Au premier abord, Désiré est une œuvre apparaissant comme plus mineure que le carré d’as de 1936 qui permit à Sacha Guitry de définitivement faire sien le médium cinématographique (Le Nouveau Testament, Le Roman d’un tricheur, Mon père avait raison et Faisons unrêve). Ces premières réussites oscillaient justement en une exploitation pleine et virtuose des possibilités du cinéma (Le Roman d’un tricheur), ou au contraire d’en faire un prolongement plus assumé de ses travaux théâtraux (Mon père avait raison). Désiré s’avère un habile entre-deux, cette hésitation participant justement au thème du film. Guitry adapte là sa pièce éponyme jouée en 1927. Il exploite son goût pour le vaudeville en jouant non pas sur l’existence de situations scandaleuses, de non-dits et de quiproquos, mais seulement sur leur possibilité.
Cela part d’un questionnement habile entre une certaine idée de la lutte des classes, ou alors d’un parallèle autour de la nature humaine transcendant cette dimension. La scène d’ouverture offre ainsi en montage parallèle les discussions du couple des maître de maison Odette (Jacqueline Delubac) et Montignac (Jacques Baumer) avec celle des domestiques, la femme de chambre Madeleine (Arletty) et la cuisinière Adèle (Pauline Carton seule rescapée de la version théâtrale). Le dédain hors-sol des premiers alterne ainsi avec les railleries narquoises des secondes, séparant les deux mondes de façon irréconciliable.L’arrivée de Désiré (Sacha Guitry), nouveau valet de chambre, va venir jeter un flou dans cette dichotomie. Comme nous le comprendrons plus tard, contrairement à ses collègues, il se délecte plus qu’il ne subit sa condition servile, et son passé trouble révèlera qu’il a eu un rapprochement coupable avec sa précédente patronne. Les interactions entre maîtres et serviteurs peuvent être ainsi associé dans la réalité du quotidien à un « théâtre » de la vie ou tout autre type de relation est impensable. Montignac admet durant une discussion trouver Madeleine jolie mais estime absurde l’idée même d’aller plus loin, quand cette dernière, tout en pestant sur Odette est envieuse d’une ancienne collègue étant parvenu à épouser son patron. Désiré a franchit le tabou hors-champs et l’admet sincèrement afin d’attirer la sympathie d’Odette et qu’elle le conserve à son service, tout en la rassurant qu’elle ne risque rien car elle n’est pas à son goût. Cependant, l’idée même de cette « transgression » s’est insérée dans leur esprit, et va se manifester par l’inconscient lorsque chacun, de son côté va faire un rêve érotique sur l’autre et se trahir en manifestant son émoi à voix haute. Si la vie ordinaire est un théâtre des apparences et des conventions, le monde des rêves est l’espace cinématographique de tous les possibles, exprimant par l’intrigue même le potentiel nouveau que trouve Guitry dans ce nouvel outil. Cela s’exprime bien sûr dans la fabuleuse scène de coucher où les rêves de chacun se matérialisent à l’écran, sorte de bulle de bd et émanation de l’inconscient mettant en mouvement ce que le corps alors endormi ne peut oser à la lumière du jour. Au réveil, le déni est de mise et les non-dits refont leur apparition, mais le trouble est bien réel. Alors que le rapport dominants/dominés s’avèrent plus cruel encore dans les hautes sphères de la société (« l’ami » de Montignac faisant explicitement des avances à Odette une fois le poste de ministre perdu), les gestes, regards et attentions reflétant le cinéma des songes s’immisce dans le théâtre de la vie pour Odette et Désiré. Le vaudeville est quasi abstrait et subliminal, avec Montignac jalousant l’amant des rêves de sa maîtresse mais ne voyant pas la vraie trahison se jouant sous ses yeux. L’hypocrisie des liens sentimentaux bourgeois (devenir une épouse étant presque une déchéance puisque l’on sera remplacé en tant que maîtresse) aboutit néanmoins sur des unions officielles, tandis que le rapprochement de classe en restera à l’inconscient et au refoulé. La confession finale entre Désiré et Odette n’aboutira donc pas à une relation, d’une vie ou d’une nuit, mais est davantage un solde de tout compte à l’issu duquel chacun à sa place, en haut ou en bas du spectre.Ressortie en salle le 5 novembre





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