Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram
The Terrorizers - Kǒngbù fènzi, Edward Yang (1986)
À Taipei, trois couples interagissent de façon
involontaire. Un photographe et sa petite amie ; une délinquante et son
complice ; une romancière et son mari - qui travaille dans un hôpital.
The Terrorizers est le troisième
long-métrage d'Edward Yang, où il poursuit son observation de cette mue
de Taïwan vers la modernité et de ses conséquences sur les individus. On
peut considérer que le film constitue une sorte de trilogie avec Tapei Story (1985) qui précède et Mahjong (1996) qui suivra où le réalisateur capture juste un moment précis de cette transformation de Taïwan. Tapei Story se situe dans un entre-deux vers cette modernité à travers les hésitations des personnages, The Terrorizers évoque les conséquences de cette transformation sur les individus tandis que Mahjong observe la possible échappée de cette aliénation dans une veine plus romanesque - amorcée avec A Brighter Summer day (1991). The Terrorizers prolonge l'approche austère de Tapei Story
dans une intrigue tortueuse où Edward Yang scrute juste une population
dont les perspectives ont changée par rapport au film précédent.
Dans Tapei Story la métamorphose de la
ville se conjuguait à l'échec d'un couple l'homme restait patauger dans
la tradition quand la femme endossait cette nouvelle réalité
capitaliste, et parallèlement on voyait la jeunesse taïwanaise
s'imprégner d'un hédonisme tout occidental. Cependant cela restait comme
dit plus haut une situation d'entre-deux, les sentiments existaient
encore (le contexte n'était qu'une conséquence supplémentaire à d'autres
problèmes du couple toujours amoureux) et la scène de boite de nuit
était une des plus rafraîchissante du film. Tout change dans The Terrorizers
où l'égoïsme et l'ambition deviennent prégnant. L'aspirante romancière
jouée par Cora Miao semble initialement souffrir d'un mal-être
existentiel dans son mariage, sa carrière et un ancien amour (Shi-Jye
Jin) avec lequel elle noue une liaison.
Il suffira pourtant que de
manière inattendue son roman rencontre le succès pour que tout semble
résolut, la seule ambition de reconnaissance et de célébrité suffisant à
son bonheur. Le jeune photographe (Shao-Chun Ma) parait aussi
poursuivre une quête plus profonde dans sa fuite d'un service militaire
imminent et de son obsession amoureuse pour la délinquante (Wang An)
dont il conserve précieusement la photo d'elle qu'il a pris à la
dérobée. Là encore au détour d'un dialogue où il évoque un ancien
camarade devenu chanteur célèbre, les aspirations plus superficielles
qu'artistiques du personnage éclatent au grand jour. De plus son
existence gentiment bohème s'avère être une fumisterie quand à cours
d'argent, il retourne à son environnement aisé dans la dernière partie
du film (Edward Yang soulignant bien les signes voyant de richesse comme
la piscine pour souligner la vacuité du personnage). Enfin la jeune
mène une existence sans but, fait d'arnaque et de violence.
Edward Yang en fait des archétypes d'une certaine mentalité
individualiste, notamment dans la scène d'ouverture où ils constituent
une sorte de microcosme amené à se croiser furtivement au détour d'un
quartier en pleine agitation. Il y malgré tout une tentative
d'explication, des ouvertures pouvant aboutir à autre chose et parfois
un semblant d'humanité offert aux personnages (Cora Miao frustrée de ne
pas avoir d'enfant, la délinquante peut être perturbée par ses origines
eurasienne et l'absence de père, son beau geste lorsqu'elle rend les
appareils photos volés). Mais le jeu des hasards et coïncidences qui
relie les protagonistes n'est là que pour souligner cet individualisme
au bout du compte, le plus cynique étant Cora Miao qui s'en sert pour
nourrir la matière de son roman et y faire figurer son entourage. Comme
toujours ces problématiques s'illustrent dans le traitement de l'espace
par Yang.
On pense par exemple au travail sur le cadre et la profondeur
de champ qui souligne la distance du couple lorsque le mari de Cora Miao
(Lichun Lee) la rejoint timidement au bureau où elle écrit et reste
figé sur le pas de la porte. Plus tard le semblant d'amorce romantique
entre le photographe et la délinquante est freiné par l'espace qui se
crée entre eux dans la pièce et, quand ils se rapprochent pour un baiser
la photo se fait plus sombre pour masquer la duplicité du visage de la
jeune femme avant sa trahison. Les environnements urbains ne soulignent
plus seulement la modernité mais aussi la déshumanisation dans la
manière notamment dont se fond la délinquante dans les galeries
commerciales où elle aguiche ses victimes, les boites de nuit où elle
les séduit et les chambres d'hôtel où elle les détrousse. Même chose
pour Cora Miao qui après avoir quitté le foyer conjugal n'existe plus à
l'image que par ce clinquant capitaliste, que ce soit l'entreprise au
mobilier recherché au sein de laquelle elle travaille, ou les écrans de
télévision démultiplié où elle apparait après le succès de son livre.
La seule exception est le mari, qui ne poursuit ses petites ambitions
(devenir chef de service) que dans l'espoir de reconquérir sa femme.
Cette quête futile dans l'environnement carnassier où il évolue en fait
un faible toujours méprisé, et ce jusque dans la manière d'en finir dans
la double conclusion. La première interprétation donne dans la quête
vengeresse, égoïste et nihiliste mais finalement même de cela, le
personnage trop doux en est incapable et ne s'en prendra qu'à lui-même. La fluidité de ce double épilogue rejoint le dialogue qui se fait par le
montage, le travail sur le son, entre toutes les intrigues pour
finalement saisir un zeitgeist plus global de Taïwan à ce moment de son
histoire. 11 ans plus tard Mahjong (précédé de l'interlude rétro A Brighter Summer day
situé dans les annéées 60) en poursuivant cette histoire contemporaine
de Taïwan par la ville montrera le jusqu'au boutisme de cet arrivisme
capitaliste, mais pour paradoxalement en proposer une sortie dans sa
fougue romanesque juvénile.
Sorti en bluray et dvd zone 2 français chez Spectrum Films
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