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mardi 14 mars 2017

Je la connaissais bien - Io la conoscevo bene, Antonio Pietrangeli (1965)


Une jeune et jolie provinciale, Adriana Astarelli, découvre les attraits factices de la civilisation urbaine et rêve de devenir une star. Légère et candide, la jeune fille multiplie les aventures et les emplois en quête d’un rôle de plus en plus désarmée face aux humiliations et aux manipulations…

Douze ans après l’inaugural Du soleil dans les yeux (1953),  Antonio Pietrangeli vient conclure en beauté son cycle consacré à la condition féminine en Italie. C’est en effet le vrai dernier film du réalisateur puisque par la suite il ne signera qu’un segment du film à sketches Les Ogresses (1966) et que Quand, comment et avec qui ? (1969) sera achevé par Valerio Zurlini après la noyade fatale de Pietrangeli en plein tournage. Du soleil dans les yeux était encore marqué de l’influence du néoréalisme (voir du néoréalisme rose dans ses moments les plus légers) avec ce parcours d’une paysanne découvrant les rudesses de la vie urbaine tant dans ses emplois de servante que dans sa vie sentimentale. La noirceur du récit était contrebalancée par une forme de sororité prolétaire qui pouvait laisser penser à des lendemains meilleurs pour l’héroïne incarnée par Irene Galter. Sur un postulat voisin, Je la connaissais bien prend une voie radicalement différente et finalement bien plus sombre sous son aspect faussement plus guilleret. Le film de 1953 par son titre reste néanmoins porteur d’espoir tandis que celui de 1965 énonce déjà la tragédie en marche. D’ailleurs le drame qui conclut Du soleil dans les yeux ne constitue qu’une péripétie douloureuse parmi d’autres pour Adriana (Stefania Sandrelli).

Tout le jeu de faux-semblant du film résonne dès la scène d’ouverture. La caméra de Pietrangeli s’attarde sur les courbes sensuelles d’Adriana, prenant le soleil dos nus sur la plage tandis que son transistor diffuse un langoureux morceau de variété italienne. La séquence semble inviter à l’hédonisme mais définit déjà ce que sera le statut d’Adriana durant tout le récit : un corps désirable que l’on souhaite toucher, caresser, posséder et rien d’autre. Dans un premier temps le personnage semble accepter ce statut et Pietrangeli joue sur plusieurs registre pour définir ce statut de femme-objet consentante. Malgré les situations ambigües, les hommes semblent synonymes de sécurité matérielle avec ce premier amant plus âgé l’embauchant dans son salon de coiffure, de possible ascension professionnelle par l’imprésario incarné par Nino Manfredi ou tout simplement source de plaisir à travers le séducteur souriant que joue Jean-Claude Brialy. 

L’ellipse et la narration fragmentée suffisent parfois à deviner le rejet de l’amant de passage ou alors Pietrangeli orchestre de purs moments de muflerie et humiliation. L’imprésario « bienveillant » rabat en fait ses clientes vers des vieux libidineux et Brialy s’avère un escroc et gigolo n’hésitant pas à laisser Adriana en plan sans payer une note d’hôtel. Pourtant l’interprétation guillerette de Stefania Sandrelli fait tourner à la comédie ces déconvenues et le scénario ne fait que répéter ce schéma séduction/coucherie/trahison du début à la fin. Antonio Pietrangeli se déleste de toute narration linéaire qui pourrait amener un crescendo dramatique dans les mésaventures de son héroïne et ainsi anticiper un possible basculement du récit.

Seule la proportion des humiliations peut laisser supposer une douleur plus profonde. Mais la mise en scène enlevée, la multiplicité des environnements et personnages se plient à l’allant d’Adriana, au masque d’insouciance qu’elle se force à adopter. Sur le papier et formellement à travers ses fêtes mondaines et son glamour sixties, le film pourrait évoquer un pendant italien du classique anglais de John Schlesinger Darling sorti la même année. Dans ce dernier cependant Julie Christie incarnait une jeune prédatrice pour lequel chaque interlocuteur masculin était un pion nourrissant son ambition. Adriana sous son sourire dissimule un mal plus profond et donc une quête plus incertaine - incertitude manifesté par une coiffure, un look changeant à quasiment chaque scène. La trajectoire amoureuse est aussi chaotique qu’imprévisible tant dans ses propres choix que la goujaterie de ses amants. La seule nuance reposera sur le fait de la voir céder ou pas mais elle ne sera qu’un désir ou sa promesse pour les hommes, jamais un partenaire amoureux. 

Stefania Sandrelli bouleverse par sa candeur et ce sentiment d’attente constante d’autre chose, toujours déçu. Pas assez cynique et calculatrice pour réellement user de ses charmes par ambition, mais paradoxalement trop en besoin d’affection pour ne pas être la proie de la lie masculine, Adriana demeure un être irrésolu. Antonio Pietrangeli ne cède d’ailleurs pas à la facilité de faire de tous les hommes des monstres. Le machisme ordinaire est certes omniprésent – et presque naturel comme ce défilé durant un match de boxe où les remarques désobligeantes pleuvent – mais Adriana dans son agitation ne sait appréhender la rencontre potentiellement positive. Le plaisant interlude avec un boxeur cabossé n’est pas poursuivi, elle provoque l’agent de parking amoureux qui n’en demandait pas tant et même un jeune adolescent emprunté cèdera timidement à ses pulsions.

Cette narration tout en saynètes disparates dessine donc surtout un portrait de femme, une étude de caractère plutôt qu’une trame construite. C’est le tableau d’ensemble qui nous fera comprendre les maux d’Adriana plutôt que les émotions qu’elle affiche parcimonieusement, mais à chaque fois de façon bouleversante. Les larmes faisant couler le rimmel dans la solitude de son appartement donnent des allures de sculpture antique morcelée à son visage, et la neutralité affichée quand un amant lui demande de l’aider à contacter la vraie femme qu’il aime en figé en un gros plan lourd de sens par Pietrangeli. Le réalisateur voit ainsi la figure féminine comme totalement sacrificielle où qu’elle se trouve. La sécheresse, l’ennui et la désolation du cadre rural d’origine sont aussi peu accueillant que la vie mondaine où règne la malveillance – ce qui nous vaudra une savoureuse apparition d’Ugo Tognazzi. Dès lors l’issue dramatique arrive sans prévenir, le seul moment où Adriana décide enfin d’un choix et libre-arbitre étant aussi le plus tragique, le plus logique.

Sorti en dvd zone 1 chez Criterion mais surtout ressortie en salle le 29 mars 

1 commentaire:

  1. beau film vu hier. Mon préféré des trois Pietrangeli vus récemment.

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