia (Marthe Keller), membre de Septembre Noir à sa merci. Les révélations
progressives sur le passé de Kabalov et Dahlia en font des personnages miroir,
ce que souligne bien la mise en scène de Frankenheimer lors de leurs deux
face-à-face. Dahlia est animée d’une rage, d’un ressentiment, d’une soif de
sang et d’un fanatisme qui devaient certainement être ceux de Kabalov à ses
débuts. Kabalov quant à lui témoigne d’une usure, lassitude, qui seront
probablement ceux de Dahlia après 20 ans de campagnes sanglantes, sans avoir
fait évoluer les choses.
Frankenheimer fait habilement osciller notre empathie
de l’un à l’autre, dans de superbes scènes introspectives (les confessions de
Kabalov à l’hôpital, celles entre Dahlia et Lander) ou des moments d’action où
le réalisateur nous pousse vers une jubilation coupable – la séquence durant
laquelle Lander et Dahlia échappent aux garde-côtes. Cet humanisme est
cependant mis à mal constamment lorsque chacun des deux camps renoue avec les
méthodes les plus abjectes durant leurs pérégrinations. La joie démente
manifestée par Lander après le test de sa bombe durant lequel il a sacrifié un
innocent, l’indifférence à tirer dans la foule de Fasil (Bekim Fehmiu) durant
une course-poursuite urbaine à pied, tout cela finit par sceller notre choix
pour ceux privilégiant la vie dans le cadre du récit.
Après deux heures d’un pur récit d’espionnage rondement mené
et captivant, Frankenheimer va amorcer le grand morceau de bravoure du film. Le
montage d’une précision métronomique, le déluge d’action insensé et les visions
dantesques (le dirigeable piquant du nez au-dessus d’une tribune de stade)
mènent à un suspense haletant soutenu par le score anxiogène à souhait de John
Williams. Quelques imperfections techniques ici et là ne sauraient remettre en
question le sommet de tension de ce climax, lorgnant sur le film
catastrophe et paradoxalement presque trop spectaculaire en comparaison du ton
introspectif qui précède. Malgré toutes ses qualités, le film (dont l’originalité
sera émoussée par la sortie quelques semaines plus tôt d’Un tueur dans la
foule de Larry Peerce (1976) au sujet voisin) ne remportera pas le succès
escompté et Frankenheimer ne se retrouvera plus aux rênes d’un projet aussi
ambitieux. Les évènements du 11 septembre 2001 limiteront désormais les
diffusions du film, l’irréalisme spectaculaire du moment de sa sortie étant
désormais auréolé d’une authenticité visionnaire fort dérangeante.
Le destin d'Eleuterio Sanchez, dit "El Lute",
prisonnier devenu célèbre en Espagne en raison de ses multiples évasions
(seconde partie).
Demain je serai libre est le second volet du diptyque que Vicente Aranda consacre à Eleuterio Sanchez après El Lute, marche ou crève
(1987). Cette deuxième partie est très différente de l'austérité et de
l'approche sociale du film précédent. C'est un vrai paradoxe d'ensemble
puisque Demain je serai libre est à la
fois plus intimiste mais aussi nettement plus spectaculaire que son
prédécesseur. Le film s'ouvre sur une haletante scène d'évasion qui
illustre la transformation du personnage. A l'évasion quasi improvisée
du premier film, on oppose cette fois un plan rigoureusement planifié,
dont même un léger accroc ne l'empêchera pas de s'échapper. A l'inverse
jeune chien fou analphabète dont la police pouvait anticiper les
actions, on trouve désormais un adulte rompu aux nécessités de la
cavale, autant capable de faire profil bas durant des mois que
d'improviser la bonne décision lorsque le danger se rapproche.
La première partie du film est un pur thriller observant la fuite de "El
Lute", mettant désormais sa maturité intellectuelle au service de sa
famille qui va l'accompagner partout. En effet la famille très en
retrait du premier film est au centre de l'intrigue ici, les racines mercheros
se ressentant par ce sentiment d'unité avec Euleterio jouant son rôle
de "patriarche" malgré ses ennuis judiciaires. Il ainsi forcer toute la
famille à apprendre à lire, et à adopter dans la mesure du possible une
existence sédentaire.
Cette sagesse nouvelle se heurte cependant aux
instincts criminels qui ont également monté en gamme, les larcins
insignifiants du premier volet laissant place au vrai grand banditisme
avec perçage de coffre et blanchiment d'argent. Les situations
périlleuses trahissent l'épine dans le pied qu'est devenu "El Lute" pour
le régime franquiste, tirant à vue sans essayer de l'appréhender durant
les scènes de poursuites. Les quelques interactions hors du cercle
familial montre ainsi El Lute comme étant devenu un symbole de
résistance contre le régime franquiste - il sera d'ailleurs amnistié quelques années à peine après sa chute.
La deuxième partie du film montre "El Lute" tentant désormais de se
ranger, de construire une stabilité pour lui et les siens. Sous la
logique encore très patriarcale (le petit frère forcé d'aller chercher
une femme dans une agence matrimoniale, les rites gitans), il y a
néanmoins une introspection, une parenthèse enchantée laissant entrevoir
une vie normale pour le héros. C'est précisément cette quête de
normalité qui va paradoxalement remettre la police sur sa piste, mais la
cavale avec une famille à charge est moins aisée qu'une fuite en
solitaire. Ce second film semble plus romancé, ou en tout cas moins
cohérent que son prédécesseur, et il rencontrera d'ailleurs un succès
bien moindre. Ça n'en reste pas moins une suite réussie et prenante,
dominée par un Imanol Arias toujours aussi charismatique.
Sorti en bluray espagnol doté de sous-titres anglais