To be or not to be (1942) de Lubitsch, Le Dictateur (1940) de Chaplin ou encore M.A.S.H (1970) de Robert Altman, voilà des films qui ont su provoquer de grands éclats de rire tout en dénonçant de façon virulente la réalité historique d’alors. Sébastien Fevry se penche dans cet ouvrage sur ce que l'on pourrait qualifier de sous-genre de la comédie : la comédie historique. L'auteur part d'une définition plus globale de la comédie et de ses codes afin de catégoriser les spécificités de la comédie historique où pour l’essentiel il s’agit de se servir du rire pour aborder la grande Histoire dans des objectifs qui s’avéreront plus vastes et complexes que la seule satire.
L’ouvrage passionne dès lors qu'il place ses catégories de comédies historiques à l’aune de périodes définies, l’approche et la réflexion de ce comique évoluant avec son contexte. On démarre ainsi du muet et du burlesque jusqu’au début des années 1930 et les Marx Brothers, périodes où l'on place des héros de cinéma connus et bien identifiés face à l’Histoire. À travers Charlot soldat (Charles Chaplin, 1918) et Harry monte en grade (Harry Edwards, 1926), le spectre de la Grande Guerre se voit détourné par une dimension rêvée et fantasmée détournant la réalité douloureuse du front avant un retour sur terre lucide devant lequel Charlot comme Harry Langdon s'avèrent impuissants. Bien que le conflit soit moins vivace dans les esprits à cette période, Soupe au canard (Leo McCarey, 1933) et les Marx Brothers osent une approche burlesque plus décomplexée, plus universelle dans sa dénonciation de toutes les formes de guerre, anticipant ainsi grandement les futurs traitements du genre.
On est tout autant captivé lorsque sont évoquées des comédies sur la Résistance comme Babette s’en va en guerre (1959) de Christian-Jaque, La Vie de Château (1966) de Jean-Paul Rappeneau ou Le Mur de l’Atlantique (1970) de Marcel Camus. Sébastien Fevry s’attarde longuement sur le contexte français où hormis quelques exceptions plus noires (comme La Traversée de Paris d’Autant-Lara en 1956), le processus de reconstruction et la place de sauveur et Père de la Nation du Général de Gaulle biaisent les films et alimentent l’idée d’une France toute résistante. Cela se fait via des héros naïfs, franchouillards et souvent parallèlement guidés par une quête personnelle sentimentale provoquant plus simplement l’identification. Des caractéristiques bien présentes dans les films analysés ou évoqués comme La Grande vadrouille (Gérard Oury, 1967) et qui iront en s’estompant après la mort de De Gaulle et les révélations d’un documentaire comme Le Chagrin et la pitié (Marcel Ophuls, 1969), qui brisera définitivement cette illusion. Ce type de comédies prendra dès lors une tonalité moins héroïque, s’éloignant des grands évènements pour privilégier les actions plus modestes, tel Monsieur Batignole (Gérard Jugnot, 2001). Les tentatives d’amuser avec la vraie grande Histoire seront ainsi désormais vouées à l’échec, ce malgré l'excellent Bon Voyage (2003) de Jean-Claude Rappeneau.
D’autres exemples plus surprenants sont particulièrement intéressants comme l’Histoire pliée aux pérégrinations de personnages naïfs dans Zelig (Woody Allen, 1983) et Forrest Gump (Robert Zemeckis, 1994), voisins sur la forme (usage d'effets spéciaux visant à se réapproprier des images d’archives, utilisation détournée de grands personnages historiques) mais diamétralement opposés sur le fond - de façon nettement plus discutable chez Zemeckis. Les autres thématiques et films analysés sont plus attendus mais toujours judicieux dans l’analyse et le choix des œuvres. Entre la menace nucléaire et un comparatif Docteur Folamour (Stanley Kubrick, 1964)/La Souris qui rugissait (pépite méconnue et visionnaire de Jack Arnold en 1959), la guerre du Viêt Nam entre M.A.S.H. et Catch 22 (Mike Nichols, 1970) et la comédie de la Shoah (pour une des analyses les plus pointues jamais lues sur La Vie est belle, réalisé par Roberto Benigni en 1998), le regard toujours pertinent de Sébastien Fevry fait de cet ouvrage un ensemble passionnant.
Paru aux éditions L'Harmattan
Suite à ta critique, je l'ai empruntée et j'ai hâte de la commencer! Merci encore!
RépondreSupprimerC'est passionnant tu verras j'aurais juste un reproche que je n'ai pas précisé dans le texte c'est qu'il ne soit fait aucune allusion au "Inglorious Basterds" de Tarantino qui malmène pas mal les règles établies mais qui casse aussi les grilles du lectures très fouillées du livre. Ca aurait pu être intéressant néanmoins en tant qu'ovni dans le genre.
RépondreSupprimerSalut Justin! Je viens de le finir! C'est très passionant et instructif, sauf que les premières parties (avec Bergson) m'ont semblé un peu trop lourdes. J'ai dévoré les sections sur les comédies sur la Résistance et la Shoah, et j'ai pu revoir "Train de vie" récemment! J'aurais aimé que le film prenne plus de films étrangers, surtout les comédies italiennes de l'âge d'or du cinéma italien, les films de Kusterica, et bien sûr le "Inglorious Bastards" de Tarantino, qui dynamite le genre et qui répond au "To be or not to be" de Lubitsch! J'adorerai un bouquin qui décortique la représentation de la Shoah dans la fiction télévisuelle et cinématographique, c'est un sujet d'étude cinématographique qui me tient beaucoup à coeur! Je te conseille le livre "Queer Images, Representation of Gays and Lesbians in American cinema" qui a été une révélation pour moi, qui adore le livre et le docu "The Celluloid Closet". T'as pu voir Plein Soleil? Je l'ai adoré en salles!
RépondreSupprimerC'est vrai que le début du livre très universitaire n'est pas évident avec toute les références, ça devient plus clair dès que l'on aborde concrètement les films. C'est vrai qu'un développement sur "La grande guerre" de Monicelli par exemple aurait été intéressant au niveau des films étrangers. Là ça reste surtout centré entre le cinéma français et US même si ça reste passionnant notamment la partie sur les comédie de la Résistance. A propos du To Be or not to be de Lubitsch ça ressort en salle cette semaine sur Paris histoire de rester dans l'ambiance ! Sinon toujours pas (re)vu Plein Soleil, j'ai intérêt à me dépêcher il ne reste plus beaucoup de salle qui le jouent...
RépondreSupprimerMerci du rappel pour "To be or not to be", je reviens à Paris dans 2 semaines et je compte voir aussi "Jour de Fête" de Tati en salles! J'ai vu Plein Soleil au Nouveau Latina, je suis sûre qu'il doit encore y être!
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