Louise, la quarantaine, divorcée et sans enfant, vit seule à Annecy depuis la mort de sa mère. Elle rencontre Luigi un immigré italien de 20 ans venu faire fortune en France et lui offre l'hospitalité. Elle décide de l’entretenir et lui trouve un emploi. Peu à peu, elle s’attache à lui mais leur relation va être bouleversée par la différence d’âge, le poids des dettes de Louise et le regard des autres.
Chère Louise est une œuvre méconnue et fort mal accueillie en son temps de Philippe de Broca. Lors de leur collaboration au scénario de La Poudre d’escampette (1971), Jean-Loup Dabadie fait lire à de Broca L'Éphèbe de Subiaco, une des quatre nouvelles issues du recueil Le Thé sous les cyprès de Jean-Louis Curtis. Touché par cette histoire, décide d’en faire son film suivant bien que la tonalité diffère grandement de son registre habituel de la comédie. Conscient qu’il ne pourra s’empêcher d’ajouter une dose de légèreté s’il participe au scénario, de Broca en laisse l’entière responsabilité à Dabadie, ce qui fait de Chère Louise son premier film dont il n’est pas l’auteur.
Si Philippe de Broca s’épanouit donc plutôt dans la comédie et la légèreté, il est cependant un grand cinéaste de la mélancolie. Ses alter-ego filmiques, d’abord Jean-Pierre Cassel puis Jean-Paul Belmondo, ne vivent que pour la facétie et le mouvement perpétuel qui leur permet d’échapper à cette mélancolie qui les guette au moindre temps d’arrêt. Le spleen et l’introspection est ce qui précède ou fait basculer l’aventure et le joyeux marivaudage dans des œuvres comme Le Farceur (1960) ou L’Amant de cinq jours (1961) avec Jean-Pierre Cassel, Cartouche (1962) ou Les Tribulations d'un Chinois en Chine (1965) avec Jean-Paul Belmondo. Les héroïnes et compagne de ces protagonistes masculins font souvent tragiquement les frais de cette inconséquence, telle Anouk Aimée dans Le Farceur ou Claudia Cardinale dans Cartouche. Dans Chère Louise, ce sera précisément cette femme séduite, émerveillée mais finalement souffrant de cette expérience avec un exubérant compagnon qui sera au centre du récit. Louise (Jeanne Moreau) est une quarantenaire divorcée et venant de perdre sa mère qui vit paisiblement sa solitude dans la ville d’Annecy où elle a emménagé. Sa routine stable va justement se heurter à l’instabilité de Luigi (Julian Negulesco), jeune travailleur italien vivant au jour le jour dont elle va se rapprocher. Elle lui offre l’hospitalité et, après une cohabitation dans un premier temps chaste, ils vont devenir amant. Homme-enfant facétieux, énergique et souriant, Luigi dénote par ce caractère et sa fougue « à l’italienne » avec cet environnement provincial français et le caractère même de Louise. Annecy est filmée comme une province dortoir sclérosée et grisâtre (nous sommes loin de la solarité de Le Genou de Claire d’Éric Rohmer (1970) filmé dans la même ville) où, tour à tour, la silhouette de Louise se fond parfaitement tandis que celle de Luigi, par son mouvement perpétuel et ses postures incongrues, y jure constamment. La jeunesse et l’immaturité de Luigi forment une matière à la fois comique (ses tentatives infructueuses de trouver un emploi, le temps d’un petit rôle de patron pour Yves Robert), séduisante et tragique pour Louise et le spectateur.Les élans candides et fougueux de Luigi déploient autant de merveilleux moments romantiques (cette magnifique scène où pour la première fois il rejoint timidement Louise dans son lit) que de gênes qui traduisent l’impasse du couple. Tout en ayant les contours d’une relation intéressée entre le jeune amant et la femme mûr, la romance apparaît toujours comme sincère. Louise ne semble vouloir que savourer un bonheur éphémère en attendant que Luigi la quitte pour une autre plus jeune, quand ce dernier dans tout l’emportement d’un premier amour imagine un engagement plus concret qu’il est incapable d’assumer, par dénuement matériel et immaturité qui auraient pu les placer à égalité. Louise sachant cette relation en sursis est toujours consciente du regard des autres, Luigi tout à son bonheur n’en a cure. Toutes les différences séparant les personnages existent grandement par leur jeu. Jeanne Moreau, coiffure sévère, allure de vieille fille et une beauté commençant à être marquée par le poids des ans, ne vit pas (par sa manière de parler, d’évoluer dans le décor et son interaction aux autres) dans le même espace-temps que Julian Negulesco - le contraste entre la torpeur de la journée de Louise et les multiples péripéties vécues par Luigi dès son arrivée à Annecy est une note d'intention. C’est particulièrement vrai lors de la scène où elle l’accompagne postuler un emploi, Luigi s’agitant en arrière-plan ou hors-champ alors que Louise est au centre de l’action et incarne l’adulte responsable. Cependant plus le film avance, plus le rapport semble s’inverser. Assumant son amour, Louise ose exprimer son affection en public, se laisse déborder par les affres de la jalousie - Jeanne Moreau anticipant la Romy Schneider tout aussi libre de ses désirs dans Une histoire simple de Claude Sautet (1978) écrit également par Jean-Loup Dabadie. Luigi à l’inverse prend peu à peu conscience de ses limites et du rapport maternel malvenu qui l’unit à Louise. Philippe de Broca trouve toujours le ton juste pour ne jamais semer l’once d’un doute quant à la sincérité de son couple, c’est un contexte et un état d’esprit qui les rattrape plutôt que des sentiments faibles. C’est finalement une approche souvent vue chez le réalisateur, notamment dans la poignante conclusion de L’Amant de cinq jours, jusqu’ici la plus proche tentative de ce qui ressemblerai à un mélo pour lui. La différence consiste ici à cette tonalité austère, morbide, qui condamne presque immédiatement cette romance quand dans ses autres films il nous aurait laissé un temps y croire - un élan romanesque et tragique que capture parfaitement le magnifique score de Georges Delerue.Ce changement de registre désarçonnera la critique cannoise, où le film sera fraîchement accueilli, puis les spectateurs pour une sortie sacrifiée quelques mois plus tard. Quant à Philippe de Broca, il retournera avec panache à son registre de prédilection avec le cultissime Le Magnifique (1973).
Ressortie en salle le 16 mars
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