Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

Pages

mardi 8 mars 2022

Emily Dickinson, a Quiet Passion - A Quiet Passion, Terence Davies (2016)

Au milieu du XIXe siècle, en Nouvelle-Angleterre2, Emily Dickinson se fait renvoyer du Mount Holyoke Female Seminary pour son attitude rebelle vis-à-vis des conventions religieuses. Elle revient dans la propriété familiale d'Amherst, où elle va vivre désormais, sans se marier. Sa famille est austère, puritaine, mais aimante et très unie. Emily est passionnée de poésie


Dans le pan non autobiographique de sa filmographie, Terence Davies se fait un grand peintre de l'émancipation féminine. Celle-ci s'exprime par le défi à un monde aristocratique sclérosé et hypocrite dans Chez les heureux du monde (2000) où il adapte magistralement Edith Wharton, la perdition et le risque d'une romance adultère avec The Deep Blue Sea (2012) cette fois transposant Terence Rattigan, où l'arrachement aux codes patriarcaux d'un environnement rural arriéré sur le magnifique Sunset Song (2015) d'après le roman de Lewis Grassic Gibbon. Chacun de ces films se caractérisait par un parti pris formel fort, que ce soit l'imagerie romanesque de Chez les heureux du monde, le huis-clos austère de The Deep Blue Sea ou l'épiphanie pastorale progressive de Sunset Song. On reste dans cette recherche d'une esthétique forte et d'une source littéraire avec ce A Quiet Passion qui est le biopic de la poétesse américaine Emily Dickinson. Celle-ci vécu au XIXe siècle et ne trouve la reconnaissance qu'à titre posthume après une existence recluse où seuls une douzaine de ses poèmes furent publiés de son vivant. C'est une figure atypique et incomprise de ses contemporains pour son tempérament austère et ses excentricités, qui se manifeste dans la prose alambiquée de ses poèmes.

La scène d'ouverture explicite toute la problématique à venir du film. Encore jeune fille et pensionnaire à la Mount Holyoke Female Seminary, elle est confrontée au choix qu'impose la religieuse aux élèves : se placer à gauche ou à droite selon la manière dont elles souhaitent vivre leur foi chrétienne. Emily ne choisit aucune des deux voies, préservant son individualité et sa croyance. Elle préfèrera retrouver la chaleur de la maison familiale où elle peut être elle-même. Toute l'introduction du film avec Emily et sa fratrie encore jeune souligne leur anticonformiste et le soutien de cette attitude par leur parent, notamment face à une tante bigote et moquée. 

Une ellipse nous les fait retrouver à l'âge adulte, où le temps et l'environnement semble les voir tous fait rentrer dans le rang, sauf Emily (Cynthia Nixon). Son attitude rebelle se manifeste lorsqu'elle est la seule à refuser de s'agenouiller lors de la visite d'un pasteur chez eux. Tout l'environnement d'Emily cohabite avec cet idéal d'anticonformiste et un quotidien fait de compromis. Le père (Keith Carradine) se soumet au diktat religieux et aux convenances sociales tout en étant un progressiste prônant la justice sociale et s'opposant à l'esclavage. Vryling Buffam (Catherine Baile), meilleure amie d'Emily, est une sorte de projection fantasmée (puisque totalement inventée pour le film) de l'héroïne qui manifeste avec morgue et de brillants badinages verbaux sa défiance aux carcans que ce monde puritain lui impose. Elle finira pourtant à son tour par se marier, et de son propre aveu sans être amoureuse.

Emily déçue par cette société de compromis ne cèdera jamais l'idéal qu'elle se fait de sa liberté d'être et ne se soumettra jamais. Mais alors que la rébellion des autres héroïnes de Davies se faisait par les actes, l'opposition frontale, celle d'Emily se fera par la retraite. Une retraite aux unions conventionnelles, son seul semblant d'initiative amoureuse se faisant avec un pasteur marié, et dont le dépit lui fera choisir un célibat définitif. Un refus des conventions littéraires de son temps qui la verront publiée dans un semi-anonymat (ou alors pour fustiger l'étrangeté de sa prose du côté de la critique). Emily par ce repli sur elle-même et son impossible quête de perfection va pourtant progressivement devenir aussi austère, aigrie et moralisatrice que ceux auxquels elle s'oppose en silence. 

Terence Davies oppose le monde intérieur bouillonnant d'Emily et la nature terne de son quotidien à travers une longue suite de tableaux mettant en scène l'héroïne. Plus le temps passe, plus l'espace se restreint (pour se réduire à sa chambre et sa table de travail), plus Emily est isolée et seule à l'écran. Les couleurs s'estompent et les compositions de plan ne traduisent plus que solitude, amertume et souffrance. La perfection, l'espoir puis la résignation d'Emily passe finalement par les soubresauts labyrinthiques de ces poèmes qui s'expriment tout au long du film en voix-off. Le non connaisseur ne saura certes pas analyser de façon littéraire l'originalité des métaphores, de l'agencement des mots et des expérimentations de la ponctuation, mais Terence Davies parvient de manière sensitive à nous faire ressentir ce qu'ils expriment des tourments d'Emily - tandis que l'aura féministe du propos plane avec finesse sur l'ensemble. Un magnifique portrait de femme porté par une performance fabuleuse de Cynthia Nixon (très loin de Sex and the City), et dont il faudra juste s'accommoder de l'austérité.

Sorti en dvd zone 2 français chez Blaq Out

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire