Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram
Emily Dickinson, a Quiet Passion - A Quiet Passion, Terence Davies (2016)
Au milieu du XIXe siècle, en
Nouvelle-Angleterre2, Emily Dickinson se fait renvoyer du Mount Holyoke
Female Seminary pour son attitude rebelle vis-à-vis des conventions
religieuses. Elle revient dans la propriété familiale d'Amherst, où elle
va vivre désormais, sans se marier. Sa famille est austère, puritaine,
mais aimante et très unie. Emily est passionnée de poésie
Dans le pan non autobiographique de sa filmographie, Terence Davies se
fait un grand peintre de l'émancipation féminine. Celle-ci s'exprime par
le défi à un monde aristocratique sclérosé et hypocrite dans Chez les heureux du monde (2000) où il adapte magistralement Edith Wharton, la perdition et le risque d'une romance adultère avec The Deep Blue Sea
(2012) cette fois transposant Terence Rattigan, où l'arrachement aux
codes patriarcaux d'un environnement rural arriéré sur le magnifique Sunset Song
(2015) d'après le roman de Lewis Grassic Gibbon. Chacun de ces films se
caractérisait par un parti pris formel fort, que ce soit l'imagerie
romanesque de Chez les heureux du monde, le huis-clos austère de The Deep Blue Sea ou l'épiphanie pastorale progressive de Sunset Song. On reste dans cette recherche d'une esthétique forte et d'une source littéraire avec ce A Quiet Passion qui est le biopic de la poétesse américaine Emily Dickinson. Celle-ci
vécu au XIXe siècle et ne trouve la reconnaissance qu'à titre posthume
après une existence recluse où seuls une douzaine de ses poèmes furent
publiés de son vivant. C'est une figure atypique et incomprise de ses
contemporains pour son tempérament austère et ses excentricités, qui se
manifeste dans la prose alambiquée de ses poèmes.
La scène d'ouverture explicite toute la problématique à venir du film. Encore jeune fille et pensionnaire à la Mount Holyoke Female Seminary,
elle est confrontée au choix qu'impose la religieuse aux élèves : se
placer à gauche ou à droite selon la manière dont elles souhaitent vivre
leur foi chrétienne. Emily ne choisit aucune des deux voies, préservant
son individualité et sa croyance. Elle préfèrera retrouver la chaleur
de la maison familiale où elle peut être elle-même. Toute l'introduction
du film avec Emily et sa fratrie encore jeune souligne leur
anticonformiste et le soutien de cette attitude par leur parent,
notamment face à une tante bigote et moquée.
Une ellipse nous les fait
retrouver à l'âge adulte, où le temps et l'environnement semble les voir
tous fait rentrer dans le rang, sauf Emily (Cynthia Nixon). Son
attitude rebelle se manifeste lorsqu'elle est la seule à refuser de
s'agenouiller lors de la visite d'un pasteur chez eux. Tout
l'environnement d'Emily cohabite avec cet idéal d'anticonformiste et un
quotidien fait de compromis. Le père (Keith Carradine) se soumet au
diktat religieux et aux convenances sociales tout en étant un
progressiste prônant la justice sociale et s'opposant à l'esclavage.
Vryling Buffam (Catherine Baile), meilleure amie d'Emily, est une sorte
de projection fantasmée (puisque totalement inventée pour le film) de
l'héroïne qui manifeste avec morgue et de brillants badinages verbaux sa
défiance aux carcans que ce monde puritain lui impose. Elle finira
pourtant à son tour par se marier, et de son propre aveu sans être
amoureuse.
Emily déçue par cette société de compromis ne cèdera jamais l'idéal
qu'elle se fait de sa liberté d'être et ne se soumettra jamais. Mais
alors que la rébellion des autres héroïnes de Davies se faisait par les
actes, l'opposition frontale, celle d'Emily se fera par la retraite. Une
retraite aux unions conventionnelles, son seul semblant d'initiative
amoureuse se faisant avec un pasteur marié, et dont le dépit lui fera
choisir un célibat définitif. Un refus des conventions littéraires de
son temps qui la verront publiée dans un semi-anonymat (ou alors pour
fustiger l'étrangeté de sa prose du côté de la critique). Emily par ce
repli sur elle-même et son impossible quête de perfection va pourtant
progressivement devenir aussi austère, aigrie et moralisatrice que ceux
auxquels elle s'oppose en silence.
Terence Davies oppose le monde
intérieur bouillonnant d'Emily et la nature terne de son quotidien à
travers une longue suite de tableaux mettant en scène l'héroïne. Plus le
temps passe, plus l'espace se restreint (pour se réduire à sa chambre
et sa table de travail), plus Emily est isolée et seule à l'écran. Les
couleurs s'estompent et les compositions de plan ne traduisent plus que
solitude, amertume et souffrance. La perfection, l'espoir puis la
résignation d'Emily passe finalement par les soubresauts labyrinthiques
de ces poèmes qui s'expriment tout au long du film en voix-off. Le non
connaisseur ne saura certes pas analyser de façon littéraire
l'originalité des métaphores, de l'agencement des mots et des
expérimentations de la ponctuation, mais Terence Davies parvient de
manière sensitive à nous faire ressentir ce qu'ils expriment des
tourments d'Emily - tandis que l'aura féministe du propos plane avec finesse sur l'ensemble. Un magnifique portrait de femme porté par une
performance fabuleuse de Cynthia Nixon (très loin de Sex and the City), et dont il faudra juste
s'accommoder de l'austérité.
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