Une jeune et jolie
provinciale, Adriana Astarelli, découvre les attraits factices de la
civilisation urbaine et rêve de devenir une star. Légère et candide, la jeune
fille multiplie les aventures et les emplois en quête d’un rôle de plus en plus
désarmée face aux humiliations et aux manipulations…
Douze ans après l’inaugural Du soleil dans les yeux (1953), Antonio Pietrangeli vient conclure en beauté
son cycle consacré à la condition féminine en Italie. C’est en effet le vrai
dernier film du réalisateur puisque par la suite il ne signera qu’un segment du
film à sketches Les Ogresses (1966)
et que Quand, comment et avec qui ?
(1969) sera achevé par Valerio Zurlini après la noyade fatale de Pietrangeli en
plein tournage. Du soleil dans les yeux
était encore marqué de l’influence du néoréalisme (voir du néoréalisme rose
dans ses moments les plus légers) avec ce parcours d’une paysanne découvrant
les rudesses de la vie urbaine tant dans ses emplois de servante que dans sa
vie sentimentale. La noirceur du récit était contrebalancée par une forme de
sororité prolétaire qui pouvait laisser penser à des lendemains
meilleurs pour l’héroïne incarnée par Irene Galter. Sur un postulat voisin, Je la connaissais bien prend une voie
radicalement différente et finalement bien plus sombre sous son aspect
faussement plus guilleret. Le film de 1953 par son titre reste néanmoins
porteur d’espoir tandis que celui de 1965 énonce déjà la tragédie en marche. D’ailleurs
le drame qui conclut Du soleil dans les
yeux ne constitue qu’une péripétie douloureuse parmi d’autres pour Adriana
(Stefania Sandrelli).
Tout le jeu de faux-semblant du film résonne dès la scène d’ouverture.
La caméra de Pietrangeli s’attarde sur les courbes sensuelles d’Adriana,
prenant le soleil dos nus sur la plage tandis que son transistor diffuse
un langoureux morceau de variété italienne. La séquence semble inviter à l’hédonisme
mais définit déjà ce que sera le statut d’Adriana durant tout le récit :
un corps désirable que l’on souhaite toucher, caresser, posséder et rien d’autre.
Dans un premier temps le personnage semble accepter ce statut et Pietrangeli joue
sur plusieurs registre pour définir ce statut de femme-objet consentante.
Malgré les situations ambigües, les hommes semblent synonymes de sécurité
matérielle avec ce premier amant plus âgé l’embauchant dans son salon de
coiffure, de possible ascension professionnelle par l’imprésario incarné par
Nino Manfredi ou tout simplement source de plaisir à travers le séducteur
souriant que joue Jean-Claude Brialy.
L’ellipse et la narration fragmentée
suffisent parfois à deviner le rejet de l’amant de passage ou alors Pietrangeli
orchestre de purs moments de muflerie et humiliation. L’imprésario « bienveillant »
rabat en fait ses clientes vers des vieux libidineux et Brialy s’avère un
escroc et gigolo n’hésitant pas à laisser Adriana en plan sans payer une note d’hôtel.
Pourtant l’interprétation guillerette de Stefania Sandrelli fait tourner à la
comédie ces déconvenues et le scénario ne fait que répéter ce schéma
séduction/coucherie/trahison du début à la fin. Antonio Pietrangeli se déleste
de toute narration linéaire qui pourrait amener un crescendo dramatique dans les
mésaventures de son héroïne et ainsi anticiper un possible basculement du
récit.
Seule la proportion des humiliations peut laisser supposer
une douleur plus profonde. Mais la mise en scène enlevée, la multiplicité des
environnements et personnages se plient à l’allant d’Adriana, au masque d’insouciance
qu’elle se force à adopter. Sur le papier et formellement à travers ses fêtes
mondaines et son glamour sixties, le film pourrait évoquer un pendant italien
du classique anglais de John Schlesinger Darling
sorti la même année. Dans ce dernier cependant Julie Christie incarnait une
jeune prédatrice pour lequel chaque interlocuteur masculin était un pion
nourrissant son ambition. Adriana sous son sourire dissimule un mal plus profond
et donc une quête plus incertaine - incertitude manifesté par une coiffure, un look changeant à quasiment chaque scène. La trajectoire amoureuse est aussi chaotique
qu’imprévisible tant dans ses propres choix que la goujaterie de ses
amants. La seule nuance reposera sur le fait de la voir céder ou pas mais elle
ne sera qu’un désir ou sa promesse pour les hommes, jamais un partenaire
amoureux.
Stefania Sandrelli bouleverse par sa candeur et ce sentiment d’attente
constante d’autre chose, toujours déçu. Pas assez cynique et calculatrice pour
réellement user de ses charmes par ambition, mais paradoxalement trop en besoin
d’affection pour ne pas être la proie de la lie masculine, Adriana demeure un
être irrésolu. Antonio Pietrangeli ne cède d’ailleurs pas à la facilité de
faire de tous les hommes des monstres. Le machisme ordinaire est certes
omniprésent – et presque naturel comme ce défilé durant un match de boxe où les
remarques désobligeantes pleuvent – mais Adriana dans son agitation ne sait appréhender
la rencontre potentiellement positive. Le plaisant interlude avec un boxeur cabossé n’est pas poursuivi,
elle provoque l’agent de parking amoureux qui n’en demandait pas tant et même
un jeune adolescent emprunté cèdera timidement à ses pulsions.
Cette narration tout en saynètes disparates dessine donc
surtout un portrait de femme, une étude de caractère plutôt qu’une trame
construite. C’est le tableau d’ensemble qui nous fera comprendre les maux d’Adriana
plutôt que les émotions qu’elle affiche parcimonieusement, mais à chaque fois
de façon bouleversante. Les larmes faisant couler le rimmel dans la solitude de
son appartement donnent des allures de sculpture antique morcelée à son visage,
et la neutralité affichée quand un amant lui demande de l’aider à contacter la
vraie femme qu’il aime en figé en un gros plan lourd de sens par Pietrangeli.
Le réalisateur voit ainsi la figure féminine comme totalement sacrificielle où
qu’elle se trouve. La sécheresse, l’ennui et la désolation du cadre rural d’origine
sont aussi peu accueillant que la vie mondaine où règne la malveillance – ce qui
nous vaudra une savoureuse apparition d’Ugo Tognazzi. Dès lors l’issue
dramatique arrive sans prévenir, le seul moment où Adriana décide enfin d’un
choix et libre-arbitre étant aussi le plus tragique, le plus logique.
Sorti en dvd zone 1 chez Criterion mais surtout ressortie en salle le 29 mars
Sorti en dvd zone 1 chez Criterion mais surtout ressortie en salle le 29 mars
beau film vu hier. Mon préféré des trois Pietrangeli vus récemment.
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