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dimanche 27 mars 2022

Deux sous d'espoir - Due soldi di speranza, Renato Castellani (1952)


 Antonio (Vincenzo Musolino), modeste ouvrier, rentre dans son village après son service militaire. La première joie du retour passée, il lui faut affronter les exigences de la vie : sa mère et ses deux jeunes sœurs sont à sa charge. Pour les nourrir et pouvoir épouser Carmela (Maria Fiore), Antonio se fait tour à tour sacristain, afficheur, laboureur, donneur de sang… Son amour pour Carmela lui donne tous les courages, mais s’il se rit de tout, la chance, elle, ne se décide pas à lui sourire.

Deux sous d’espoir est, avec Dimanche d’août de Luciano Emmer (1950), une des œuvres fondatrices du « néoréalisme rose ». Ce terme désigne une forme de voie intermédiaire durant les années 50 entre l’âpreté du néoréalisme émergeant après-guerre et l’humour débridé ainsi que la liberté de ton de la comédie italienne à la fin de la décennie. Le néoréalisme rose conserve ainsi le regard authentique, l’inspiration documentaire ou le recours à des acteurs non-professionnels du néoréaliste classique tout en anticipant la comédie à l’italienne en traitant ces éléments avec humour, légèreté et surtout une forme d’espoir peu évidente dans les grandes œuvres d’après-guerre. 

Deux sous d’espoir s’inscrit pleinement dans cette veine sous la férule de Renato Castellani. Comme nombre de réalisateurs italiens émergeant à cette période, le parcours de ce dernier est assez versatile, passant d’une formation d’architecte à un carrière de journaliste, scénariste, assistant pour Alessandro Blasetti puis enfin réalisateur. Ses premières réalisations sont aux antipodes du néoréalisme puisqu’appartenant au calligraphisme, courant des années 40 donnant dans le film en costume adaptés de grandes œuvres littéraires et cherchant justement à se détacher de tout lien au contexte contemporain - qu’il soit social ou politique comme le fascisme. Castellani entame donc une vraie bascule en 1948 lorsqu’il réalise Sous le soleil de Rome qui inaugure un triptyque néoréaliste que suivront È primavera (1950) et donc Deux sous d’espoir. Ce dernier naît en partie de la rencontre durant le tournage de È primavera entre Castellani et Vincenzo Musolino, jeune napolitain faisant son service militaire à Rome. On va donc suivre les amours contrariées entre Antonio (Vincenzo Musolino), soldat de retour dans son village situé dans le sud pauvre de l’Italie, et Carmela (Maria Fiore), fille du cru.

Le récit navigue entre la résignation d’Antonio et l’instinct de révolte constant de la bouillonnante Carmela. Le portrait de ces tempéraments méridionaux et truculents italiens est hilarant, entre la roublardise et la sentimentalité démonstrative de la mère d’Antonio (Filomena Russo), la vitesse du quand-dira-t-on faisant bruisser le moindre évènement en rien dans tout le village et anticipe grandement l’approche des Pain, amour et fantaisie de Luigi Comencini - dont le scénariste Ettore Maria Margadonna officie déjà sur le film de Castellani. Cependant cette légèreté fait figure d’énergie du désespoir dans un quotidien frustre et sans perspective. Antonio est au chômage avec sa mère et ses sœurs à charge, et les maigres revenus qu’il parvient à obtenir sont siphonnés par une mère abusive. Conscient de cette situation critique, il tourne le dos à l’intérêt que lui porte Carmela dont la détresse est moins rattachée au matériel qu’à l’oppression patriarcale. Même si là aussi traduite par l’humour et la dérision (les gifles bien senties du père à la moindre incartade de la jeune femme), c’est à une situation archaïque et injuste que se heurte Carmela. Les unions étant encore profondément liées à la situation sociale, le chômage d’Antonio empêche toute possibilité de mariage. Les deux amoureux se complètent pour surmonter la situation, l’amour poussant Carmela à la rébellion et amenant Antonio à faire les efforts lui permettant de la « mériter » aux yeux de son inflexible père (Luigi Astarita). 

Castellani ne se montre cependant pas manichéen et scrute le cercle vicieux né du conditionnement de ce système de pensée. La moralité primaire est autant motif de prendre au piège un homme et alors quitter une famille impatiente d’avoir une bouche de moins à nourrir pour les jeunes femmes, et la cupidité se dispute entre l’attente de dot de l’entourage du marié ou des possessions dans celui de la femme. Le mariage est, à l’instar de l’emploi ou des allocations chômages, un moyen de plus de s’en sortir où les sentiments véritables n’ont pas prises. Notre couple fait exception mais ils seront toujours rattrapés par ce contexte, les caractéristiques du monde qui les entoure qui prête à rire mais n'en constitue pas moins une prison inextricable. C’est vraiment une prouesse que la manière dont Castellani parvient à construire de véritables running gag de chaque déconvenue tragique de ses héros, faisant reposer ces « retour à la case départ » à la fois sur un leitmotiv formel et la caractérisation des personnages. Carmela animée par la jalousie et/ou des bonnes intentions fait ainsi à de multiples reprises perdre à Antonio l’emploi qui l’aurait mis en situation de l’épouser, mais où finalement il était largement exploité. A l’issue de chacune de ces désastres on retrouve Antonio adossé au mur de « la rue des chômeurs » bien connues des jeunes hommes de la ville. Les maigres percées à l’extérieur n’offrent pas davantage de chances avec cette Naples excluant les chômeurs pour qu’il ne « volent » pas les allocations des habitants de la ville. 

Les lendemains incertains sont longtemps une contrainte pour ne pas vivre le présent dans Deux sous d’espoir, mais ce titre représente autant une résignation qu’un lâcher prise dans la magnifique conclusion. Transcendant le dénuement, le patriarcat, le calcul et le regard des autres, Antonio et Carmela accepte de vivre l’incertitude matérielle ensemble, en couple. 

En salle le 30 mars

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