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dimanche 19 mai 2013

L’étrangleur de Boston - The Boston Strangler, Richard Fleischer (1968)

Boston, 1962. Une vieille femme est retrouvée étranglée à son domicile. Les mobiles du crime sont inexplicables. Au cours des deux années suivantes, douze autres femmes sont assassinées dans des circonstances similaires. Le procureur général Bottomly est désigné pour prendre l'affaire en main. Un jour, Alberto DiSalvo, un modeste ouvrier, est arrêté par la police pour avoir pénétré dans un appartement par effraction... 

Richard Fleischer signe une de ses réussites les plus magistrales avec ce thriller virtuose qu’est L’étrangleur de Boston. Le film s’inscrit dans l’œuvre de Fleischer au sein d’un triptyque consacré à la figure du serial killer où l’on aura eu précédemment Assassin Sans Visage (1949) et qui se conclura avec L'Étrangleur de la place Rillington (1971), chacun des films ayant la particularité d’avoir un assassin adepte de la strangulation. Richard Fleischer qui à l’origine se destinait à une carrière de psychiatre avant d’être pris par le démon du cinéma retrouve de cette formation initiale dans la froideur et  la méticulosité adoptée dans le ton et l’ambiance de L’étrangleur de Boston, au croisement du thriller pur et dur, du documentaire et du cinéma expérimental.

Ce traitement vient en partie bien sûr de la véracité des évènements traitant ici de l’odyssée meurtrière du serial killer Albert DeSalvo qui tua treize femmes en 1962 et 1964, semant la terreur dans la ville de Boston. Fleischer adapte ici le roman éponyme de Gerald Frank, à l’époque l’ouvrage le plus fouillé et mieux documenté sur l’affaire.  L’approche de Fleischer est ici loin des codes classiques du genre, l’intrigue suivant scrupuleusement la chronologie des évènements, que ce soit l’ordre des crimes, les avancées et tâtonnements de l’enquête ou encore de la psychose gagnant rapidement la population. La progression dramatique et la tension naîtront plus de la mise en image de Fleischer que de la tonalité neutre et quasi documentaire. Cela se fera notamment par l’usage virtuose et précurseur du split-screen.

Fleischer avait découvert le procédé lors de l’exposition universelle de 1967 à Montréal dans une des premières projections Imax et décela immédiatement les possibilités dramatiques de cette technique. Le réalisateur fait ainsi naître le malaise de manière subtile ici avec des crimes se révélant après leur réalisation au fil des informations distillées à l’image. 

La scène d’ouverture pose ainsi tout d’abord l’ambiance avec cette image télévisée dans un coin de l’écran avant qu’une autre case nous révèle une main noire gantée puis une silhouette fouillant la pièce puis l’ultime et macabre découverte d’un cadavre de femme gisant au sol. Le second crime est tout aussi saisissant, une moitié d’image révélant le cadavre dans la pénombre tandis que l’autre moitié montre les voisines de la victime s’apprêtant à pénétrer dans la pièce et découvrir l’horreur. 

C’est la réalisation de Fleischer qui brise donc la monotonie volontaire de cette suite d’atrocités, un kaléidoscope de case nous faisant suivre l’enquête mais aussi partager la paranoïa galopante et la peur des femmes de Boston. Fleischer gère idéalement ces éléments, si le traitement surprend il reste toujours accessible et compréhensible au spectateur jamais noyé sous les informations grâce aux différents formats et au montage brillant qui amène toujours dans les proportions et timing adéquat les différents éléments révélés par ces écrans multiples.  

Le script en profite pour explorer des territoires fort audacieux et dérangeants pour l’époque que ce soit le catalogue de pathologies et perversions diverses découvertes à travers les différents suspects (le malaise glauque de la scène avec le très perturbé Eugene T. O'Rourke succédant à l’humour pour le drôle de séducteur Lyonel Brumley) et une séquence dans un bar gay sobrement filmée par Fleischer.

Après une heure sur ce rythme, le tueur révèle enfin son visage sous les traits d’un surprenant Tony Curtis. L’acteur avait collaboré avec Fleischer sur le film d’aventures Les Vikings (1958) et fit le forcing pour obtenir le rôle alors que son physique de séducteur et son registre supposé plus léger habituellement suscitait le doute au sein de la Fox. Soutenu par Fleischer, il prend du poids, maquille ses beaux yeux bleus de lentilles noires, se fait mettre un faux nez et s’habille de façon banale, la métamorphose étant photographiée pour convaincre des exécutifs qui ne le reconnaîtront pas, validant ainsi sa crédibilité. 

L’acteur délivre une stupéfiante prestation schizophrène et incarne vraiment deux rôles dissemblables, le père de famille paisible et aimant se transformant en dangereux prédateurs dès que sa libido est mise en ébullition. La méthode peut sembler grossière (suivre des femmes chez elles et se faire passer pour un ouvrier qu’elles font presque toujours rentrer à leur dépens) mais la vérité était plus stupéfiante encore. 

Avant d’être « l’étrangleur de Boston » Albert DeSalvo fut « Le Mesureur » et s’introduisait chez des femmes en se faisant passer pour un photographe et leur faisant miroiter une carrière de mannequin et ce premier surnom lui venant du mètre qu’il utilisait pour prendre leurs mesures et avec un peu de chance finir dans leurs lit. Cette méthode ne le satisfaisant plus, il passa à la sanglante étape supérieure pour devenir l’étrangleur de Boston. Le film n’évoque cependant pas cette facette bien que le livre de Gerald Frank y fasse allusion.

Fleischer use de la même méthode mais de façon plus dérangeante alors avec les split-screen nous faisant alors partager alternativement le point de vue du tueur et de ses victimes alors que la première partie nous amenait sur des scènes de crimes après les meurtres. Le suspense naît ainsi de l’attente entre le tueur que nous savons rôder dans les parages et sa victime, le split-screen les séparant et retardant la fatale rencontre notamment lors de la scène ou Sally Kellermann est prise au piège. 

Là encore, l’érotisme trouble et la perversion est de mise avec des élans de violence surprenants et  dérangeants, dans une violence brute (DeSalvo étouffant une victime et déchirant son corsage, révélant sa poitrine) ou une stylisation cruelle avec ce split-screen séparant le visage d’une Sally Kellermann terrifiée, la façon lente et méthodique dont Tony Curtis la ligote et son regard dérangé et ivre de puissance.

 Le grand morceau de bravoure intervient cependant dans les magistrales vingt dernières minutes du film. Albert DeSalvo enfin capturé refuse de laisser son autre « moi » surgir et confirmer ainsi sa culpabilité, le juriste Henry Fonda jouant une véritable partie d’échec pour le forcer à révéler sa vraie nature. Après l’étouffante atmosphère urbaine qui a dominé l’ensemble du film, Fleischer nous isole ici dans une salle d’interrogatoire d’un blanc immaculé plaçant DeSalvo face à lui-même et faisant basculer la séquence dans la pure abstraction. 

Focales distordues, images subliminales et pures dérives oniriques, Fleischer nous plonge avec une inventivité et virtuosité rare dans le profond désordre mental de son serial killer. Dans Psychose, Hitchcock avait le temps d’une séquence finale explicative, ludique et inquiétante définit la nature de la double personnalité de son tueur. Fleischer transcende là le procédé en délaissant les dialogues redondants pour nous perdre dans un méandre d’image cauchemardesques et étranges où la vraie folie peut se révéler, portée par un Tony Curtis totalement halluciné. Un chef d’œuvre du thriller qui se termine dans une froideur distante qui vous hante longtemps.


Sorti en dvd zone 2 français tout récemment de ce film culte dans un belle édition chez Carlotta

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