Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

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vendredi 31 mai 2013

Distant Voices, Still Lives - Terence Davies (1988)


L'histoire d'une famille de Liverpool dans les années 50 à travers les souvenirs du réalisateur. Distant Voices est le portrait détaillé du mode de vie traditionnel de la classe ouvrière qui a marqué son enfance.

Après son inaugural et salué The Terence Davies Trilogy (1984 et réunion de ses trois premiers moyen métrage), Terence Davies en creusait encore le sillon autobiographique avec ce magnifique Distant Voices, Still Lives. Le récit nous plonge dans les souvenirs du réalisateur à travers la description de sa famille et plus globalement de la vie d'une certaine Angleterre des années 40/50. Le titre divise le film en deux parties, le Distant Voices allant de l'enfance à l'âge adulte et le Still Voices poursuivant le destin des jeunes personnages ayant fondés à leur tour une famille. Cette division ne donne pas une structure linéaire au film, bien au contraire.

Davies nous promène entre passé et présent au gré de transitions dont le montage fonctionne par associations d'idées, au détour d'un mot, d'un fondu au blanc synonyme de la nostalgie ressentie et donc surtout au gré des émotions des personnages. La scène d'ouverture annonce clairement cela avec ce plan fixe sur un corridor tandis que la voix de la mère (Freda Dowie) appelant ses enfants se fait entendre ainsi que leur réponse sans qu'ils n'apparaissent à l'image. Un lent panoramique sillonne alors les lieux pour nous diriger vers la porte d'entrée où un fondu enchaîné et la bande son amorce alors déjà une autre époque. Terence Davies annonce ainsi d'emblée une œuvre placée sous le signe du souvenir.

La partie Distance Voices navigue entre capture du quotidien et grands évènements qui bercent la vie de cette famille à travers mariages, enterrements ou encore noël. Lors de la séquence de mariage de la fille aînée Eileen (Angela Walsh), la caméra de Davies s'attarde sur le visage de la mariée regrettant l'absence de leur père puis sur celui de son frère Tony (Dean Williams) et sa sœur Maisie (Lorraine Ashbourne) dont les pensées en voix off révèlent au contraire une farouche haine pour l'absent.

Une manière d'effectuer une première bascule dans le passé où ce père tyrannique incarné par un impressionnant Pete Postlethwaite leur mena la vie dure par son caractère violent et colérique dont leur mère fit souvent les frais. Par ses vas et viens narratifs, Davies exprime cependant un sentiment plus diffus. D'une scène à l'autre ce père abusif peut apparaître vulnérable et affaibli par la maladie, tendre et bienveillant le temps d'une veillée de noël ou sourdement impitoyable en laissant son jeune fils à la porte de la maison.

De même les trois bambins peuvent être fascinés et admiratifs de l'observer au travail, terrorisés par un accès de colère ou fondre en larme au présent lors du mariage où ils leur manque terriblement. L'amour suit une ligne se confondant et rejoignant celle de la haine et Davies par sa manière de raconter amène une confusion des sentiments finalement bien naturelle dans les aléas qui agitent une vie de famille. Cette dimension universelle s'étend à la classe ouvrière anglaise entière par les portraits sobrement esquissés des amis et connaissance de la famille, le cycle de joie et de malheur se mêlant au commun et à l'intime.

Pour l'intime c'est ces courts moments figés de pure tendresse telle les enfants effrayés de voir leur mère tombé alors qu'elle lave les carreaux, c'est les destins disparates et les mariages plus ou moins heureux et les renoncements des jeunes femmes que l'on aura suivis. L'universel traduit également les hauts et les bas de ce quotidien, emblématique de cette Angleterre soumise au rythme des bombardements allemands (superbe séquences où les enfants se mettent à chanter et galvanisent les autres réfugiés qui les accompagnent en donnant de la voix) puis plus tard ces soirées au pub où l'on vient oublier ses tracas, boire et chanter en communion avec ses amis.

Ce voile de souvenirs imprègne la mise en scène de Terence Davies, figeant chaque tranche de vie comme un tableau indépendant où de lents mouvements de caméra semblent comme photographier et immortaliser chaque précieux moment passé. La photo cotonneuse et aux couleurs désaturées de William Diver et Patrick Duval baigne dans cette nostalgie et évoque autant une peinture (Davies revendiquant l'influence de Vermeer pour ce film notamment pour sa manière de capturer les moments domestiques dans ses œuvres) qu'une vieille photo jaunie pouvant renaître à la vie en laissant transparaître quelques couleurs plus vives le temps de quelques instants de grâce (le sourire de la mère concluant la partie Distant Voices).

La bande son, entre standards et chansons traditionnelles est également un vecteur émotionnel indissociable des images, laissant les personnages s'abandonner à de multiples reprises en donnant de la voix, surlignant délicatement l'émotion où amenant un doux parfum de mélancolie suspendue. Faussement figé et bourré d'idées visuelle splendide (le double accident vu à travers une scène onirique sans explication superflue), Distant Voices, Still Lives est un grand classique du cinéma anglais contemporain à juste titre classé troisième d'un récent top 100 des plus grands films anglais par la revue Time Out.

Sorti en dvd zone 2 anglais sous-titré anglais et pour les amateurs de Davies un coffret contenant toutes ses premières oeuvres est édité pour pas très cher par la BFI (pourvu de sous-titres anglais aussi) avec de nombreux bonus

jeudi 30 mai 2013

Opération Scotland Yard - Sapphire, Basil Dearden (1959)


Une jeune femme, Sapphire, est retrouvée assassinée dans un parc de Londres. L'inspecteur Hazard est charge de l'enquête. Il découvre que cette fille discrète, fiancée à un architecte, menait une double vie, sous deux identités et deux couleurs de peau.

Sapphire est un très bon polar où Dearden aborde le racisme ordinaire régnant alors en Angleterre en traitant du phénomène du passing. Le passing est l'action par laquelle des noirs à la peau très claire profitèrent de cette particularité physique pour s'intégrer aux milieux blancs notamment aux Etats-Unis. Le cinéma s'était penché sur ce thème avec bien sûr le chef d'œuvre de Douglas Sirk Mirage de la Vie (1959) et en littérature Boris Vian signa son fameux J'irai cracher sur vos tombes en 1946. Dearden à travers le remarquable scénario de Janet Green dépeint ainsi une Angleterre d'après-guerre refermée sur elle-même et où règne la peur de l'autre.

Le film s'ouvre sur la découverte macabre du corps d'une jeune femme dans un parc londonien. L'intrigue déroule donc au départ une construction policière classique l'enquête de L'inspecteur Hazard (Nigel Terry) et Learoyd (Michael Craig) survole le passé de la victime, sonde ses amis et son environnement. Des signes précurseurs (une garde-robe secrète aux tenues bien plus criardes et voyantes que la sobriété de façade) annoncent la révélation qui remet tout le récit en question avec la découverte du frère de Sapphire, noir. Sapphire pratiquait donc le passing et dès lors de son petit ami blanc et sa famille en passant par la communauté noire londonienne, les suspects se multiplient selon leur intolérance et le fait qu'ils soient au courant du subterfuge de Sapphire.

Plus que l'enquête, c'est réellement l'étude de mœurs qui intéresse là Dearden qui nous fait découvrir un Londres interlope et multiracial rarement vu jusque-là, la bande-son jazzy de Philip Green nous promenant de bar dansants enfumés en squats insalubre. La division est pourtant claire avec l'autre Londres plus blanc, séparation que Dearden affiche une séquence au saisissant surréalisme urbain lorsqu'un suspect noir traqué par la police fait face à la haine et menace au fil de brèves rencontres nocturnes (même si la dernière plus bienveillante atténue l'impression) où sa couleur ne fait vraiment pas de lui le bienvenu.

Nigel Terry promène son flegme impeccable face aux personnages plus outrés qui l'entourent, sa neutralité contrastant avec l'intolérance présente chez les noirs comme les blancs. Dearden évite aussi le piège du racisme involontaire avec certains noirs exubérants et caricaturaux (mais signe d'un certain comportement existant) contrebalancé par d'autres plus posés et réfléchis comme le frère joué par Earl Cameron.

Les blancs ne sont de même pas tous des racistes belliqueux mais la réalité d'une vraie discrimination nous apparait le temps de séquences presque documentaire (la tenancière d'hôtel refusant l'entrée d'un noir pour ne pas perdre sa clientèle, un bar se levant comme un seul homme à l'entrée d'un noir...).

C'est dans ce rejet viscéral de l'autre que la puissante scène finale nous révèlera le coupable dans une tension étouffante. Une belle réussite dont le message progressiste marqua l'opinion si l'on en croit les récompenses obtenues avec un BAFTA du meilleur film et une nomination pour le script de Janet Green. Dearden prendra encore plus de risque deux ans plus tard en dénonçant le chantage envers les homosexuels dans le thriller Victim (1961).

Sorti en dvd zone 2 anglais sans sous-titres 

Extrait

mercredi 29 mai 2013

Enfants de salauds - Play Dirty, André de Toth (1968)


En Libye, en 1942, un commando doit faire sauter des dépôts d’essence allemands. Près d’El-Alamein, Cyril Leech, mercenaire, revient de mission avec la dépouille de l'officier anglais chargé de la mission précédente...

Play Dirty est un des nombreux films de commando produit dans la foulée du succès des Douze Salopards (1967) de Robert Aldrich. Le film en évoque d’ailleurs une sorte de variante dans le désert et en prolonge les thématiques à savoir une unité composée des pires raclures (la scène de présentation de chacun et de ses méfaits est délectable) envoyé en mission suicide, les tâches les plus « sales » devant être réalisée par des sales types comme se plaît à le souligner le titre. Grande différence cependant, Aldrich soufflait le chaud et le froid en soulignant les déviances de ses soldats tout en leur conférant une réelle dimension héroïque et créant une nouvelle race d’anti héros au cinéma.

Le commando ne sera finalement peu caractérisé (même si leurs instinct barbare resurgissent quand une infirmière allemande est faite prisonnière) l'intrigue se concentrant sur l'opposition entre Michael Caine (un rôle voisin de celui qu'il tenait dans Zoulou) soldat sans expérience du front et parachuté là à cause de ses connaissances en hydrocarbure et Leech (Nigel Davenport) vieux baroudeur corrompu peu préoccupé du drapeau. 

L'inexpérience de l'un et son apprentissage du terrain opposé à la rudesse de l'autre constitue le ciment de l'intrigue où l'ennemi allemand pointe finalement peu son nez malgré la menace latente. Tous les aspects de la guerre dans le désert sont rigoureusement abordés avec la difficulté du terrain, le climat et également les possibilités inédites qui y sont offertes comme une attaque surprise en pleine tempête de sable. Le cynisme est de mise avec l'image de l'armée en prenant un sacré coup avec officiers carriéristes, supérieurs s'attribuant sans vergogne les idées des autres, n'hésitant pas à sacrifier leurs propre homme sur un changement de stratégie. La lâcheté ordinaire de Caine et le pragmatisme intéressé de Davenport se rejoignent ainsi dans un même élan, les deux représentant le revers d'une même pièce constituant cette armée corrompue.

Le résultat, efficace et cinglant ne laisse pas à deviner les aléas d’un tournage mouvementé. Richard Harris tenait à l’origine le rôle finalement repris par Nigel Davenport mais devant les changements de scénario quitta le tournage au bout de quelques jours. Un départ qui entraîna aussi celui du réalisateur initial René Clément remplacé donc par André de Toth à l’origine producteur.  De Toth mène le tout avec son savoir faire habituel et signe un des meilleurs film de guerre des 60’s dont le cinglant final marque durablement.

Sorti en dvd zone 1 chez MGM avec VF et sous-titres anglais

mardi 28 mai 2013

Les Enfants loups, Ame & Yuki - Okami kodomo no ame to yuki, Mamoru Hosoda (2012)


Hana et ses deux enfants, Ame et Yuki, vivent discrètement dans un coin tranquille de la ville. Leur vie est simple et joyeuse, mais ils cachent un secret : leur père est un homme-loup. Quand celui-ci disparaît brutalement, Hana décide de quitter la ville pour élever ses enfants à l'abri des regards. Ils emménagent dans un village proche d'une forêt luxuriante…

Alors que les studios Ghibli montrent ces dernières années quelques signes d’essoufflement, exception faite des films de Miyazaki, Mamoru Hosoda fait plus que confirmer les espoirs placés en lui avec Les Enfants loups, Ame & Yuki, s’imposant comme la figure de proue de l’animation japonaise grand public. Hosoda y développe et affine brillamment les qualités entrevues dans ces précédentes œuvres. L’art d’Hosoda repose sur la proposition d'un argument extraordinaire pour conter des problématiques ordinaires, intimistes et inscrites dans le quotidien. 

Dans La Traversée du temps (2006) l’acquisition du don de voyager dans le temps servait la description touchante des premiers émois amoureux d'une adolescente. Le plus ambitieux Summer Wars (2010) se servait d'une menace numérique planétaire pour narrer la réconciliation d’une famille japonaise et dépeindre la maturité de son jeune héros dans un passionnant questionnement sur la tradition et la modernité.

Dans Les Enfants loups, Ame & Yuki, le ton feutré de La Traversée du temps va ainsi se mêler à l’écran aux thèmes plus matures amorcés dans Summer Wars . Le film raconte tout simplement le courage d'une mère à élever seule ses deux enfants. L'extraordinaire surgira dans la nature de ces enfants, des enfants loups portant sur eux le lourd héritage de leur père trop tôt disparu. 

L'introduction (évoquant celle magistrale du Là-haut de Pixar en plus approfondie) est un petit bijou de romantisme qui narre en quelques vignettes la rencontre de l'héroïne Hana avec l'homme-loup (plus proche du concept d'homme-animal que de loup-garou), la révélation de sa nature, leurs premiers émois (dont l'aspect sexuel pas éludé est abordé tout en délicatesse, loin des très prudes et platoniques films Ghibli) et la naissance des enfants avant la terrible séparation lors d'une magnifique séquence muette. 

Et là Hosoda aborde avec réalisme les difficultés de cette jeune mère célibataire (soucis d'argent, logement exigu, ...) à élever ses nourrissons en plus de ceux de gérer leurs dons surnaturels. Le ton ne penche jamais de façon forcée du côté du mélodrame grâce à la nature optimiste de l'héroïne et à quelques moments amusants qui allègent la mélancolie ambiante (cette scène où Yuki malade hésite entre le pédiatre et le vétérinaire).

Hosoda retrouve les thèmes de La Traversée du temps et de Summer Wars sur la quête et l'accomplissement de soi mais au point de vue adolescent de ses films s'ajoute désormais le regard bienveillant et anxieux d'une mère. On voit donc les enfants grandir entre l'exubérante et bruyante Yuki et le plus chétif et introverti Ame, accepter puis tour à tour refuser leurs héritages d'enfant loups, se confronter aux regard des autres et vivre les premiers élans sentimentaux...

La narration d'Hosoda est limpide pour accompagner cette notion de temps qui passe, entre ellipses parfaites (les années qui défilent à travers les deux salles de classe voisines de Yuki et Ame), poses contemplatives et moments plus oniriques. Sur ce dernier point, le réalisateur use d’un naturalisme formellement somptueux où cette campagne et cette forêt environnante sont magnifiées avec une inspiration telle qu’on a parfois une impression de photoréalisme alors que le tout repose sur des traditionnelles compositions dessinées (où interviennent de discrètes touches numériques).

On s’approche de l’écologisme de Ghibli et notamment de la notion de « retour au pays natal » inscrite au sein de la culture japonaise et présente dans le classique Souvenirs goutte à goutte (1991) d’Isao Takahata, dont on retrouve ici la description chaleureuse, solidaire et régénérante de la vie rurale (et l’approche documentaire des travaux agricoles). Hosoda a d’ailleurs admis lors de l’avant-première française que l’intrigue se situait au sein de sa région natale, renforçant ainsi cette facette. 

L’introspection de mise dans ce retour sur soi correspondra dans l’histoire à la manière qu'à chacun de trouver sa voie et aux autres de l’accepter. Le timide Ame va donc se révéler à lui-même dans cette nature pour peut-être choisir son côté loup alors que Yuki (notre guide et narratrice dans le récit ), au départ plus sauvage, semble s’épanouir dans le monde des hommes. 

Tout cela sous l’œil aimant de leur mère Hana (la grand-mère de Summer Wars, l’adolescente de La Traversée du temps, Hosoda a l’art de brosser des personnages féminins très authentiques et attachants), qui aura regardé ses enfants grandir et les aura accompagnés dans leur évolution. C’est là qu’il faut chercher l’âme du film, dans cette ode à la femme et à la maternité saluée par une dernière scène bouleversante et toute en retenue. Mamoru Hosoda signe un chef d’œuvre de l’animation et le plus beau film sorti l'an passé.

Sorti en dvd zone 2 français chez Kaze


lundi 27 mai 2013

Le Fleuve - The River, Jean Renoir (1951)


Harriet, une jeune anglaise expatriée, vit avec son petit frère, Bogey, et ses trois sœurs cadettes dans une grande maison de la région de Calcutta en Inde. Son père dirige une manufacture de toile de jute tandis que sa mère s’occupe de la famille et attend un sixième enfant. Un jour d’automne, le capitaine John rentre de la guerre et vient habiter une maison voisine. Invité à une fête, il y rencontre Harriet, ainsi que Mélanie une belle métisse indienne et Valérie. Les trois jeunes filles vont toutes trois tomber sous le charme du bel étranger…

Le Fleuve était de son propre aveu son film favori de Renoir au sein de sa filmographie. On peut le comprendre tant dans la réussite de celui-ci s'entremêlent les satisfactions artistique et personnelles avec ce qui constitua une grande aventure humaine et une œuvre inoubliable. C'est un Renoir bien mal en point qui s'apprête à s'atteler au projet.

Le réalisateur n'a jamais vraiment réussit à s'adapter à Hollywood où il est installé depuis 1941 et vient même de voir résilier son contrat de deux films avec la RKO après la réalisation du seul La Femme sur la plage 1947) dont la production fut houleuse. Renoir pense pourtant trouver le projet qui pourra le relancer après avoir lu le roman de Rumer Godden The River. Les studios montrent pourtant peu d'intérêt tant le roman plutôt intimiste est dénué des éléments de l'Inde tel qu'ils la conçoivent au cinéma à savoir un exotisme marqué (éléphants, sorcelleries hindoue) et une tonalité de film d'aventures façon Les Trois Lanciers du Bengale (1935) ou Gunga Din (1939).

Le salut pour Renoir viendra de Kenneth McEldowney, riche entrepreneur à la tête d'un réseau de fleuriste désirant devenir producteur de cinéma. Pensant qu'un tournage à l'étranger serait plus avantageux, il se rend en Inde fraîchement décolonisée où il se met les notables locaux en poche, obtenant financement et avantage de tournages divers. Seulement il n'a pas encore de sujet de film et lorsque lui est recommandé le roman The River il découvrira que Jean Renoir en possède les droits. Il lui propose tout naturellement la réalisation, Renoir posant comme seule condition un tournage en Inde mais pour le reste en dehors des évidentes difficultés logistiques cette production sera une vraie libération après l'étau des studios Hollywoodien.

L'adaptation est coécrite par Renoir et Rumer Godden elle-même qui avait détestée la précédente transposition de ses écrits avec Le Narcisse Noir de Powell et Pressburger. Si l'intrigue du roman sera largement remaniée par Renoir, Rumer Godden est partie prenante de ses modifications de par sa connaissance de l'Inde où elle a grandi (The River étant en partie autobiographique) et où se déroule la majorité de ses livres. Le changement essentiel viendra en fait d'un Renoir tombé sous le charme de l'Inde. Privé en début de tournage de l'outil étouffant le son des très bruyantes caméras technicolor, le réalisateur en attendant décide de flâner et de filmer paysages, population et quotidien indien dans des images lorgnant plutôt sur le documentaire.

Dès lors le film se fait bien plus indien dans son atmosphère (alors que le roman quitte rarement la famille anglaise et leur demeure) avec l'ajout du personnage de la métisse Mélanie et une large place laissé au us et coutumes locaux, aux séquences purement illustrative nous imprégnant de l'authenticité de cette Inde même si vue à travers le regard occidental. Le film reprend sans les excès la thématique du Narcisse Noir où l'environnement sera un prolongement et/ou un déclencheur des sentiments profonds des personnages. Il est surtout plus proche de The Greengage Summer roman où Rumer Godden s'attarde aussi sur les premiers émois amoureux d'une adolescente (et dont Lewis Gilbert tirera une belle adaptation en 1961).

 Cette Inde foisonnante et aussi authentique que fantasmée servira donc ici de catalyseur émotionnel à un groupe de personnages. Les deux jeunes et inséparables amies Harriet (Patricia Walters) et Valérie (Adrienne Corri) se feront rivales pour les beaux yeux du capitaine John (Thomas E. Breen), vétéran de guerre échoué en Inde. Celui-ci cherche également sa place dans le monde, se sentant étranger partout du fait de son expérience du front et d'un handicap qu'il n'accepte pas puisqu'il est amputé d'une jambe.

Pour la métisse Mélanie (Radha Shri Ram), ce sentiment amoureux naissant s'accompagne aussi d'un trouble identitaire sur sa culture indienne et occidentale. Renoir fait baigner l'ensemble dans une langueur, légèreté et innocence qui sied bien au casting non professionnel (Radha Shri Ram ayant été recruté après un spectacle de danse auquel Renoir assista notamment) avec cette intrigue sans vrai pic dramatique (si ce n'est en toute fin) qui peut laisser parler le naturel notamment chez les plus jeunes plein de fraîcheur.

Ainsi comme dans tout bon récit adolescent, l'insignifiant est aussi le plus douloureux avec ces petits instants de cruauté (Valérie lisant le journal intime d'Harriet) et de désarroi tel la déception de ce premier baiser au terme d'une somptueuse séquence où les rivales traque l'objet de leur affection à travers la jungle. Le pays avec ses rites, ses fêtes et son bestiaire est autant un terrain de jeu pour les enfants (la joyeuse célébration du Diwali au début) qu'un espace immense où noyer sa mélancolie chez les adultes avec ces longs moments contemplatifs où l'on observe l'activité du Gange et les paysages à perte de vue.

Renoir s'était entouré de ses plus fidèles collaborateurs avec Claude Renoir à la photo et Eugène Lourié aux décors (tandis qu'un débutant admirateur de Renoir nommé Satyajit Ray fera partie de l'équipe et s'occupera des repérages) et, entre stylisation et authenticité le résultat à l'image est grandiose. Premier film en technicolor de Renoir, Le Fleuve est aussi une des plus belles illustrations du procédé, les couleurs saturées figeant les cadrages dans un voile de chaleur opaque et nuancé à la fois, faisant jaillir la vie de la faune foisonnante et exacerbant les envolées sentimentales par ses teintes marquées.

On est tout à la fois en surface et impliqué par les évènements, les aléas des personnages nous intéressant tout en empêchant pas cette activité grouillante de se poursuivre. C'est un cycle de la vie symbolisé par le final où une terrible perte est suivie d'une naissance sur laquelle s'achève le film. Universel et intimiste, Renoir nous promène sur les rives du Gange avec la photographie de cette Inde et de ses personnages à un moment charnière de leur vie. Une belle vision à l'influence immense sur d'autres films visitant ces mêmes terres comme Chaleur et Poussière (1982) de James Ivory et La Route des Indes de David Lean (1984).

Sorti en dvd zone 2 français et en blu ray chez Carlotta

dimanche 26 mai 2013

Bottle Rocket - Wes Anderson (1996)


Anthony, Dignan et Bob sont trois jeunes adultes décidés à devenir des cambrioleurs. Ils ne sont pas faits pour ça, mais peut-on interdire aux gens de suivre leur rêve ?

Le petit monde de Wes Anderson s'animait pour la première fois dans ce Bottle Rocket contenant déjà sous une forme maladroite mais attachante les motifs de ses grandes réussites à venir. Le film est à l'origine un court-métrage en noir et blanc dont l'idée sera étendu à un long et qu'Anderson coécrit avec Owen Wilson rencontré sur les bancs de l'Université d'Austin (et coscénariste des futurs Rushmore et La Famille Tenenbaum). Wes Anderson, autodidacte pris par le démon du cinéma (il suivait des études de philosophie avant de se lier à Owen Wilson dans un cours de scénario) ne maîtrise donc pas encore le style décalé et sophistiqué affiché dès le suivant Rushmore et poussé à une forme de perfection dans La Famille Tenenbaum 2001), Fantastic Mr. Fox ((2010) ou Moonrise Kingdom (2012). Ici malgré quelques envolées (la poursuite finale) la forme tient vraiment plus de la production indépendante fauchée mais toute la singularité du réalisateur pointe déjà.

On retrouve ici la thématique d'Anderson sur les hommes-enfants incapable de s'intégrer au monde des adultes avec les trois héros pieds nickelés que nous allons suivre ici. Anthony (Luke Wilson), Dignan (Owen Wilson) et plus tard Bob (Robert Musgrave) sont trois paumés se rêvant cambrioleurs chevronnés malgré un talent que l'on devine tout relatif pour le crime. Ils se construisent un petit monde décalé fait de plans sophistiqués et ingénieux les éloignant d'une réalité qu'ils ne souhaitent guère affronter.

La scène d'ouverture où Anthony simule une évasion virtuose de la maison de repos dont il a simplement été libéré pour stimuler Dignan donne le temps de cette vision biaisée. Admettre la réalité, c'est aussi reconnaître le désordre de leurs vies mais chaque personnage à une manière différente d'aborder le monde. Owen Wilson excelle déjà en doux-rêveurs dont le monde n'est qu'un immense terrain de jeu quand Luke Wilson plus lucide est néanmoins prêt à le suivre partout tant le monde extérieur n'a rien à lui proposer si ce n'est le jugement (l'entrevue amère avec la petite sœur).

La narration brinquebalante ne fonctionne ainsi que sur des moments. D'un côté la loufoquerie des tentatives criminelles de nos héros (le "vol" domestique au début, Owen Wilson se prenant une rouste dans un bar, le rocambolesque casse final) et de l'autre une tendresse et mélancolie suspendue qui fait déjà merveille. La romance entre Anthony et Inez la femme de chambre paraguayenne est ainsi très attachante, la barrière de la langue faisant naître le lien par les gestes et regards.

Anderson parvient déjà à cet équilibre de dynamisme, humour absurde et émotion avec une bande son recherchée où Love côtoie les Rolling Stones et le fiasco final mariant toute cette gamme de sentiment avec le comique de la course poursuite se mariant au beau sacrifice d'Owen Wilson. La galerie de personnages secondaires est très drôle aussi entre Andrew "Future Man" Wilson en grand frère tyrannique et un James Caan roublard. Imparfait mais déjà très attachant premier film pour Anderson.

Sorti en dvd zone 2 français chez Sony

vendredi 24 mai 2013

L'Hôpital - The Hospital, Arthur Hiller (1971)

Le film nous montre la vie dans un CHU de Manhattan et s'attache au Dr Bock (George C. Scott), le directeur médical, dont la vie est devenue un chaos : sa femme l'a quitté, ses enfants ne lui parlent pas et le CHU qui lui était si cher est en train de partir en morceaux. Avec tout cela le CHU voit un certain nombre de morts étranges, aussi bien parmi les médecins que parmi le personnel de l'hôpital, et tout cela finit par conduire le Dr Bock au bord de folie.

Arthur Hiller et le dramaturge Paddy Chayefsky se retrouvaient quelques années après leur géniale farce anti militariste Les Jeux de l'amour et de la guerre (1964) avec ce tout aussi caustique The Hospital. Le film s'inscrit également dans un forme de trilogie satirique pour Paddy Chayefsky (ici producteur en plus de signer le scénario) avec Les Jeux de l'amour et de la guerre donc et aussi le bien acide Network (1976). Après l'armée et avant la télévision, c'est donc l'institution hospitalière qui est passée là au vitriol avec cette description haute en couleur du CHU de Manhattan.

La scène d'ouverture donne le ton avec la voix off ironique de Chayefsky qui accompagne l'aussi risible que tragique concours de circonstance qui va faire mourir un patient fraîchement admis et démontrer d'emblée l'anarchie et l'incompétence régnant au sein de l'hôpital. C'est dans ce cadre que se morfond le Dr Bock (George C. Scott), séparé de sa femme, alcoolique et dépressif tendance suicidaire. La seule branche à laquelle il semble encore pouvoir se raccrocher est son métier mais là aussi on déchante rapidement à travers les dysfonctionnements de l'établissement qui vont finir par mener à la mort mystérieuse de certains médecin et chercheurs. On est ici dans une sorte de Catch 22 médical où l'absurde, la comédie et le vrai malaise s'alterne et où l'on rit jaune devant les situations rocambolesque.

Patients opérés par erreur et sortant plus atteint qu'ils ne sont arrivés, chirurgiens cyniques uniquement motivé par l'appât du gain, coucherie entre médecins et infirmière au détriment des malades, frénésie administrative, la charge est féroce et toujours dans un humour à froid qui laisse dans l'expectative. Plus globalement, l'hôpital semble être une sorte d'antichambre des maux de cette société puisque en réponse à l'institution médicale déréglée les autres idéaux d'alors s'avèrent tout aussi défaillants tels ces gauchistes fanatiques (aux revendications légitimes mais au discours schématiques) manifestant à l'extérieur en fil rouge et la conclusion mettra en boite aussi une forme d'idéalisme hippie recelant de dangereux illuminés.

Tout comme dans Les Jeux de l'amour et de la guerre , l'espoir vient de l'éveil et la prise de conscience de l'individu. Apathique face à l'enfer qui se déchaîne autour de lui, Bock assiste impuissant aux dérives de son service se réfugiant dans la bouteille et proche de céder à ses velléités suicidaires. Le salut viendra de la rencontre avec la charmante Barbara (Diana Rigg), jeune femme à l'esprit libre également revenue de tout et ouverte sur le monde. George C. Scott confère son intensité et humanité coutumière avec ce formidable personnage brisé et habite certaines séquences avec une puissance rare comme ce moment cathartique où il s'ouvre à Diana Rigg sur son mal être dans un incroyable monologue filmé au cordeau par Hiller. Diana Rigg fausse insouciante et vraie lucide est parfaite également, sa sérénité répondant idéalement au bouillonnement constant de Scott.

La galerie de seconds rôles s'en donne à cœur joie également et on retiendra un odieux Richard A. Dysart en chirurgien businessman et Donald Harron hilarant en patient assistant médusé au délire ambiant. L'anarchie va crescendo avec un sacré chaos final où le script ne cède pourtant pas au fatalisme attendu pour de nouveau faire confiance aux hommes de devoir capable de redresser la tête dans l'adversité. L'individualisme et la liberté de pensée comme forme de salut pour la collectivité, on retrouve là les partis pris de Chayefsky déjà présente dans Les Jeux de l'amour et de la guerre . Si l'entité est viciée, il y demeurera toujours des hommes de valeur affrontant l'adversité.

Sorti en dvd zone 2 anglais chez MGM et doté de sous-titres français

mercredi 22 mai 2013

Harold et Maude - Harold and Maude, Hal Ashby (1971)


Un garçon âgé de vingt ans, Harold vit un amour pur et réciproque avec une femme qui a cinquante-neuf ans de plus que lui, Maude...

Un des films culte des 70's, typique de la liberté de cette décennie par son thème audacieux dont la recette teintée de mélancolie et d'insouciance reste unique. Le film dépeint la drôle de rencontre entre le jeune Harold (Burt Cort) et la bientôt octogénaire Maude (Ruth Gordon), aussi opposé par leur âge que par leur caractère. Harold est un post-adolescent dépressif et détaché de tout et fasciné par la mort, ses plus grands plaisirs étant d'horrifier sa mère à coup de faux suicide sanglants, fréquenter les enterrements et se balader dans le corbillard (forcément) qui lui sert de voiture.

Burt Cort, masque de clown triste au teint blafard est épatant d'ironie contenue et exprime une dimension burlesque sobre à coup de gags ludique où il excelle dans l'humour morbide à froid (les prétendantes présentées par sa mère gardant un souvenir houleux de la rencontre). Cette attitude cache un mal être auxquelles les solutions réactionnaires ne peuvent rien, le script fustigeant au passage les conventions sociales, la psychanalyse abusive ou le militarisme à travers le personnage de l'oncle va t en guerre voyant l'armée comme la formation idéal du jeune homme égaré.

Pour aller mieux, Harold va devoir croiser la route de son pendant excentrique plus énergique et enjoué malgré son grand âge avec la pétillante Maude. Partageant son gout pour les enterrements, Maude voit toujours ce qu'il y a de meilleur dans le quotidien où elle promène sa doux-dinguerie par une géniale extravagance : chiper la moindre voiture trainant sous ses yeux et la conduire à tout berzingue, déraciner les arbres malade pour les planter ailleurs ou encore ridiculiser un malheureux policier. Harold se déride et dévoile ainsi progressivement ses fêlures grâce à la bienveillance de Maude (magnifique moment où il explique son obsession pour le suicide et qui lui valut son seul moment d'affection maternelle).

Hal Ashby contrebalance constamment le ton plutôt léger avec l'atmosphère grisâtre et dépressive de l'environnement du duo, le sinistre ambiant menaçant constamment de les rattraper. La grande audace du film, c'est bien sûr de faire de cette relation une histoire d'amour. Tout en délicatesse et en tendresse, Ashby évite tout scabreux et provocations vaine pour amener la chose comme une évidence : Maude a l'attitude délurée d'une jeune fille en fleur quand Harold sous ses traits juvéniles semble porter toute la tristesse du monde comme s'il avait déjà vécu trop longtemps.

Les vignettes romantiques et moments complices offrent de magnifiques scènes (ce feu d'artifice côte à côte) amenant la joie de vivre pour l'un sous la sinistrose et l'acceptation de la fin pour l'autre. Tout reste habilement suggéré et en surface (ce court insert qui révèle un passé plus douloureux pour Maude quand on verra ce tatouage sur son bras...) et passe par la bulle se créent Harold et Maude. Un film ancré de son époque (la bande originale belle mais un peu en envahissante de Cat Stevens) mais dont la leçon de vie demeure intemporelle.

Sorti en dvd zone 2 français chez Paramount