Peter Jackson, Steven Spielberg, Joe Dante, la liste est longue
lorsqu’il s’agit d’énumérer les vocations nées des démons et merveilles
issus de l’imagination de Ray Harryhausen. Le destin du maître fut
d’ailleurs lui-même scellé par un autre magicien de la pellicule après
la vision à treize ans du mythique King Kong (Merian C. Cooper & Ernest B. Schoedsack, 1933). Déjà passionné par
la mythologie et ses créatures, ce sont en effet les extraordinaires
trucages du grand Willis O’Brien et le bestiaire fantastique déployé
lors des séquences sur l’île qui ont fait naître la curiosité de Ray
Harryhausen pour les effets spéciaux.
Ray Harryhausen passe son adolescence à s’initier à la sculpture de
monstres préhistoriques et mythologiques en pâte à modeler puis réalise
un premier rêve en montrant son travail à Willis O’Brien. Ce dernier le
félicite et lui recommande de suivre les cours d’anatomie du Los Angeles
City College. C’est là que Harryhausen apprend à donner une touche
réaliste aux proportions et à la morphologie de ses créations les plus
extravagantes, ce qui le démarque des autres adeptes de la stop motion
aux effets plus grossiers. Cette technique, basée sur l’animation
d’objet image par image intégrée aux prises de vue réelles, sera poussée
par Harryhausen à un degré de maîtrise et de poésie inégalés.
Remarqué
par le spécialiste des effets spéciaux George Pal (futur
producteur-réalisateur de classiques SF des années 1950 tels que La Guerre des mondes, réalisé par Byron Haskin en 1953), il est engagé par celui-ci sur la série Puppettoons
(1932-1947). Plus tard, il officie sur un programme de contes de fées
destiné au milieu éducatif. Ces longues années d’apprentissage lui
permettent de perfectionner son art et de se constituer une belle carte
de visite. La première consécration et marque de reconnaissance
intervient en 1947 lorsque son idole Willis O’Brien l’engage comme
assistant sur Mighty Joe Young (Ernest B. Schoedsack), trépidante variation enfantine de King Kong.
La santé fragile d'O’Brien l’amène à déléguer largement son travail et
Harryhausen assure notamment l’essentiel de l’animation du gorille.
Après cet essai réussi, Harryhausen est prêt à voler de ses propres
ailes et à quitter le giron d’un O’Brien sur le déclin et qui ne
parvient plus à financer ses projets. Il est notamment sollicité pour
les effets spéciaux du Monstre des temps perdus d'Eugène Lourié
en 1953 où il perfectionne à nouveau sa technique d’animation image par
image. Le moment déterminant de sa carrière restera la rencontre avec
le jeune producteur Charles H. Schneer avec qui il s’associera durant
vingt-cinq ans.
Leur collaboration est idéale, Schneer laissant toute
latitude artistique à Harryhausen sur le choix des projets tout en le
plaçant dans les meilleures conditions en termes de production. Le duo
se conforme tout d’abord aux modes propres aux années 1950 avec Le Monstre vient de la mer (Robert Gordon, 1955) et Les Soucoupes volantes attaquent (Fred F. Sears, 1956), respectivement monster’s movie et film de SF. Des productions pas forcément réussies (notamment Les Soucoupes volantes,
probablement en raison du peu d’attrait d'Harryhausen pour la SF trop
sérieuse et réaliste) mais qui permettent à Harryhausen d’affiner sa
technique.
Les choses sérieuses peuvent enfin
commencer lorsque les deux hommes s’installent à Londres, leur
association devenant un véritable label du cinéma fantastique et
d’aventures patronné par la Columbia. Leur patte est immédiatement
identifiable dans la mesure où ils sont tous deux inspirés par la
mythologie, la Préhistoire, Les Mille et une nuits mais aussi les
romans d’anticipation du XIXe de Jules Verne, H. G. Wells ou encore
Jonathan Swift. Leur première vraie réussite intervient en 1957 avec À des millions de kilomètres de la Terre,
réalisé par Nathan Juran. Récit des dégâts dus à l’arrivée sur Terre
d’un extra-terrestre aux proportions de plus en plus gigantesques, le
film offre son lot de péripéties spectaculaires. On y trouve une
certaine forme d’humanisme naïf entre la nature finalement peu
belliqueuse de la bête dont le métabolisme est perturbé par l’atmosphère
terrestre et les affrontements titanesques avec l’armée qui le
pourchassent.
L’année suivante sort Le Septième voyage de Sinbad, un de leurs chefs-d’œuvre. Pas forcément aussi sombre et cruel que le récit des Mille et une nuits
qu’il adapte, le film développe un envoûtant et luxuriant monde
oriental de conte. Parfois bien mal servi par les réalisateurs devant
mettre en images ses créations, Harryhausen trouve sur ce film un
collaborateur de choix en la personne de l’excellent et efficace Nathan
Juran qui officiera sur ses œuvres les plus réussies. La preuve
éclatante en étant la mythique séquence où le héros affronte un
squelette animé en stop motion avec une fluidité époustouflante.
Le Septième voyage de Sinbad fut un immense succès au box office
et lance définitivement les productions Harryhausen/Schneer. Pour
l’anecdote, le film a engendré un quasi clone trois ans plus tard avec Jack le tueur de géant. Le producteur Edward Small (qui rata le coche en refusant de produire Sinbad)
tente de reproduire la formule à succès avec ce film et engage pour
cela le même réalisateur, le même héros (Kerwin Mathews) et le même
méchant joué par Torin Thatcher à nouveau dans un rôle de sorcier. Ne
manque que Harryhausen aux effets spéciaux mais cet avatar est également
une belle réussite.
Pour Harryhausen et Schneer, c’est
désormais l’exploitation d’un nouvel univers dépaysant à chaque film qui
a cours avec les excellents Les Voyage de Gulliver (Jack Sher, 1960) et L’Île mystérieuse
(Cy Endfield, 1961) respectivement adaptés de Jonathan Swift et Jules
Verne. En 1963, Harryhausen délivre son œuvre la plus populaire avec le
fabuleux Jason et les Argonautes (Don Chaffey, 1963). Monument
du péplum et du film d’aventures, le cadre mythologique (avec un récit
original respecté à quelques détails près, ce qui ne fut pas le cas de
toutes les adaptations) offre un écrin idéal à Harryhausen qui déploie
un festival de morceaux de bravoure inoubliables.
L’arrivée du géant de
bronze Talos, Poséidon surgissant des mers, le combat avec l’hydre à
sept têtes sont autant de séquences mémorables qui marquent durablement
le jeune public de l’époque. Sans parler du fameux combat contre les
squelettes, rondement mené à tel point qu'il vient conclure le film
alors que Jason n’a pas encore achevé sa quête et reconquis son royaume !
Le succès colossal de Jason enhardit le duo qui ose le récit steampunk (terme définissant la SF rétro souvent située dans l’Angleterre victorienne imprégnée par la révolution industrielle) avec Les Premiers hommes dans la lune
(Nathan Juran, 1964) adapté de H. G. Wells. Très fidèle au livre,
hormis un prologue trop contemporain, c’est sans aucun doute la plus
belle réussite de Harryhausen.
Le scénario respecte parfaitement les
préoccupations humanistes de Wells tandis que les images déploient des
paysages lunaires à la fois réalistes et extravagants, influençant sans
doute Kubrick pour son 2001 (1968) tant les similitudes
pullulent. Échec retentissant, le film signe pour un temps la fin de
leur collaboration. Harryhausen commettra en effet une infidélité envers
son partenaire en supervisant l’amusant Un million d’années avant J.C. (Don Chaffey, 1966) où son défilé de créatures préhistoriques a fort à
faire avec l’autre effet spécial du film, Raquel Welch en peau de bête.
Schneer et Harryhausen se retrouvent en 1969 pour La Vallée de Gwangi
(Jim O'Connolly), mais il semble que le succès les ait quittés. Ils
passent les années 1970 à tenter de retrouver la formule magique de
leurs premières productions, mais ne réussissent qu’à ressasser le passé
en moins bien avec deux nouveaux Sinbad, Le Voyage fantastique de Sinbad (Gordon Hessler, 1974) et Sinbad et l’œil du tigre (Sam Wanamaker, 1977). Il faut dire qu’à l’époque, le public s’est trouvé de nouveaux dieux de l’entertainement plus jeunes et modernes en les personnes de Lucas et Spielberg.
À côté de la fougue juvénile et de l'inventivité d’un Star Wars ou d'un Indiana Jones, la naïveté d’un Harryhausen semble bien désuète. Un constat qui se confirme avec le chant du cygne que constitue Le Choc des Titans
(Desmond Davis, 1981). Si les créations de Harryhausen sont toujours
aussi flamboyantes (Pégase, la Méduse, le Kraken), la réalisation
gériatrique de Desmond Davis, les tentatives de modernité embarrassantes
(la chouette mécanique faisant écho à R2-D2) et l’interprétation
transparente (Harry Hamlin fait un bien piètre héros) rendent le film
difficilement regardable aujourd’hui.
Depuis, malgré de nombreux projets non aboutis, Harryhausen s'était
retiré et se contentait de recevoir diverses distinctions, tel un Oscar
pour l'ensemble de son œuvre en 1991. L’avènement des effets numériques
au début des années 1990 signa définitivement le glas d’un retour aux
affaires. Cependant, la stop motion qu’il porta à son plus haut degré d’expression survit toujours aujourd’hui, à travers notamment les œuvres du Studio Aardman (Wallace et Gromit, créés par Nick Park ; Chicken Run - Nick Park et Peter Lord, 2000) ou les films d’Henry Selick (L’Étrange Noël de Monsieur Jack, 1993 ; Coraline, 2009).
Influence majeure des grands créateurs d’effets spéciaux récents comme Phil Tippett (Starship Troopers - Paul Verhoeven, 1997), c’est sans doute chez Peter Jackson ou Guillermo del Toro que Harryhausen trouve ses plus dignes successeurs actuels. Ces deux-là auront tout comme lui su associer la légère touche d’imperfection, de poésie et de rêve censée définir le trucage cinéma. Grâce à eux, quelque chose de l'esprit d'un des plus grands illusionnistes de l'histoire du cinéma subsistera toujours, tout comme ses merveilleux films ayant fait rêver des générations de spectateurs émerveillés.
Influence majeure des grands créateurs d’effets spéciaux récents comme Phil Tippett (Starship Troopers - Paul Verhoeven, 1997), c’est sans doute chez Peter Jackson ou Guillermo del Toro que Harryhausen trouve ses plus dignes successeurs actuels. Ces deux-là auront tout comme lui su associer la légère touche d’imperfection, de poésie et de rêve censée définir le trucage cinéma. Grâce à eux, quelque chose de l'esprit d'un des plus grands illusionnistes de l'histoire du cinéma subsistera toujours, tout comme ses merveilleux films ayant fait rêver des générations de spectateurs émerveillés.
Merci pour ce joli hommage... Ahhhhh, le combat contre les squelettes, terreur délicieuse de mon enfance !! quelle poésie dans ces animations... qui nous emmènent parfois bien plus loin que la 3D et le numérique !
RépondreSupprimerEt oui moi aussi toute mon enfance les démons et merveilleille de Ray Harryhausen. 92 ans une bien belle vie tout de même !
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