Ville de Yokohama au Japon. Yuka est une jeune fille volage, de confession chrétienne et un brin naïve, qui rêve de voyages et ne désire rien d'autre que rendre heureux ses nombreux amants. Mais elle ne leur permet pas de l'embrasser. Parmi ses amants, il y a un homme d'affaires marié, la quarantaine, qui l'entretient et qu'elle appelle « Papa », Osamu, un jeune homme fougueux et amoureux d'elle ou encore Frank, qui travaille dans une agence de voyages.
Les Lundis de Yuka s’ouvre sur une vue du port de Yokohama en plan fixe, sur fond de voix-off masculines étrangères vantant les plaisirs qu’offrent la ville, en particulier ses jeunes femmes avenantes et libérées. Ces dires sont confirmés ensuite lors d’une scène de club où la caméra suite une belle jeune fille, dont les mérites sont de nouveaux célébrés en voix-off par les convives, cette Yuka (Mariko Kaga) dont la seule préoccupation est de satisfaire les hommes. On peut voir Les Lundis de Yuka comme une sorte de pendant féminin de Cochons et cuirassés de Shohei Imamura (1961). Comme dans ce dernier, le cadre portuaire et cosmopolite sert un avilissement, appât du gain et corruption morale des locaux et notamment de la jeunesse. Cependant au chien fou d’Imamura on troque un troque une jeune femme non pas corrompue, mais à la boussole morale absente.
Mariko Kaga représente une autre forme de tourment juvénile après son personnage de joueuse torturée de Fleur Pâle (1964) avec cette Yuka entièrement dévolue aux désirs masculins. Entretenue par un homme d’affaires mature et marié, elle lui consacre ses lundis tandis que les autres jours sont dédiés à ses autres amants. C’est le seul modèle relationnel connue de Yuka et encouragé par sa mère, elle-même ancienne prostituée. Ainsi on observe Yuka passer d’un homme à un autre, voire les poursuivre de ses assiduités par le seul prisme du sexe, s’autorisant uniquement la coquetterie de ne pas les embrasser. Ko Nakahira poursuit son observation de la jeunesse japonaise, mais l’imprègne thématiquement et esthétiquement d’une noirceur plus désabusée. Son célèbre Passions juvéniles (1956) était porté par une fièvre érotique et réellement libératrice pour la jeunesse des « saisons du soleil » de la fin des années 50. L’environnement urbain même si provincial de Les Lundis de Yuka (et aussi Fleur Pâle justement) et le contexte plus affirmé du boom économique japonais instaurent une froideur, une anesthésie des rapports humains. On ne sait pas vraiment si Yuka ressent un vrai désir ni même un plaisir physique quand elle s’offre aux hommes, mais sa candeur, son conditionnement mental et social la font néanmoins sincèrement et naïvement les satisfaire. Mais pour ces derniers et en particulier « Papa » (Takeshi Katō), son bienfaiteur, elle n’est qu’un objet de consommation voire de négociations quand il l’offre en pâture à ses clients étrangers. Yuka le comprend par intermittences et en constatant d’autres bonheurs possibles (la scène où elle observe « Papa » radieux comme il ne l’a jamais été en sa compagnie durant sa vie familiale), mais se montrera incapable d’instaurer une relation normale avec les hommes ne réclamant pas ce type de dévotion, soit par ses infidélités, soit par la distance maintenue de ses refus de baisers. Il y a un autre élément exploité de façon fascinante par Ko Nakahira, c’est la manière dont Yuka absorbe l’élément occidental de la religion chrétienne. Soumise au pire de l’avilissement capitaliste par la prostitution, elle est aussi troublée par la culpabilité morale chrétienne de façon inconsciente et exprimée dans ses rêves (ainsi qu’un flashback révélateur) par des visions hallucinées, oniriques et blasphématoires magnifiquement orchestré par Nakahira. Celui-ci tisse un écrin sous haute influence de la Nouvelle vague française, par un thème et une construction narrative lorgnant sur Vivre sa vie de Jean-Luc Godard (1962). Il capture l’insouciance initiale de Yuka par des moments figés en plans-fixes, une dimension vaporeuse qui s’estompe au fil de la prise de conscience désabusée de Yuka - le film précède aussi le désespoir d'une oeuvre comme Je la connaissais bien d'Antonio Pietrangeli (1965), faisant de cette féminité trahie un questionnement plus universel. Le réalisateur se trouve dans un équilibre ténu en la veine grand public de ses premiers films et une approche plus explicitement expérimentale correspondant aux mues de la Nouvelle Vague japonaise qu’il exploitera pleinement dans Flora on the Sand (1964) notamment.




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