Alors que Ryuko, fille du chef du clan Yano, prépare ses noces, son père est trahi et assassiné. Renonçant à son destin de femme, Ryuko prend la décision de marcher sur les traces de son père en assumant sa succession comme chef de clan. Tatouée de fleurs rouges comme le sang, elle part sur les routes du Japon pour s'aguerrir, s'initier aux pratiques yakuza et venger son père. Devenue une célèbre joueuse itinérante surnommée Oryu la Pivoine rouge, elle fait la connaissance de Katagiri, un yakuza solitaire marqué par un terrible secret...
La Pivoine Rouge est le premier volet d’une des plus fameuses sagas du studio Toei. Le film s’inscrit dans le courant du Ninkyo Eiga, versant héroïque du film de yakuza présentant ces criminels sous un jour chevaleresque. Le genre trouve son essor à partir du milieu des années 60 avec notamment le succès d’œuvres fondatrices comme La légende des yakuzas de Masahiro Makino (1964) qui en installe aussi la star la plus emblématique, Ken Takakura. Kinji Fukasaku viendra bousculer cela au début des années 70 avec le Jitsuroku eiga, le film de yakuza réaliste les présentant sous un jour violent, cru et démythificateur. Avant cela, la formule du Ninkyo Eiga est largement essorée par Toei durant toutes les années 60 et, une des manières d’apporter un certain renouvellement viendra avec l’idée d’introduire une figure de yakuza féminine avec La Pivoine rouge.
Le postulat voyant un jeune yakuza en apprentissage parcourir le Japon et, au fil des amitiés et rencontres, se trouver en conflit moral et de loyauté, entre des guerres de clans yakuzas, un assez classique du Ninkyo Eiga. Néanmoins, avec l’introduction d’un personnage féminin, la donne se voit légèrement modifiée. La jeune Ryuko (Junko Fuji) plus connue sous son surnom de « Oryu la Pivoine rouge » a certes renoncé à sa féminité par ce choix de vie et sa quête de vengeance, mais c’est bien ce mélange de détermination froide, d’empathie et de grâce justement féminine qui lui confère tout son charisme. La présence magnétique de Junko Fuji impose cet alliage dès le somptueux générique d’ouverture où, face caméra, Ryuko se présente par la posture et le laïus selon les codes yakuzas. La première partie expose remarquablement ces codes par les environnements typiques du milieu comme les salles de jeu, les rituels punitifs et donc cette fameuse dimension chevaleresque et nobles des yakuzas. Une série de courtes péripéties introduit personnages-clés à la fois pour l’intrigue mais aussi les volets suivant de la saga, le passé douloureux de Ryuko, et surtout la manière dont sa personnalité déterminée désamorce les conflits.La Pivoine rouge est la pierre angulaire de toutes une série d’héroïnes dures à cuir du cinéma japonais, que ce soit dans le film de yakuza avec de nombreux décalques (la Nikkatsu avait d’ailleurs devancé Toei sur ce terrain avec sa trilogie Woman Gambler) et aussi divers pans du cinéma d’exploitation comme La Femme Scorpion ou Lady Snowblood. Néanmoins, et même si elle sait se défendre au cœur de l’action, Ryuko se déleste de la nature invincible et menaçante d’une Meiko Kaji justement, semblant davantage s’imposer par sa compassion et son sens de l’honneur. Tous les conflits au sein desquels elle va s’impliquer durant le récit seront pour réparer une injustice : démasquer un tricheur à une table de jeu, racheter la fiancée d’un ami achetée comme maîtresse par un yakuza, empêcher une guerre de clan. Comme un symbole, le seul acte véritablement meurtrier et vengeur qu’elle poursuit lui échappe comme ne pas la délester de cette pureté, le personnage Katagiri (Ken Takakura) voulant lui éviter la souillure éternelle que constitue l’acte d’enlever la vie à autrui. Le conflit intervient ainsi lorsqu’une forme de corruption de ce code yakuza intervient, relevant à la fois d’une corruption plus « occidentale » mais aussi de maux ancestraux du Japon. Le méchant du film, Kakurai (Minoru Ōki) est le descendant d’une lignée de famille de samouraï désormais facultative dans la société japonaise de l’ère Meiji (1868-1912). Pour s’élever socialement, il va faire preuve d’une veulerie toute contemporaine, tout en souillant la noblesse des codes yakuzas minutieusement présentés durant la première partie. Sa froideur et son cynisme dénote avec les précédents boss yakuzas observés, que ce soit la bonhomie de Kumatora (Tomisaburō Wakayama futur Ogami Ito de la saga Baby Cart) ou la figure matriarcale puissante de Otaka (Nijiko Kiyokawa). C’est tout naturellement que l’intrigue va le révéler être l’objet de la vengeance de notre héroïne. Formellement c’est une splendeur typique du savoir-faire de la Toei à cette période. Kōsaku Yamashita est une des chevilles ouvrières talentueuses du studio, qui la même année que La Pivoine rouge signera d’ailleurs Gokudō, autre franchise à succès et au long cours du studio avec près de dix suites. Il signe là une œuvre soignée et inventive. S’il n’y a pas le grain de folie d’un Norifumi Suzuki (ici au scénario), les idées formelles brillantes sont bien là, notamment cet instant qui acte la bascule de Ryuko et justifie son surnom, ce renoncement à sa féminité qui voit des pivoines blanches devenir rouge alors qu’elle exprime sa volonté. L’alliance des décors studio de Yoshichika Amemoriet la photo de Osamu Furuya apporte un équilibre idéal entre retenue et stylisation, tel cet arrière-plan de ciel couchant peint lors de la première rencontre entre Katagiri et Ryuko au cimetière. Le flashback du fidèle Fugushi (Rin'ichi Yamamoto) sur son lit de mort amène un poignant contraste esthétique, par sa photo diaphane, au reste du film plus étouffant en exprimant un sentiment nostalgique et de respiration s’opposant aux environnements clos dominant le récit. Kōsaku Yamashita a une approche plus terre à terre qui ne laisse pas exploser une veine baroque lors des moments attendus, telle la marche finale de Ryuko vers la demeure de son ennemi alors que des productions futures laisseront exploser toute leur grandiloquence dans le traitement de séquences équivalente. Cette retenue sied très bien à la volonté avant tout intimiste de ce premier volet, la hargne sèche de l’affrontement final et l’émotion de la conclusion validant ce parti-pris. Une belle entrée en matière pour cette saga culte.
Sorti en bluray français chez Carlotta







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