Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

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mardi 11 février 2025

Acte de violence - Act of Violence, Fred Zinnemann (1948)

Joe Parkson, revenu handicapé de la Seconde Guerre Mondiale, en tient pour responsable Frank Enley, ainsi que de la mort de plusieurs soldats qui voulaient s'enfuir d'un camp de prisonniers, Parkson étant lui-même le seul survivant, servant sous les ordres d'Enley, leur officier, qu'il compte bien abattre.

Acte de violence est un des premiers films hollywoodiens à évoquer le sort des vétérans de la Seconde Guerre Mondiale, thématique à laquelle reviendra d'ailleurs Fred Zinnemann avec son film suivant C’étaient des hommes (1950). Une grande majorité des œuvres abordant le sujet étaient de purs mélodrames abordant la difficile réinsertion des vétérans dans une vie normale (le classique Les Plus Belles Années de notre vie de William Wyler (1946) ou Till the End of Time de Edward Dmytryk (1946)), Acte de violence donne dans le film noir. Fred Zinnemann joue habilement dans le fond et la forme sur l'idée d'ombre et de lumière opposant Joe Parkson (Robert Ryan) et Frank Enley (Van Heflin). Le film s'ouvre la présence menaçante de Parkson s'emparant d'une arme et qui sa chambre d'hôtel animé d'un instinct meurtrier, tandis que la première apparition d'Enley se fait en pleine jour, le présentant comme un père de famille idéal et un homme adulé par la communauté.

La narration suit ce schéma à travers les manœuvres de Parkson pour se rapprocher et tuer Enley, mais l'esthétique et l'atmosphère du film nous dit autre chose. La raideur d'Enley à la possible présence de Parkson ne trahit pas seulement une peur, mais quelque chose de plus trouble ressemblant à de la culpabilité. Dès lors la mise en scène de Zinnemann et la photo de Robert Surtees cultive cette ambiguïté en travaillant des jeux d'ombres altérant le quotidien domestique et la présence chaleureuse d'Enley. A l'inverse, tout agressif qu'il paraît être, Parkson ressemble davantage à un être meurtri et vulnérable (dans son corps et son esprit), dont malgré la haine l'on ne sent pas capable d'aller au bout de sa vengeance. 

Après avoir fait vaciller notre perception initiale par l'image, le scénario le justifie par les révélations sur le passé au front et dans un camp de prisonnier expliquant la cause du ressentiment de Parkson. Là encore le regard perdu de Robert Ryan trahi une forme de désespoir et une fuite en avant autodestructrice, alors que Van Heflin oscille entre la culpabilité et un instinct de survie qui l'a fait autrefois trahir ses camarades.
 
Les rôles féminins en forme de boussole morale sont très réussis, notamment Janet Leigh et Mary Astor, véritable moteur de la possible rédemption des personnages masculins. Tout en ayant une pure atmosphère tortueuse de film noir (et en en ajoutant des rebondissements un peu artificiels à la fin), c'est davantage l'étude de caractères des deux héros plutôt que le suspense qui suscite l'intérêt. Entre celui qui doit oublier pour se reconstruire (Parkson) et celui devant se souvenir afin d'être en paix avec lui-même (Enley), la tension dramatique est puissante grâce à la superbe prestation des deux acteurs. Si l'on a souvent déjà vu Robert Ryan dans ce registre fébrile et inquiétant, Van Heflin impressionne vraiment par sa finesse à effriter son image de monsieur tout le monde avenant notamment lors de la longue errance finale - ou l'altération de son univers domestique se prolonge à des environnements urbains expressionnistes et inquiétants pour traduire sa culpabilité. Hormis une conclusion un peu expédiée, une tentative très intéressante donc. 

Actuellement visible en streaming sur le bouquet MyCanal

dimanche 9 février 2025

La mort était au rendez-vous - Da uomo a uomo, Giulio Petroni (1967)


 Un enfant assiste impuissant à l'assassinat de ses parents par quatre bandits. Quinze ans plus tard, il recherche toujours les coupables, guidé par sa soif de vengeance. Il rencontre un homme énigmatique qui semble avoir le même but. Ils décident de s'associer...

La Mort était au rendez-vous est une belle réussite du western italien qui navigue entre les codes naissants du genre et un certain classicisme. Dans les éléments attendu le motif de la vengeance, le casting et la caractérisation "eastwoodienne" de John Philip Law (tenue, posture, blondeur, caractère taiseux et même une Vf de Jacques Deschamps doubleur d'Eastwood sur la trilogie des dollars) ainsi que la relation mentor/rival avec le personnage plus expérimenté de Lee Van Cleef (qui retrouvera de nombreuses fois ce rôle de mentor dans le western italien) nous laisse en terrain connu. Ces éléments et la construction du scénario de Luciano Vincenzoni (collaborateur emblématique de Sergio Leone sur la trilogie des dollars), entre la relation passive/agressive du duo Law/Van Cleef, une course-poursuite et des confrontations teintées de vengeance, ce sentiment familier demeure. Pourtant Giulio Petroni parvient à amener une touche plus singulière à l'ensemble.

L'essor du western spaghetti fut l'occasion d'imposer un style pour les jeunes loups surdoués comme Sergio Leone, ou le terrain d'épanouissement pour les artisans touche à tout comme Sergio Corbucci dont le génie s'y révéla. Giulio Petroni n'est pas dans ce cas et a déjà un parcours davantage tourné vers le drame, une pincée de comédie mais surtout un énorme corpus dans le documentaire avant de s'essayer au western (auquel il reviendra quatre fois par la suite). Contrairement aux élans maniéristes et baroques de Leone, Petroni réserve une approche plus stylisée à des moments clés du film, toujours liés à une dimension émotionnelle et ne s'abandonnant jamais complètement à l'outrance si plaisante dans le western italien. La séquence d'ouverture verse à la fois dans l'imagerie gothique par le travail sur les ombres et l'atmosphère nocturne presque fantastique, mais aussi une violence psychologique aux éléments presque psychédélique dans la manière dont le jeune Bill (John Philip Law) observe, sidéré le massacre de sa famille. 

Le chaos de la scène traduit cette sidération et incompréhension de l'enfant, notamment en maintenant ce point de vue par l'évitement d'une certaine complaisance durant la scène de viol de la mère et de la sœur - égards par forcément toujours présent dans le cinéma d'exploitation. La réalisation plutôt sobre est ainsi traversée de réminiscences fulgurantes de ce traumatisme lorsque Bill adulte croise la route d'un des agresseurs, avec un travail très agressif au montage dans l'alternance entre éléments physiques (cicatrices, tatouages, pendentif) identifiant le coupable et le regard bleu halluciné et assoiffé de sang de Bill. Un des grands moments à ce titre est une des dernières scènes durant laquelle Bill en voulant simplement sauver une jeune femme en détresse reconnaît soudain la brute comme un des meurtriers de sa mère, l'effet s'avère encore plus intense à ce moment-là, notamment par le jeu de John Philip Law passant de sauveur désinvolte à une raideur vengeresse intense - ce qui le perdra d'ailleurs en relâchant sa vigilance.

Lee Van Cleef est toujours aussi charismatique et la relation avec Law, même si l'ombre de celle avec Eastwood dans Et quelques dollars de plus (1965) plane, est très attachante. Law ajoute paradoxalement une certaine vulnérabilité dans sa froideur qui dénote de l'assurance et l'arrogance eastwoodienne, et parvient à imposer une touche personnelle en apprenti tueur encore trop sûr de lui et plaisamment rabroué par Van Cleef. Les apartés plus outrés rappellent davantage certains westerns hollywoodiens atypiques (La Vallée de la peur de Raoul Walsh (1947) ou Rio Bravo de Howard Hawks (1959) que le western italien mais dans l'ensemble Petroni donne dans une efficacité sans génie mais très plaisante durant les nombreuses scènes d'action. 

L'émotion repose davantage sur les surprises que réserve le scénario (le piège dont sera victime Van Cleef, la très belle scène finale), entrecoupées par des fulgurances de Petroni qui choisit clairement des instants précis pour sortir de sa sobriété. La conclusion sous une tempête de sable dans un village mexicain ravive ainsi ce côté presque surnaturel et fantomatique exploité durant la scène d'ouverture, même s'il manque un soupçon de folie pour rendre la séquence totalement mémorable. Il n'en reste pas moins un superbe western, d'ailleurs porté par un score une fois de plus très inspiré du grand Ennio Morricone. 

Sorti en bluray français chez Elephant Films 

jeudi 6 février 2025

Bons Baisers d'Athènes - Escape to Athena, George Pan Cosmatos (1979)

 Pendant la Seconde Guerre mondiale, sur une île en Grèce, un camp de prisonniers de guerre alliés est dirigé par le major Otto Hecht, un Autrichien anti-nazi auparavant marchand d'art. Le travail des prisonniers consiste à déterrer des trésors archéologiques, normalement destinés à l'Allemagne, mais dont les plus belles pièces sont en fait revendues au marché noir par le Major. Les prisonniers sont bien traités mais s'allient néanmoins avec la résistance grecque pour prendre le camp et attaquer un monastère transformé en base secrète de lancement de missiles.

Bons baisers d’Athènes est une superproduction agréable et opportuniste dans sa manière de naviguer entre les genres et les époques dans ses différentes composantes. C’est un projet résultant du succès de L'aigle s'est envolé de John Sturges (1976) solide film de guerre financé par la compagnie ITC Entertainment de Lew Grade et produite par David Niven Jr (fils de l’acteur David Niven) et Jack Wiener. La même équipe décide donc de remettre le couvert avec une nouvelle superproduction sur fond de Deuxième Guerre Mondiale, avec cette fois à la mise en scène le nouveau venu George Pan Cosmatos ayant montré ses aptitudes à la fois dans un récit dramatique à contexte historique (SS Représailles (1973)) et surtout dans un récit spectaculaire avec le film catastrophe Le Pont de Cassandra (1976).

Le casting hétéroclite témoigne du grand brassage plus ou moins réussi que tente le film. On y trouve David Niven (ravi de contribuer à une production de son fils) en caution du vieil Hollywood, à l’inverse Elliott Gould ramenant clairement sa persona rigolarde de MASH (1970), Roger Moore soit James Bond himself en faux antihéros retrouvant bien vite ses vertus héroïques, Richard Roundtree en caution Blackploitation, Telly Savalas et Claudia Cardinale, Sonny Bono dans un rôle farfelu qui aurait pu être tenu par Topol. Le film surfe sur une sorte de revival du film de commando à la fin des années 70 avec des productions comme L’Ouragan vient de Navarone de Guy Hamilton (1978) – suite de Les Canons de Navarone de Jack Lee Thomson dans lequel jouait David Niven qui revient dans cette même région grecque pour Bons baisers d’Athènes-, Les Oies sauvages d’Andrew McLaglen ou justement L’Aigle s’est envolé – et reprend les codes du genre dans l’introduction en situation et stylisée de chacun des protagonistes. 

Il s’inscrit aussi durant sa première partie dans la tradition du film de camp de prisonnier, osant par notamment quelques clins d’œil audacieux avec ce caméo de William Holden (en visite sur le tournage pour voir sa petite amie Stéphanie Powers) reprenant son rôle de prisonnier du Stalag 17 de Billy Wilder (1950). Les quelques moments de quotidien capturés lorgnent ainsi sur cet aspect (on pensera forcément aussi à La Grande évasion (1963)), sur fond de pillage d’œuvre d’art par les nazis, mais le ton un poil trop décontracté se rapproche dangereusement d’une série comme Papa Schultz.

L’ancrage humaniste et dramatique repose ainsi davantage sur le peuple grecque avec nombres d’exécutions arbitraires effectuées par les troupes allemandes en pleine ville. L’interprétation pleine de conviction de Telly Savalas (davantage que celle de Claudia Cardinale tenancière de maison close soutirant des informations aux clients allemands) suffit à instaurer une vraie implication. La plus-value du film repose vraiment sur sa facture spectaculaire, exploitant superbement son décor de Rhodes dans le contemplatif (les nombreux et majestueux plans aériens filmés en hélicoptère) et l’action dont une impressionnante course-poursuite à moto dans la ville. 

Les ruptures de ton et les changements de genre ne fonctionnent pas toujours, notamment la chasse au trésor puis la super base nazie et le compte à rebours à la James Bond mais l’ensemble constitue un très solide divertissement durant lequel on ne s’ennuie pas. Il ne manquait pas grand-chose pour une profondeur plus marquée et une certaine subtilité (le parallèle entre la rédemption de l’officier allemand joué par Roger Moore et le cynisme intéressé d’Elliott Gould) mais là n’était pas l’objectif.

 

mardi 4 février 2025

Boys Meets Girls - Leos Carax (1983)


 C'est l'histoire d'Alex, un garçon esseulé et abandonné par sa fiancée. C'est l'histoire de Mireille, une fille amoureuse qui se raccroche à une histoire perdue d'avance. C'est l'histoire de leur rencontre. De leurs paroles. De leurs regards. C'est l'histoire de leurs amours. L'histoire d'une nuit...

Boys Meets Girls est l’argument via lequel Alfred Hitchcock voyait le point de départ de toute fiction réussie qui se respecte. Leos Carax par ce choix de titre prend l’adage au pied de la lettre avec ce premier long-métrage, venant après Strangulation Blues (1980), court-métrage qui fit sensation. Le postulat du film fait de la rencontre le possible et probable aboutissement du récit, mais c’est un point de bascule longtemps retardé par Carax.

La suite de sa courte mais puissante filmographie le prouvera, Carax oscille justement entre d’authentiques influences hollywoodiennes à travers une certaine grandiloquence (D.W. Griffiths, King Vidor) et une veine plus arty qui lui est propre mais dont les sources sont encore identifiables sur Boy Meets Girl. Ainsi l’ensemble du récit appelle certes à une emphase romanesque, mais il est avant tout question de dépit amoureux, de ruptures et d’absence de communication dans cette vision du couple. C’est le sentiment dominant dans l’observation furtive (Maïté Nahyr fraîchement échappée du domicile conjugal en ouverture) ou plus approfondie des protagonistes. Plus que la passion amoureuse, c’est l’inéluctabilité de sa fin qui intéresse Carax. Alex (Denis Lavant) nous apparaît certes brisé après avoir été quitté par Florence, mais c’est davantage la fulgurance de son départ (et le fait d’avoir été trompé) ainsi que le souvenir de sa difficile séduction qui rendent la chose douloureuse plutôt que la romance en elle-même – comme la carte parisienne des évènements de sa vie en atteste dans son appartement. Mireille (Mireille Perrier) est quant à elle quittée par Thomas (Christian Cloarec) convaincu de devoir rejeter l’image d’idéal romantique que semble prendre son couple – forçant le dégoût dans tout ce qui lui plaisait auparavant chez sa partenaire comme il le soulignera dans un monologue.

On associa un temps à tort Leos Carax à la génération de cinéaste français « pubards » des années 80 comme Jean-Jacques Beinex ou Luc Besson. Pourtant dès Boys Meets Girl, la recherche de la belle image importe moins que le fait d’étendre par l’esthétique l’état d’esprit des personnages. Carax filme un Paris nocturne en noir et blanc où la proximité moderne (fêtes en appartement bourgeois, bar populaire) se dispute à la grandiloquence dans la manière de perdre les silhouettes dans une urbanité ample et poétique qui anticipe son travail à venir sur Les Amants du Pont-Neuf (1991). Le face à soi dans la superficialité du moderne morne est insupportable, mais c’est une même solitude qui guette dans la nuit blanche et les déambulations urbaines. 

Carax fait littéralement rebondir ce mal-être dans sa narration lorsqu’une possible nouvelle rencontre d’Alex dans un bar est retrouvée plus au bras de son amoureux avec lequel elle s’est réconciliée, notre héros observant la scène avec dépit. L’euphorie peu brièvement s’inviter (la séance de claquette de Mireille), mais là encore le travail sur les espaces de Carax sert de révélateur. Le décor totalement irréaliste de l’appartement de Mireille, avec cette sorte d’improbable baie vitrée sur l’immeuble en vis-à-vis, place la jeune femme (et son couple) en tableau amoureux idéal pour les voisins. La rupture la condamne désormais à voir sa solitude exposée, et à faire d’elle une spectatrice à son tour des amours des autres.

L’influence réalisme poétique français des années 30/40, ainsi que la poésie d’un Jean Cocteau fait ainsi par les choix formels de Carax baigner le film dans une rêverie magnifiant et déconstruisant ce Paris urbain 80’s. La mélancolie, l’attente, le regret et l’espérance amoureuse fonctionnent davantage comme un concept pour les personnages n’ayant pas su en profiter lorsqu’ils y étaient immergés, et dès lors la rencontre est biaisée car ils recherchent davantage un « état » qu’un nouveau partenaire. 

La première vision qu’Alex a de Mireille est sa détresse en surprenant une tentative de suicide, Carax magnifie comme une sorte de tableau leur long échange dans les plans d’ensemble où ils sont côte à côte. Pourtant lorsqu’il semble capturer une certaine intimité dans ses effets (le décor en arrière-plan qui s’estompe pour ne laisse que l’obscurité lors des gros plans) la composition, le découpage et le positionnement du couple trahit l’impossibilité du coup de foudre. Alex regarde Mireille qui lui tourne la face puis inversement, les confessions mutuelles se noient dans des dialogues qui se chevauchent plutôt que se répondre

Le moment suspendu que représente cette rencontre ne marque pas un début, mais entérine une fin. Carax joue le jeu narratif de l’attente des retrouvailles mais n’est pas dupe. Il accepte la tragédie avec la résignation méta des jeunes gens modernes – la bande-son baigné de Bowie, Iggy Pop, mais surtout s’ouvrant sur une reprise new wave de Jo Lemaire du Je suis venu te dire que je m’en vais de Serge Gainsbourg, tout est dit – mais aussi en laissant entrevoir une autre influence majeure, le Godard de Pierrot le fou.

dimanche 2 février 2025

Land and Freedom - Ken Loach (1995)


 Au printemps de l'année 1936, David, jeune chômeur désenchanté de Liverpool, estime qu'il n'a plus d'avenir en Angleterre. Sur un coup de tête, il décide de se rendre en Espagne afin de rallier les forces républicaines qui luttent contre les troupes franquistes. Incorporé dans une section clandestine combattant en Aragon, David tombe immédiatement sous le charme de la belle Blanca.

Ken Loach signe une de ses œuvres majeures avec Land and Freedom, captivante évocation de la Guerre Civile espagnole. Le scénario semble librement inspiré d’ Hommage à la Catalogne de George Orwell, récit par le futur auteur de 1984 de son expérience au sein des milices communistes. Les écrans nous narrant les origines du conflit en ouverture semblent dépeindre une situation simple, avec le gouvernement Républicain faisant face au bloc bourgeois représenté par l’armée, l’église et les riches menés par Franco, ces derniers craignant la fin de leurs privilèges avec une part de pouvoir plus grande pour les ouvriers. Ce sont également des images parlantes et un discours d’adhésion limpides qui motivent l’anglais et militant communiste David (Ian Hart) à s’engager dans ce qui représente un combat contre le fascisme.

Ken Loach va bien sûr complexifier le propos en observant l’apprentissage du jeune homme et les désillusions qui en découleront. Dans un premier temps, nous restons au cœur de la milice, de sa diversité sociale, géographique et de genre pour une vision idéale de la vie en communauté. Intellectuels anglo-saxons en quête d’aventures et d’un idéal avec Lawrence (Tom Gilroy), jeune femme espagnole prolétaire trouvant l’émancipation dans la cause pour Maïté (Icíar Bollaín), militant française la rage au ventre concernant Bernard (Frédéric Pierrot) ou passionara vivant l’amour et la combat dans une même fièvre pour Bianca (Rosana Pastor), c’est un microcosme bouillonnant et complexe.   

On y voit que la compréhension commune et la solidarité prévalent sur l’autorité militaire sans entraver la vie collective ou l’organisation au combat, et que convaincre est plus naturel qu’ordonner (la première apparition de Maïté rattrapée amicalement par un soldat après un exercice militaire fastidieux). Les escarmouches militaires au sein des villages alternent ainsi avec la belle description du groupe.

L’ennemi franquiste reste caractérisé à gros traits, dépeint dans sa vilénie et ses exactions abjectes (le prêtre dénonciateur). En effet, la complexité est placée au sein des divisions agitant les forces républicaines pour Loach. Une passionnante scène introduit ces questionnements lors du débat au sein de la communauté d’un village libéré, incapable de se décider entre la collectivisation des terres ou le maintien de la possession individuelle. L’application stricte des idéaux révolutionnaires et l’avancée de la cause appelle au collectivisme, mais ces notions divisent les prolétaires entre eux. Lorsque les membres de la milice tentent d’arbitrer le débat, leurs propres ambigüités surgissent. 

Lawrence appelle à une souplesse des pans les plus radicaux de la révolution pour s’attirer les faveurs de puissances étrangères soutenant Franco (France, Angleterre, Etats-Unis) mais dont la politique capitaliste est aux antipodes de la cause. Si à cette petite échelle, le débat trouvera sa résolution, il anticipe tout un schisme chez les Républicains qui finira par étouffer les idéaux progressistes. La nécessité d’être fourni en arme oblige à être noyé dans les troupes communes et se soumettre à leurs règles renouant avec les codes sociaux archaïques – les femmes interdites de prendre les armes.

Loach à travers les espoirs meurtris de David équilibre vrai fibre romanesque avec description réellement didactique d’une situation géopolitique instable. Parfois une scène est plus efficace que les discours pour expliciter les choses, telle cette séquence nocturne ou trois sous-divisions républicaine (milicien du POUM, pro-stalinien et armée républicaine) se tirent dessus de nuit comme les adversaires qu’il ne sont pourtant pas. Le réalisateur, notamment par sa narration en flashback (les coupures de journaux sur l’actualité sociale anglaise, la dernière scène au cimetière) semble clairement vouloir faire un parallèle avec les luttes contemporaines et la manière dont peut être noyé la cause de gauche pour une « acceptation » extérieure faisant office de compromission. 

Ce fut la cause de la défaite hier en Espagne, c’est le risque qui tend les bras aujourd’hui. C’est captivant même si un peu trop appuyé (et avec ce risque du manichéisme pendant toujours au-dessus de Ken Loach), et voir un film au sujet voisin comme Libertarias de Vincente Aranda (1996) est un complément recommandé sur la question. En tout cas une belle réussite et une des œuvres les plus ambitieuses de Ken Loach.

Sorti en dvd zone 2 français chez TF1 Vidéo

vendredi 31 janvier 2025

L'Eternité et un jour - Mia aioniotita kai mia mera, Theo Angelolopoulos (1998)

Alexandre, un grand écrivain, est sur le point de quitter définitivement la maison en bord de mer dans laquelle il a toujours vécu. Avant son départ, il retrouve une lettre de sa femme, Anna, qui lui parle d'un jour d'été, il y a trente ans. Pour Alexandre commence alors un étrange voyage où passé et présent vont s'entremêler.

 L'Éternité et Un Jour est le film de la consécration pour le cinéaste grec Theo Angelopoulos, son douzième long-métrage qui le vit remporter la Palme d’or à l’édition 1998 du Festival de Cannes. Le cinéaste y voyait le dernier volet d’une trilogie après Le Pas suspendu de la cigogne (1991) et Le Regard d'Ulysse (1995), avec pour lien thématique « la notion de limite ou de frontière dans la communication entre les êtres, dans l’amour, dans le passage de la vie à la mort » selon ses termes.  On peut souvent voir en Angelopoulos un cinéaste austère et difficile d’accès, mais les prémices douloureuses et intimes du projet semblent avoir motivé en lui une approche plus explicitement sensible et ouverte. Il va faire face à deux décès inattendus dans ses relations professionnelles et amicales, avec Mikes Karapiperis, le chef décorateur des premiers films, et l’acteur italien Gian Maria Volonté durant le tournage du Regard d'Ulysse. Ces évènements vont attiser en lui une réflexion, une interrogation, celle de savoir ce que les disparus auraient fait s’ils avaient eu un jour de plus à vivre – et en connaissance de leur disparition imminente.

C’est dans cette situation qu’il place son héros Alexandre (Bruno Ganz), écrivain d’âge mûr s’apprêtant à entrer à l’hôpital pour probablement n’en jamais sortir, la nature de son mal nous restant inconnu. On constate que cette fin prochaine incite davantage Alexandre à faire le vide autour de lui. Le vide de ses biens comme on le constate avec son appartement désert en début de film, le vide de ses relations, de la plus formelle avec sa domestique Urania (Hélène Gerasimidou) à la supposée plus étroite car filiale pour sa fille (Iris Chatziantoniou), l’adieu le plus poignant n’étant pas celui que l’on croit. Au dépouillement d’interaction du présent répond le trop-plein de souvenir du passé pour Alexandre lorsqu’il entame son errance.

Ce passé se rattache à un lieu, une maison au bord de la mer révélée par un long-plan séquence et un travelling avant nous offrant un somptueux panorama durant la scène d’ouverture remontant à l’enfance du personnage. La photo de Yórgos Arvanítis et Andréas Sinani alterne entre les teintes urbaines sinistre du présent et celles, solaires, estivales et chaleureuses du passé dans les flashbacks au sein de cette maison côtière – dont on apprendra qu’elle a été vendue par sa fille. Alexandre n’est plus qu’une ombre défilant anonymement dans la désolation du présent, mais s’avère aussi au mieux un figurant dans les souvenirs. Le fossé qu’il a creusé autour de lui alors que la fin s’approche, trouve sa source dans ces instantanés du passé qu’une autre dépeint finalement pour lui. La voix-off s’imprègne alors des mots posés sur papier par Anna (Isabelle Renauld), l’épouse défunte d’Alexandre, sur les maux de leurs vie commune. Déjà, là, Alexandre, entièrement consacré à son œuvre littéraire, était trop absent de corps et/ou d’esprit pour participer aux moments de vie cruciaux de sa famille, ici une visite après la naissance de sa fille. Angelopoulos adopte comme un point de vue extérieur et omniscient durant ces séquences, comme si Alexandre observait ces instants en spectateur lointain. Lorsqu’Angelopoulos immerge finalement son protagoniste au cœur de l’évènement, la distance se maintient en lui conservant son physique usé de fin de vie, en décalage avec l’énergie et la jeunesse de ceux qui l’entoure. Il est trop tard, Alexandre n’est désormais plus qu’un invité, une anomalie dans des souvenirs qu’il n’a pas réellement partagés, et c’est l’amertume de son épouse en voix-off qui domine plutôt que la joie de revivre ces moments – s’il ne les a jamais vécus.

Entre les couleurs d’un passé révolu et la grisaille d’un présent dont on n’a plus rien à attendre, Alexandre va pourtant trouver un entre-deux. La rencontre improbable avec un enfant migrant albanais et laveur de carreau va déboucher sur un étonnant road-movie. Cet élément reconnecte Alexandre au présent et à ses réalités sociales, ce qui amène paradoxalement Angelopoulos à une imagerie plus stylisée encore, baignée de visions saisissantes telles ce camp de réfugiés plongé dans la brume, ou encore cette usine désaffectée déployant un espace de recueillement solennel pour d’autres enfants errants. En homme qui n’a pas réellement vécu l’essentiel, Alexandre va aider cet enfant à accepter le deuil et faire face à une vie qui lui tend les bras. Angelopoulos fait passer toute cette gamme de sentiment complexe par l’image, le verbe se faisant rare et souvent cryptique pour se reposer sur la prestation poignante de Bruno Ganz. 

La lourde silhouette et l’expressivité de ce dernier est d’autant plus à saluer que les dialogues épars furent doublés ensuite en grec durant la postproduction. Angelopoulos équilibre les préoccupations intellectuelles de son héros, ses regrets et ce sursaut d’empathie dans un tout cohérent, passant par de superbes idées formelles, telle cette rencontre presque métaphysique avec le poète auquel il consacra ses derniers travaux. Au lieu de l’éloignement intime que provoque habituellement l’émergence de sa vie intellectuelle, Alexandre traverse le décor autrefois occupé par le poète en expliquant la pensée de celui-ci à l’enfant. Le titre du film fait ainsi sens quand s’approche la conclusion, l’éternité espérée dans les arts par Alexandre valant autant que ce « un jour » de plus où il a enfin pu l’accorder par une interaction aux autres, ceux de son passé et de son présent.

mercredi 29 janvier 2025

Black Sunday - John Frankenheimer (1977)


 Le pilote de dirigeable Michael Lander, qui a enduré les horreurs de la guerre du Vietnam, est devenu psychotique. Désireux de se suicider en grande pompe, il s'associe à la terroriste palestinienne Dahlia, qui prévoit d'utiliser Lander pour faire exploser une bombe lors du Super Bowl en faisant s'écraser son avion sur les gradins bondés. Alors que des milliers de vies sont en jeu, l'agent militaire israélien Kabakov fait équipe avec le FBI pour tenter d'empêcher le meurtre-suicide de Lander.

Black Sunday peut être vu comme un des derniers, si ce n’est le dernier réel coup d’éclat d’un John Frankenheimer qui par la suite rentrera tristement dans le rang, tant au niveau des faveurs du public que de l’inspiration artistique. Issu de cette génération de réalisateurs (Sidney Lumet, Arthur Penn) ayant fait leurs armes à la télévision sur des « dramatiques » laissant le temps et la marge de manœuvre pour expérimenter, Frankenheimer est identifié dès ses premières grandes réussites. Les heureuses rencontres (Burt Lancaster avec qui il tournera cinq films), l’inventivité formelle et l’audace de ses sujets le mettent sur les radars de la critique (notamment française). C’est notamment le cas pour une sorte de trilogie paranoïaque comprenant Un crime dans la tête (1962), Sept jours en mai (1964) et L’Opération Diabolique (1967). Tout en s’appuyant sur les tensions d’un Guerre Froide vivace,  Frankenheimer finissait par capturer un mal plus intérieur, par ses peurs activées (Un crime dans la tête) ou du moins stimulées par les menaces extérieures (Sept jours en mai), jusqu’à l’épure existentielle et désespérée du fabuleux L’Opération Diabolique. Les productions de la fin des années 60 et du début des années 70 contiendront encore leur lot d’excellents film, mais les divergences avec les studios (la sortie sabordée par MGM de Les Parachutistes arrivent (1969)) , les vedettes récalcitrantes (Gregory Peck sur Le Pays de la violence (1970)), les insuccès injustes (la fresque épique Les Cavaliers d’après Joseph Kessel), placent progressivement le réalisateur à la marge d’une industrie ne jurant plus que par la modernité d’Easy Rider.

Lassé des Etats-Unis, Frankenheimer s’imagine un destin à la Joseph Losey et s’installe à Paris, séjour durant lequel il signera le méconnu L'Impossible Objet (1973) exercice justement bien trop appliqué et déférent à ce cinéma européen auquel il aspire. Il va en partie se remettre en selle en réalisant French Connection 2 (1975), très solide suite du classique de William Friedkin. Ce sont certainement les aptitudes, connues mais rondement exploitées dans French Connection 2 (immersion documentaire, action filmée sur le vif) qui convaincront Robert Evans qu’il est l’homme de la situation pour adapter Black Sunday, premier roman d’un encore inconnu nommé Thomas Harris. Le projet est entamé alors que le contexte du conflit israélo-palestinien est dans un de ses moments les plus délicats, notamment la prise d'otages des Jeux olympiques de Munich. On imagine Frankenheimer creuser encore davantage les jeux de paranoïas et de faux-semblants de ses films des années 60, mais l’approche sera différente.

Frankenheimer était un vrai artiste politisé, les penchants progressistes de son cinéma se prolongeant dans la réalité puisqu’il eut la charge de réaliser les films promotionnels de la campagne de primaire de Robert Kennedy. Très lié à ce dernier, il l’aida à gagner en assurance face aux caméras et s’apprêtait à venir le chercher le soir où il fut assassiné par balles le 5 juin 1968. Cet évènement tragique ajouté au déconvenues professionnelles évoquées plus haut affectèrent profondément, Frankenheimer, dans sa vie personnelle (avec de longs épisodes d’alcoolisme et de dépression) et son art, notamment sur Black Sunday.

Par de nécessaires précautions (qui n’empêcheront pas les incidents en amont, durant et après le tournage, tout comme les controverses à la sortie), le film fait une forme de choix apolitique dans son approche. La narration avance en mettant en parallèle le projet terroriste de Septembre Noir et l’enquête du Mossad pour le contrecarrer. Plutôt que d’opposer les groupes et les idéologies, Frankenheimer observe les individus. Opération Diabolique avait ouvert chez le réalisateur une réflexion sur le mâle américain, sa place dans une société en mutation qui se prolongerait par l’immersion dans l’Amérique profonde de Les Parachutistes arrivent et Le Pays de la violence. Cela passait par l’interprétation de stars à la splendeur fanée dans ces trois films (Rock Hudson, Burt Lancaster et Gregory Peck), et le constat d’un supposé âge d’or révolu. Lander (Bruce Dern) est une figure bien différente, rattaché aux maux profondément contemporains de l’Amérique. Brisé par son expérience de prisonnier au Vietnam et trahi par des troubles de stress post-traumatique, Land est un être déclassé par son ancien corps d’armée, et déconsidéré par les institutions du pays censées l’accompagner – la cruauté du rendez-vous médical, entre le mépris d’une assistante et l’impréparation du médecin devant le suivre. La manière de retrouver sa dignité et prendre sa revanche consiste donc en le projet fou d’être à l’initiative d’un attentat de Septembre Noir sur le sol américain. Frankenheimer, qui fut par la suite longtemps attaché au projet Rambo, se montre clairement visionnaire sur ce thème avant qu’il ne devienne plus commun au sein du cinéma américain. 

La double narration est captivante en mettant dos à dos les individus, dans leurs errements comme leurs failles, à des instants décalés. La barbouzerie d’ouverture nous introduit Kabalov (Robert Shaw), agent du Mossad dont les états de services lui ont valu le doux surnom de « solution finale ». Durant l’opération, sa volonté va pourtant faillir au moment d’abattre Dahlia (Marthe Keller), membre de Septembre Noir à sa merci. Les révélations progressives sur le passé de Kabalov et Dahlia en font des personnages miroir, ce que souligne bien la mise en scène de Frankenheimer lors de leurs deux face-à-face. Dahlia est animée d’une rage, d’un ressentiment, d’une soif de sang et d’un fanatisme qui devaient certainement être ceux de Kabalov à ses débuts. Kabalov quant à lui témoigne d’une usure, lassitude, qui seront probablement ceux de Dahlia après 20 ans de campagnes sanglantes, sans avoir fait évoluer les choses. 

Frankenheimer fait habilement osciller notre empathie de l’un à l’autre, dans de superbes scènes introspectives (les confessions de Kabalov à l’hôpital, celles entre Dahlia et Lander) ou des moments d’action où le réalisateur nous pousse vers une jubilation coupable – la séquence durant laquelle Lander et Dahlia échappent aux garde-côtes. Cet humanisme est cependant mis à mal constamment lorsque chacun des deux camps renoue avec les méthodes les plus abjectes durant leurs pérégrinations. La joie démente manifestée par Lander après le test de sa bombe durant lequel il a sacrifié un innocent, l’indifférence à tirer dans la foule de Fasil (Bekim Fehmiu) durant une course-poursuite urbaine à pied, tout cela finit par sceller notre choix pour ceux privilégiant la vie dans le cadre du récit.

Après deux heures d’un pur récit d’espionnage rondement mené et captivant, Frankenheimer va amorcer le grand morceau de bravoure du film. Le montage d’une précision métronomique, le déluge d’action insensé et les visions dantesques (le dirigeable piquant du nez au-dessus d’une tribune de stade) mènent à un suspense haletant soutenu par le score anxiogène à souhait de John Williams. Quelques imperfections techniques ici et là ne sauraient remettre en question le sommet de tension de ce climax, lorgnant sur le film catastrophe et paradoxalement presque trop spectaculaire en comparaison du ton introspectif qui précède. Malgré toutes ses qualités, le film (dont l’originalité sera émoussée par la sortie quelques semaines plus tôt d’Un tueur dans la foule de Larry Peerce (1976) au sujet voisin) ne remportera pas le succès escompté et Frankenheimer ne se retrouvera plus aux rênes d’un projet aussi ambitieux. Les évènements du 11 septembre 2001 limiteront désormais les diffusions du film, l’irréalisme spectaculaire du moment de sa sortie étant désormais auréolé d’une authenticité visionnaire fort dérangeante. 

Sorti en bluray français chez Sidonis

samedi 25 janvier 2025

Demain, je serai libre - El Lute II: mañana seré libre, Vicente Aranda (1988)

Le destin d'Eleuterio Sanchez, dit "El Lute", prisonnier devenu célèbre en Espagne en raison de ses multiples évasions (seconde partie).

Demain je serai libre est le second volet du diptyque que Vicente Aranda consacre à Eleuterio Sanchez après El Lute, marche ou crève (1987). Cette deuxième partie est très différente de l'austérité et de l'approche sociale du film précédent. C'est un vrai paradoxe d'ensemble puisque Demain je serai libre est à la fois plus intimiste mais aussi nettement plus spectaculaire que son prédécesseur. Le film s'ouvre sur une haletante scène d'évasion qui illustre la transformation du personnage. A l'évasion quasi improvisée du premier film, on oppose cette fois un plan rigoureusement planifié, dont même un léger accroc ne l'empêchera pas de s'échapper. A l'inverse jeune chien fou analphabète dont la police pouvait anticiper les actions, on trouve désormais un adulte rompu aux nécessités de la cavale, autant capable de faire profil bas durant des mois que d'improviser la bonne décision lorsque le danger se rapproche.

La première partie du film est un pur thriller observant la fuite de "El Lute", mettant désormais sa maturité intellectuelle au service de sa famille qui va l'accompagner partout. En effet la famille très en retrait du premier film est au centre de l'intrigue ici, les racines mercheros se ressentant par ce sentiment d'unité avec Euleterio jouant son rôle de "patriarche" malgré ses ennuis judiciaires. Il ainsi forcer toute la famille à apprendre à lire, et à adopter dans la mesure du possible une existence sédentaire. 

Cette sagesse nouvelle se heurte cependant aux instincts criminels qui ont également monté en gamme, les larcins insignifiants du premier volet laissant place au vrai grand banditisme avec perçage de coffre et blanchiment d'argent. Les situations périlleuses trahissent l'épine dans le pied qu'est devenu "El Lute" pour le régime franquiste, tirant à vue sans essayer de l'appréhender durant les scènes de poursuites. Les quelques interactions hors du cercle familial montre ainsi El Lute comme étant devenu un symbole de résistance contre le régime franquiste - il sera d'ailleurs amnistié quelques années à peine après sa chute.

La deuxième partie du film montre "El Lute" tentant désormais de se ranger, de construire une stabilité pour lui et les siens. Sous la logique encore très patriarcale (le petit frère forcé d'aller chercher une femme dans une agence matrimoniale, les rites gitans), il y a néanmoins une introspection, une parenthèse enchantée laissant entrevoir une vie normale pour le héros. C'est précisément cette quête de normalité qui va paradoxalement remettre la police sur sa piste, mais la cavale avec une famille à charge est moins aisée qu'une fuite en solitaire. Ce second film semble plus romancé, ou en tout cas moins cohérent que son prédécesseur, et il rencontrera d'ailleurs un succès bien moindre. Ça n'en reste pas moins une suite réussie et prenante, dominée par un Imanol Arias toujours aussi charismatique.

Sorti en bluray espagnol doté de sous-titres anglais