Micheline, une jeune provinciale, arrive à Paris pour préparer son
mariage avec un soyeux lyonnais, Daniel Rousseau. Mais elle tombe
amoureuse du meilleur ami de son futur mari, le couturier Clarence, don
Juan impénitent qui la séduit le temps de renouveler son inspiration
créatrice avant de la délaisser assez rapidement pour se consacrer à sa
nouvelle collection. La jeune fille ne peut plus se marier. Quelques
semaines plus tard, il essaye de la reconquérir, mais c'est trop tard
Troisième film de Jacques Becker, Falbalas
peut être considéré comme le premier projet vraiment personnel de
Jacques Becker. Le réalisateur échappe au genre policier qui
caractérisait plus ou moins Dernier atout (1942) et Goupi Mains Rouges
(1943) et c'est la première fois qu'il co-signe un scénario et est à
l'origine du film. Le sujet est inspiré à Becker par sa mère anglaise
qui dirigeait une maison de couture à Paris et ce sera la première fois
qu'il fera montre de sa rigueur documentaire pour dépeindre un milieu
professionnel (les travaux fermiers n'étant pas particulièrement dépeint
dans Goupi Mains Rouges). On ressentira donc ici avec
justesse, l'urgence d'une collection à livrer, l'agitation des ateliers,
l'épuisement des petites mains... Comme toujours Becker amène une
dimension romanesque dans cet environnement avec la figure du jeune
couturier Philippe Clarence (Raymond Rouleau). Fantasque, capricieux et
perfectionniste, Philippe entremêle dangereusement la dévotion à son art
et sa vie sentimentale. Alors que sa nouvelle collection piétine et
prend du retard, l'inspiration lui revient en même temps qu'il rencontre
Micheline (Micheline Presle), future épouse de son meilleur ami et
partenaire Daniel Rousseau (Jean Chevrier).
L'entourage de
Philippe est peuplée de jeune femmes éconduites mais ayant à un moment
ou un autre stimulé son art. L'atmosphère de l'atelier se baigne ainsi
de jalousie et rancœur violemment manifestés (l'orageuse mannequin
Lucienne (Christiane Barry)) ou douloureusement contenus (la soumise et
souffre-douleur Anne-Marie (Françoise Lugagne)). Philippe apparaît ainsi
comme un homme-enfant dont les écarts au service de son bouillonnement
créatif semblent toujours prêts à être tolérés, pardonnés par son
entourage dévoués. L'interprétation fougueuse et habitée de Raymond
Rouleau est pour beaucoup dans la bienveillance qu'inspire le personnage
malgré son caractère irascible, son attitude cavalière avec les femmes
et sa trahison sans états d'âmes envers son ami. Tout le film joue ainsi
d'une certaine ambiguïté dans sa dimension sentimentale. Le romantisme
délicat, la fièvre charnelle qui guide la séduction entre Philippe et
Micheline inspire à Jacques Becker une flamboyance idéale. On pense à la
scène dans l'appartement de Philippe où non-dits et silence conduisent à
une étreinte où le réalisateur capture merveilleusement les gestes
fébriles, les regards fuyant puis un désir que l'on ne peut retenir.
D'un autre côté tout suggère que tout ceci est une comédie maintes fois
jouées destinées à nourrir l'art de Philippe. Lors de la rupture avec
Lucienne, cette dernière a la douleur de constater que tous les
anciennes robes confectionnées par Philippe portent le nom d'une
conquête passée, comme si la romance devait s'achever avec le processus
créatif . Dès lors même une scène triviale où Philippe fait du charme au téléphone à Micheline tout en donnant des instructions dans son atelier sème le trouble. Un dialogue souligne d'ailleurs bien la façon dont l'amante et
la robe se confondent dans l'esprit du héros : L’âme de la robe,
c’est le corps de la femme. Une robe sans âme, c’est une robe qui n’a
pas été pensée, créée pour personne... pour une femme. Ce schéma
sera perturbé par cette nouvelle relation, où la muflerie de Philippe
refusant l'engagement réel (et la renvoyant épouser Daniel) et la fierté
de Micheline éconduite (qui refuse désormais tout contact avec lui)
empêche création et romance de coexister harmonieusement et d'aller
parallèlement à leur terme.
Dès lors on hésitera constamment
dans l'interprétation du trouble de Philippe. Est-il vraiment enfin réellement amoureux et découvre la souffrance ou est-ce simplement la
première fois qu'il fait face à une muse récalcitrante. Son désir ne
sera jamais plus grand que lorsqu'il verra Micheline porter une de ses
robes (l'entrevue au restaurant), son désespoir ne sera jamais plus
intense que quand elle s'en délestera (la future robe de mariée qu'il
crée pour elle). Jacques Becker sème le trouble dans la caractérisation
même de ses personnages, Micheline Presle faisant preuve d'une
interprétation sincère mais où peut se ressentir une distance la
réduisant à un bel objet dans ses toilettes très recherchées - quand à
l'inverse le destin tragique d’Anne-Marie est beaucoup plus cruel et
touchant. Becker donne un tour tragique au figure masculine immature et
inconséquente qui peuplent sa filmographie (Antoine et Antoinette bien sûr, Rendez-vous de juillet...)
mais aussi fort poétique. Le rêve et la mort semblent être le seul
accomplissement possible pour l'amoureux et l'artiste au terme d'un
magnifique final onirique.
Sorti en dvd zone 2 français chez StudioCanal
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