Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

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mardi 31 décembre 2024

Le Prix d'un homme - This Sporting Life, Lindsay Anderson (1963)

 Jeune mineur du nord de l'Angleterre, Frank Machin vit dans une chambre de bonne. Il tombe fou amoureux de sa logeuse Margaret, une jeune veuve ravissante. Son destin bascule le jour où il devient joueur vedette du club de rugby local. L'argent coule à flot, les femmes lui courent après... mais les honneurs ne parviennent pas à calmer la colère de cet homme rageur, séducteur et brutal. Surtout quand la belle Margaret se refuse à lui...

This Sspoting Life est le premier long-métrage de Lindsay Anderson, qui emboite alors le pas à ses amis Tony Richardson et Karel Reisz. Avec ces derniers, il s’imposa comme critique et théoricien du cinéma, dont les idées et concepts devaient déboucher sur la fondation du Free Cinema à la fin des années 50. Tony Richardson se lance en 1958 avec Les Corps sauvages tandis que Karel Reisz fait de fracassant débuts dans Samedi Soir, Dimanche Matin (1960). Il y a un vrai parallèle à faire entre les premiers titres majeurs des trois réalisateurs, qui adaptent chacun un auteur emblématique du courant des angry young men (Alan Sillitoe sur La Solitude du coureur de fond de Tony Richardson (1962) et Samedi soir, Dimanche Matin), dépeignent justement des héros juvéniles et rugueux en opposition contre le système, et joués par d’illustres inconnus qui crèveront l’écran pour devenir d’immense stars du cinéma anglais (Albert Finney chez Reisz, Tom Courtenay avec Richardson). Lindsay Anderson semble suivre en tout point leur parcours, This Sporting Life étant l’adaptation du roman éponyme de David Storey (publié en 1960) qui en signe le scénario, et servira de formidable tremplin à Richard Harris qui trouve là son premier grand rôle. Le film est initialement proposé à Karel Reisz qui, y voyant les évidentes similitudes avec Samedi Soir, Dimanche Matin, recommande Lindsay Anderson (jusque-là uniquement responsable d’une dizaine de court-métrages) et se contente d’être producteur.

Les sujets voisins et le type de héros voisins de Samedi Soir, Dimanche Matin, La Solitude du coureur de fond et This Sporting Life, permettent par leur différence de brosser un véritable portrait de chacun des réalisateurs. Le lad farceur de Reisz fuit la sinistrose de son quotidien par la fuite en avant rigolarde, celui taciturne de Richardson tourne le dos à la réussite sportive et sociale par intégrité morale. Frank Machin (Richard Harris), est un ancien mineur qui entrevoit l’ascension aussi par le prisme du sport lorsqu’il est enrôlé dans l’équipe de rugby à 13 de la ville. Tant sur le terrain que dans la vie, son attitude agressive et arrogante témoigne d’une rage de réussir inébranlable. Peu à peu se dessine pourtant un caractère bien plus attachant et passionné quand cette quête de gloire s’avérera être l’atour de conquête de l’élue de son cœur, Margaret (Rachel Roberts). Cette dernière est une veuve et mère de famille, logeuse de Frank, cette promiscuité incitant notre héros à manifester ses sentiments de façon de plus en plus ardente. Mais Margaret vit dans le souvenir figé de son époux défunt, et rabroue Frank à chaque tentative de rapprochement. La gloire sportive et la réussite matérielle qui en découle n’est donc pas un objectif narcissique pour Frank, mais le moyen de se faire aimer de Margaret en lui offrant une vie meilleure. 

La droiture et l’intransigeance morale des angry young men se retrouve ici dans l’attitude de Frank face aux tentations que lui offre sa nouvelle notoriété. Supportrices peu farouches, possessions de luxe et accès aux lieux les plus huppés de cette petite ville de Wakefield, tout cela, Frank le lorgne sans jamais réellement y goûter. De chaque tentations et plaisirs superficiels, il se détourne pour inlassablement revenir vers sa logeuse qui se refuse à lui. Lindsay Anderson adopte une mise en scène fluide et nerveuse lors des joutes sportives, mettant en valeur la teigne et le roc qu’est Frank sur les terrains, sortant vainqueur de « l’enfer du dimanche » devant une foule ébahie qui va en faire la star locale. 

Toute cette aura de surhomme s’estompe dans l’intimité de la maison, lorsqu’il alterne entre colère, douceur et désespoir face aux refus de Margaret. Anderson filme Richard Harris avec une formidable puissance dans ces instants-là, dans ce qui constitue la véritable joute du récit à travers cette romance torturée. Richard Harris est tout simplement stupéfiant d’intensité, tant dans les instants où son dépit lui fait adopter des comportements discutables, que quand il presque s’arracher le cœur pour le déposer aux pieds de Margaret. Une scène va d’ailleurs mettre à genou le spectateur face au lâcher-prise de Harris, lorsqu’il déclame à son ami l’intensité de son amour pour cette femme, la seule lui faisant ressentir le besoin d’être désiré – le jury cannois ne s’y trompera pas en lui décernant le prix d'interprétation lors de l’édition 1963 du festival.

La narration en partie en flashback, par ces parallèles entre un Frank ardent et plein d’espérance puis celui brisé physiquement comme moralement, entremêle tension dramatique et de brillantes idées formelles par son travail sur le montage et les raccords. La trajectoire tragique du dieu du stade se dessine ainsi dès le départ, la gloire éphémère en miroir de l’inévitable déchéance, jusqu’à un final poignant où la hargne s’est envolée, où la raison d’être du combat n’est plus. Grand film. 

Sorti en dvd zone 2 français chez Doriane Films

dimanche 29 décembre 2024

Totto-Chan, la petite fille à la fenêtre - Madogiwa no Totto-chan, Shinnosuke Yakuwa (2023)

Tokyo, début des années 1940. Tetsuko, que tout le monde appelle Totto-Chan, est une petite fille pleine de vie qui mène la vie dure à son institutrice, qui finit par la renvoyer. Ses parents décident de l’inscrire à Tomoe, une école pas comme les autres où de vieux wagons font office de salles de classe. Son directeur y met l'accent sur l'indépendance et la créativité des enfants. Tandis que la Japon s'enfonce dans la guerre, Totto-Chan va découvrir que les petites expériences de la vie sont plus importantes que les leçons.

Totto-Chan, la petite fille à la fenêtre marqua un véritable évènement à sa sortie au Japon puisqu’il s’agissait de la première adaptation du roman autobiographique de Tetsuko Kuroyanagi, publié en 1981. L’autrice avait jusque-là refusé toutes les propositions d’adapter ce roman devenu avec le temps un classique de la littérature enfantine, au Japon et à travers le monde – il est notamment publié en France chez Pocket jeunesse. C’est la note d’intention sensible du réalisateur Shinnosuke Yakuwa et les perspectives du cinéma d’animation qui convainquirent Tetsuko Kuroyanagi, figure incontournable (romancière, actrice, animatrice de talk-show) du paysage médiatique japonais.

Le récit se penche sur les souvenirs d’enfance de Kuroyanagi, dans le Japon du début des années 40. Petite fille qu’on qualifierait sans doute aujourd’hui d’hyperactive, Totto-Chan par son énergie débordante et son attention fluctuante n’entre pas dans le moule scolaire rigide. Elle va donc être envoyée dans l’école privée dont l’enseignement privilégie l’individualité et l’expression de la personnalité des enfants. Une des grandes qualités du film est de parvenir à se placer à hauteur d’enfant, et notamment de capturer la perception du temps à ce jeune âge. Dans le cadre d’une école traditionnelle, l’agitation de Totto-Chan la fait sortir du lot, en fait un grain de sable au sein d’un environnement codifié auquel il faut se plier. La nouvelle école revêt une dimension atypique par sa topographie (les salles de classe disposée dans d’ancien wagon de train), autorise une liberté d’être et de circuler par son nombre d’élève restreint, et intègre les fondamentaux d’enseignement dans une dimension ludique. 

Plusieurs scènes développent l’apprentissage scolaire et social par des mises en situations où la réflexion individuelle, l’expression libérée plutôt qu’entravée, façonnent l’assimilation des savoirs en guidant les enfants vers l’information plutôt qu’en leur assénant. Cette expression libre se ressent lors de la première entrevue de Totto-Chan avec le directeur lorsque ce dernier laisse déborder jusqu’à l’épuisement la logorrhée de la fillette jusqu’à ce qu’elle livre vraiment ce qu’elle a sur cœur. Plus tard d’un simple repas collectif découlera une euphorisante leçon sur les légumes, et à échelle individuelle la compréhension sans gronderie pour Totto-Chan du rapport à son environnement qu’elle doit respecter.

La narration étend le chant de perception de l’héroïne au fil de cette conscience croissante du monde qui l’entoure. Cela s’initiera par son rapport aux autres élèves, dont son camarade Yasuaki, complexé par une sa mobilité réduite par la polio. Dès lors l’agitation de Totto-Chan ne sert plus son seul amusement, mais aussi une attention aux autres que Shinnosuke Yakuwa capture de nouveau à hauteur d’enfant, à la fois dans les jeux mais aussi par l’expression de l’imaginaire, notamment la magnifique séquence de la piscine virant en comédie musicale durant laquelle Yasuaki semble enfin l’égal de ses autres camarades au sein de ce monde flottant. Le réalisateur assume la répétitivité et l’étirement du temps tels que ressenti enfant, les variations reposant sur de micro-évènements sur des journées semblant à la fois toujours les mêmes, mais à chaque fois différentes.

Les ellipses interviennent à la fois comme marqueur signalant l’arrière-plan temporel et historique, ainsi que la façon dont désormais Totto-Chan en est attentive et impactée. La particularité de son école lui apparaît à travers la confrontation avec d’autres enfants, et aussi celle de ses parents progressivement stigmatisés pour leur train de vie occidental dans un Japon belliqueux et patriotique célébrant la tradition. Le monde extérieur s’immisce dans les habitudes (le message météo radiophonique laissant place à des discours de propagande) et vient même les bousculer douloureusement par la découverte de la faim, de la différence et du deuil. Les ruptures formelles féériques de la petite enfance servent désormais une imagerie plus sombre et inquiétante, notamment par ces éléments belliqueux avec ses défilés militaires désormais omniprésent. Un des plus beaux moments du film explicite d’ailleurs formellement cette opposition entre le monde de l’enfance et les velléités guerrières de celui des adultes, quand Totto-Chan dévastée par le chagrin s’enfuit en traversant une marche de soldat défilant en sens inverse.

Ce rappel progressif du moment terrible que vit le Japon et sa société participe à la maturité progressive de notre héroïne, jusqu’à ce que le cadre innocent de la première partie semble définitivement appartenir à une époque révolue dans la seconde. Totto-Chan se transforme de façon intime à la manière de n’importe quel enfant, mais aussi de façon plus spécifique et accélérée à cause des mues douloureuse de son quotidien. Le film est donc un bon et poignant témoignage qui repose autant sur ses situations que sur son esthétique. Les expérimentations formelles les bien naïves et colorées s’inspirent des dessins de Chihiro Iwasaki, illustratrice originale du roman. 

Le chara-design des enfants et plus particulièrement celui tout en rondeur et expressif de Totto-Chan rappelle quant à lui l’imagerie d’un certain premier âge du shojo durant les années 60. Cette imagerie bariolée se heurte progressivement au réel, par une météo changeante voyant l'été de l'enfance céder à l'automne de la pré-adolescence, la teinte brune des uniformes militaires déteignant sur la gamme chromatique, la disparition des édifices représentant le « temps de l’innocence » comme l’école ou la maison familiale.

Totto-Chan est une des plus belles représentations des bonheurs du temps de l’enfance, tout en offrant à travers le plus candide des regards un instantané de temps troubles.

En salle le  1er janvier

vendredi 27 décembre 2024

Piège à Minuit - Midnight Lace, David Miller (1960)

Kit, une jeune héritière américaine, est mariée à Anthony Preston, important banquier britannique. Son existence s'avère monotone et solitaire, son mari étant très peu présent. Un soir brumeux, alors qu'elle rentre chez elle, elle entend une voix qui la menace de mort. Malgré les craintes de sa femme, Anthony ne prend pas les menaces trop au sérieux. Mais le lendemain, Kit échappe de peu au pire au pied de son immeuble...

Piège à minuit participe à une certaine volonté du producteur Ross Hunter d’entremêler le thriller avec l’esthétique flamboyante de ses grands mélos produits au sein du studio Universal, souvent réalisés par Douglas Sirk. Le très réussi Meurtre sans faire-part de Michael Gordon (1960) avait ouvert la voie de cette tendance, drame conjugal et thriller domestique cohabitant harmonieusement, porté par un formidable couple Lana Turner/Anthony Quinn. C’est une Doris Day au sommet de sa popularité qui va s’essayer de nouveau au thriller après : Le Diabolique M. Benton d’Andrew L. Stone (1956) et surtout L’homme qui en savait trop d’Alfred Hitchcock (1955). Le film (adapté d’un roman de Janet Green) est d’ailleurs une vraie réminiscence hitchcokienne, dont l’intrigue lorgne vers Soupçons (1941) ou encore Le Crime était presque parfait (1954). On peut aussi largement penser au Hantise de George Cukor (1940).

Formellement, le mariage opère, notamment avec la présence de toute l’équipe habituelle des productions Ross Hunter. Le duo de scénariste Ivan Goff/Ben Roberts est le même que sur Meurtre sans faire-part, on retrouve Russell Metty à la photo et la bande-originale est assurée par Frank Skinner. Les décors studios luxuriants mélangés aux extérieurs londoniens touristiques installent une esthétique chatoyante au sein de laquelle le bonheur radieux de Kit (Doris Day), américaine installée en Angleterre avec son époux Tony (Rex Harrison), s’épanouit pleinement. David Miller joue de certains archétypes londoniens pour poser les bases menaçantes du récit, avec cette scène d’ouverture en plein fog où une voix mystérieuse menace de mort Kit. L’angoisse s’amplifie lorsque l’inconnu se met à harceler quotidiennement la jeune femme au téléphone, puis à possiblement l’agresser physiquement.

Comme déjà dit, visuellement le mariage opère entre la flamboyance du mélo et les atmosphères plus inquiétantes. Russell Metty joue des couleurs et des jeux d’ombres pour installer une ambiance jouant autant sur la terreur psychologique et la menace sourde du thriller. La séquence de l’ascenseur, la transformation progressive de l’appartement cossu du couple en cauchemar gothique, tout cela est redoutablement efficace et agréable à l’œil. De plus, Doris Day particulièrement impliquée (sans doute trop à son goût puisqu’elle ne s’essaiera plus au film à suspense par la suite) est absolument formidable en femme sombrant dans la paranoïa et l’hystérie. Un des premiers problèmes repose sur le scénario. 

La première partie du film multiplie les pistes et indices désignant plusieurs coupables potentiels : le directeur de chantier bellâtre incarné par John Gavin, le mari prévenant (d’autant que dans sa vie personnelle et plusieurs de ses rôles l’aura d’amant peu recommandable de Rex Harrison le poursuit), le fils à maman pique-assiette joué par Roddy McDowall, la relation d’affaire interprété par Herbert Marshall. Le fait de n’avoir que des acteurs reconnus parmi les suspects renforce la vigilance du spectateur, mais l’intrigue finit par se traîner bien trop longtemps à jongler parmi les hypothèses et devient très répétitive.

L’autre souci tient aux difficultés de David Miller à maintenir une vraie tension. Le scénario n’aide pas certes, mais la mise en scène reste purement illustrative et ne sait pas mettre en valeur et faire grimper le suspense de plusieurs séquences à fort potentiels. L’agression de rue où Kit manque d’être renversée ne suscite aucune émotion, l’ambiguïté sur la réalité des peurs de Kit repose sur Doris Day, les astuces narratives (le fait qu’elle soit la seule à entendre la voix de l’harceleur téléphonique) et des qualités techniques évoquées plus haut (la photo de Russell Metty faisant ressortir le regard terrifié de Kit durant la scène d’ascenseur).  

Meurtre sans faire-part enchevêtrait à la fois formellement, émotionnellement et narrativement sa dimension de mélo et thriller, alors que dans Piège à Minuit tous les départements du film semblent jouer une partition séparée et bien trop timorée. Le film se laisse malgré tout regarder mais c’est tout de même un rendez-vous manqué tant certaines séquences recelaient un potentiel dramatique puissant entre de meilleures mains.

Sorti en bluray et dvd français chez Elephant Films

mercredi 25 décembre 2024

Empire du soleil - Empire of the Sun, Steven Spielberg (1987)


 En 1941, la concession internationale de Shanghai semble ignorer tout de l'occupation japonaise du reste du pays. James Graham, jeune fils d'un industriel britannique, y vit une existence protégée et pleine d'aventures imaginaires. Mais l'attaque de Pearl Harbour marque la fin de cet état de grâce, et James se retrouve séparé de sa famille. Condamné au statut d'errant, il se retrouve finalement emprisonné dans un camp de prisonniers où il doit apprendre à survivre...

Le summum de la veine entertainer et peintre du merveilleux de Steven Spielberg court sans doute de Les Dents de la mer (1975) à Indiana Jones et le Temple Maudit (1984). Après cette période, le réalisateur l’âge avançant ne retrouvera plus jamais complètement cette science du divertissement, se ratant en voulant renouer avec la candeur enfantine sur Hook (1991), où se montrant brillant illustrateur mais sans atteindre l’émotion d’antan avec Jurassic Park (1993) – le génie du divertissement se poursuivant plutôt sous la casquette de producteur avec la trilogie Retour vers le futur, Gremlins (1984), Qui veut la peau de Roger Rabbit (1988) et quelques autres. Sa filmographie des années 90 sera dès lors assez inégale, le penchant adulte pouvant accoucher d’une réussite comme La Liste de Schindler (1993) ou de ratage tels que Amistadt (1997). Ce n’est que durant les années 2000 qu’il résoudra l’équation pour aboutir à un second âge d’or filmique, où la noirceur cohabite harmonieusement avec les visions sidérantes dans des œuvres comme AI : Intelligence Artificielle (2001), Minority Report (2002), Arrêtes-moi si tu peux (2003), Munich (2005) ou encore La Guerre des Mondes (2006).

Cette quête de maturité s’ouvre avec La Couleur pourpre (1985) et se poursuivra donc avec Empire du Soleil. Ce dernier paraît vraiment être le film « à la David Lean » de Spielberg, et pour cause, c’est bien le cinéaste anglais qui devait initialement le réaliser. Lorsque la Warner achète les droits du roman semi-autobiographique de J. G. Ballard (publié en 1984), David Lean s’engage à la réalisation et Spielberg, grand admirateur de Lean est supposé assurer la production. Lean finit par jeter l’éponge (on peut regretter et être curieux de ce que sa version aurait donnée malgré la réussite du film que l’on connaît) et Spielberg décide de reprendre les rênes du projet. Jusqu’ici toute la filmographie de Spielberg mettant en scène des enfants (ou des hommes-enfants comme dans Rencontres du troisième type (1977)) étaient des hymnes à l’innocence, à une candeur préservée apte à surmonter la noirceur du réel avec en point d’orgue le merveilleux E.T. (1982). Il fallait chercher le versant sombre de cette veine du côté de Poltergeist de Tobe Hooper (1982) que Spielberg semblait avoir un peu plus que supervisé. Avec Empire du Soleil, c’est presque le contraire et cette naïveté enfantine qui se retourne souvent comme son jeune héros James (Christian Bale) face aux épreuves qu’il affronte. 

Spielberg étend d’ailleurs ce sentiment à l’ensemble de la concession occidentale au début du film, vacant à sa vie oisive et ses habitudes coloniales dans cet espace à part du tumulte extérieur avec l’invasion de Shanghai par les troupes japonaises. La scène d’ouverture joue bien de cela, le choix des bâtiments, ruelles et espaces filmés pouvant donner l’illusion que l’intrigue se déroule en Angleterre. Par la seule image, Spielberg nous traduit ainsi le détachement des occidentaux, peu préoccupés des locaux et ayant tout simplement reproduit à l’identique leur société en Chine. Spielberg appuie encore ce point par la suite, avec le contrepoint des Anglais déguisés et en voiture se rendant à une fête costumée, alors que les émeutes et la pauvreté agitent la ville qu’ils traversent indifféremment – les conversations complaisantes et condescendantes durant la soirée entérineront cela. 

James, fils d’un industriel britannique, est à la fois la conséquence de cet environnement par son propre mépris des domestiques chinois, mais aussi encore un enfant loin de ces préoccupations par son foisonnant imaginaire. Passionné d’avions, il idolâtre les Zéro japonais, et est fasciné par les valeurs guerrières de ces derniers. Les Zéros traversant le ciel de la concession sont source d’émerveillement pour lui quand ils sont lourds de menace pour les adultes avertis, et Spielberg prépare longuement le moment où l’émerveillement et le danger de ces symboles vont entrer en collision pour briser le quotidien de l’enfant. James découvre l’imminence de la guerre en tombant sur une garnison de soldat chinois en voulant récupérer sa maquette d’avion, et plus tard perdra la trace de sa mère dans une émeute en allant ramasser son jouet, un Zéro en modèle réduit.

L’épreuve de la séparation, de la solitude puis de la vie en camp de prisonnier accentue cette dualité chez James. Au sens de la débrouille qu’il développe au fil des années de captivité s’oppose une hyperactivité immature témoignant d’un refus de grandir, de papillonner sans se soucier du contexte comme le montrera sa fascination intacte pour les avions japonais. Spielberg l’observe par des séquences puissantes, tel ce moment où James brave le danger pour toucher de près et s’émerveiller face à un Zero japonais, puis faire un salut militaire aux pilotes. 

Il y a dans cette attitude une ouverture aux antipodes du comportement des adultes, et qui paradoxalement lui sauvera la vie à deux reprises. Néanmoins, cela témoigne aussi de l’absence de recul et de repères du jeune héros, ce qui se répercute dans son lien aux adultes. D’un côté il cherche une mère de substitution avec l’acariâtre mais bienveillante Madame Victor (Miranda Richardson), un père respectable auprès du docteur Rawlins (Nigel Havers) faisant son éducation scolaire, et de l’autre un mentor peu recommandable avec Basie (John Malkovich), canaille dont les conseils sont pourtant indispensables à sa survie dans cet environnement hostile.

Le mouvement perpétuel et la logorrhée ininterrompue sont donc les moyens de surmonter sa solitude, d’oublier l’absence de ses parents. La longue errance finale fait office d’introspection douloureuse durant laquelle James tutoie la folie, Spielberg multipliant les visions incroyables (le stade désert empli d’objet issus de la concession anglaise) où l’environnement frise l’abstraction pour nous plonger dans un véritable espace mental où notre héros affronte ses démons. Il y eut l’illusion de la concession internationale, mais en partie aussi celle du camp, et la véritable confrontation avec le monde extérieur et ses horreurs va se faire là pour James, seul face à lui-même, ses peurs, ses doutes et sa solitude. Christian Bale pour son premier rôle au cinéma impressionne déjà, la transformation du garçon poupin et énergique à l’adolescent émacié et éteint est tout simplement stupéfiante, notamment par ce regard vide qui en a trop vu, ce corps raide qui en trop subi. 

Empire du Soleil est une des productions les plus impressionnantes de Spielberg, la première occidentale à être autorisée à filmer à Shanghai. La reconstitution est somptueuse, les scènes de foule démesurée, les moments de destruction glaçant ou subtilement ambigus à travers le regard enjoué de James. Malgré quelques petits défauts de rythme et de caractérisation sommaire des Chinois, ce pas de Spielberg vers les grands sujets est des plus convaincants. 

Sorti en bluray français chez Warner

lundi 23 décembre 2024

La Lanterne pivoine - Botan Doro, Satsuo Yamamoto (1968)


 Durant le festival Obon, fête en l'honneur des ancêtres, le jeune Hagiwara s'éprend de la fille d'un samouraï déchu. Mais la jeune femme cache un destin tragique.

Botan Doro est à l’origine un conte chinois issu du recueil Jiandeng Xinhua (« Nouveaux Contes sous la lumière de la lampe ») de Qu You. Le recueil est traduit au Japon durant le 17e siècle mais le conte Botan Doro va plus particulièrement gagner en popularité quand il sera adapté, avec d’autres histoires issues du Jiandeng Xinhua, par l’écrivain Asai Ryoi. Le cadre du récit devient strictement japonais, les leçons de morales bouddhistes du recueil chinois sont éliminées et l’accent est mis sur la dimension tragique et effrayante de l’histoire. D’autres relectures durant l’ère Meiji contribueront à installer le conte dans l’imaginaire collectif japonais : une version rakugo par le conteur Encho Sanyutei en 1884, une version façon théâtre kabuki en 1892. Chacune apportent leur lot de transformations et spécificités au récit et influeront sur les nombreuses adaptations cinématographiques selon la source choisie. 

Le film de Satsuo Yamamoto s’inspire plus spécifiquement de la version dite Otogi Boko du conte, soit celle d’Asai Ryoi avec un accent mis sur l’horreur et la romance tragique. On peut aussi y voir une dimension sociale plus marquée et très présente dans les grands films de fantômes produits durant cette période par le studio Daei. Ainsi le début de l’histoire montre la condition féminine précaire de l’époque lorsque la veuve de son frère, devenue fardeau encombrant (car n’ayant pas accouché d’un héritier) est imposé au héros Hagiwara (Kôjirô Hongô) comme épouse par sa famille, ce à quoi il oppose son refus. 

Hagiwara par son souci des démunis et son dégoût des injustices ne peut se soumettre à un tel accord, mais cette compassion le rend vulnérable face à la séduction des fantômes. Otsuyu (Miyoko Akaza) est une jeune femme réduite à la condition de courtisane après la ruine de sa famille, mais qui a préféré se suicider avant d’être déshonorée par son premier client. Hagiwara ignore la conclusion funeste de l’histoire et s’émeut du sort de cette femme qu’il croit encore bien vivante, et dont il va tomber amoureux. La durée du festival Obon est supposé sceller leur lien définitivement lorsque Otsuyu aura définitivement aspirée la force vitale d’Hagiwara et emportera son aimé avec elle dans l’au-delà. 

Yamamoto imprègne graduellement le fantastique dans l’esthétique du récit, la nature spectrale d’Otsuyu et sa servante Oyone (Michiko Ôtsuka) se devinant par la photo légèrement altérée et leurs apparitions fugaces. Le destin tragique d’Otsuyu à travers la prestation vulnérable de Miyoko Akaza est l’angle majeur sous lequel l’on regarde le personnage, mais la douceur d’une scène d’amour est brutalement interrompue par des éléments macabres révélant la nature de la jeune femme. Dès lors l’ambiguïté va régner, tant chez les fantômes à la présence de plus en plus effrayante, que chez les humains dont la nature vile se révèle. 

Les trucages visuels, associés à la beauté morbide de superbes compositions de plan en studio, ainsi que de maquillages glaçants, façonnent une atmosphère aussi fascinante que terrifiante. Yamamoto sait jouer de la pure poésie macabre dans les déambulations flottantes des spectres la nuit venue, mais aussi d’une terreur plus frontale et saisissante durant la scène où Hagiwara essaie d’affronter au sabre les fantômes. Ce moment précis fait preuve à la fois d’une ingénierie virtuose dans l’alternance des techniques, les câbles enchaînant avec des projections ainsi que des mouvements de caméra virevoltant pour accompagner la perte de repère d’Hagiwara.

La tragédie vient de la dichotomie entre sentiments sincères et liens impossibles ou du moins périlleux à nouer entre le monde des morts et celui des vivants. La compassion s’accompagne à la peur pour les fantômes à laquelle la vie n’a rien épargné, et recherchant l’amour à n’importe quel prix de l’autre côté. Il y a aussi une empathie mêlée d’attirance et de crainte à travers le personnage d’Hagiwara, nourrie d’ambiguïté pour un amour mêlé de sentiments sincères et d’envoutement. Les vrais monstres sont ceux voulant tirer profit de cette situation et, alors que l’issue tragique se teinte d’amertume, les opportunistes seront les seuls à avoir un sort ouvertement punitif. Entre émotions dramatiques et fulgurances horrifiques, Botan Doro est une belle réussite au carrefour de plusieurs influences – la veille finale n’étant pas sans rappeler le film soviétique Vij ou le diable (1967). 

Sorti en bluray français chez Roboto Films

dimanche 22 décembre 2024

Charlie mon héros - All Dogs Go to Heaven, Don Bluth (1989)


 Charlie, un chien un rien roublard, est assassiné par le gangster Carcasse. Il n'a jamais fait grand-chose de bien au cours de sa vie, mais il est pourtant accepté au paradis des chiens. Décidé à se venger, Charlie trouve le moyen de ressusciter et de revenir sur Terre. Mais il va devoir choisir : continuer à vivre comme avant ou venir en aide à Anne-Marie, une orpheline poursuivie par Carcasse.

Au moment de réaliser Charlie mon héros, Don Bluth a atteint l’ambition qu’il s’était fixée lors de son départ fracassant des studios Disney et avant de réaliser Brisby et le secret de N.I.M.H. (1982). Il s’est posé à la fois en alternative et perpétuation ambitieuse de Disney, en les supplantant à la fois artistiquement et commercialement par le plébiscite critique et le triomphe commercial de Fievel et le Nouveau Monde (1986) et Le Petit Dinosaure et la Vallée des merveilles (1988). Sur Charlie, il va néanmoins rompre avec Steven Spielberg, partenaire actif de ces triomphes via sa société de production Amblin, pour retrouver une certaine indépendance. Spielberg était en effet une force créatrice majeure dans le choix des sujets et le ton des deux films (Fievel ayant notamment pour base l’arrivée aux Etats-Unis en tant que migrant du grand-père de Spielberg), ce dont Bluth souhaite se détacher sur Charlie mon héros. Le film est en effet la reprise d’un ancien projet de Don Bluth, envisagé après Brisby, un film de détective anthropomorphique avec des chiens sous forme de récit à sketches. L’échec en salle de Brisby laissera un temps cette idée dans les tiroirs, même si certaines idées perdureront dans le film fini comme d’envisager Burt Reynolds au doublage du berger allemand détective avec un design calqué sur lui. L’option d’un film de genre avec des chiens perdure mais lorgne cette fois vers le film de gangster (Disney ayant coupé l’herbe sous le pied de Bluth avec Basile, détective privé (1986) lors de la réécriture, saupoudré d’une ambiance rétro par son intrigue se déroulant en 1939.

Charlie est en effet au carrefour de plusieurs influences bien identifiables pour l’amateur de cinéma hollywoodien des années 30. Le postulat initial fait de rivalité, trahison et vengeance entre deux chefs de gangs est typique du récit de gangster d’alors, avec des clins d’œil appuyé puisque le gangster Carcasse se nomme Corface en VO. L’argument d’une petite fille encombrante pour les affaires mais attendrissant le cœur d’un gangster est littéralement reprise de Petite Miss d’Alexander Hall (1932) avec Shirley Temple, la caractérisation de Anne-Marie chez Bluth rappelant d’ailleurs fortement les films de Temple même sans avoir spécifiquement lé référence de ce film. Enfin la dimension onirique et mystique s’inscrit certes dans le sillage des précédentes œuvres du réalisateur (réminiscence de son expérience au sein de l’Église de Jésus-Christ des Saints des Derniers Jours), mais la vision surréaliste de l’Au-delà est un leitmotiv courant de la comédie américaine des années 30/40 (Le Défunt récalcitrant d’Alexander Hall (1941) encore lui, Le Ciel peut attendre d’Ernst Lubitsch (1943)), et les instants de comédie musicale qui s’y superposent ne sont pas sans rappeler Un petit coin aux cieux (1943), merveilleux premier film de Vincente Minnelli.

La force du film est de ne pas édulcorer cette somme d’influences dans son traitement, et d’adopter une tonalité singulière dans le cadre de l’animation des années 80. Brisby sans se départir de l’ADN Disney de Don Bluth était une proposition surprenante notamment par sa noirceur, tandis que Fievel l’était tout autant par l’ancrage social de son récit engagé. Charlie offre un entre-deux passionnant, notamment par le traitement de l’anthropomorphisme. L’univers des chiens, véritable décalque dans ses situations (l’évasion de prison de la scène d’introduction, la tentative d’assassinat sur Charlie) et son décorum du film de gangster, permet toutes les extravagances et cette teneur anthropomorphique pour les personnages. Il y a une vraie dichotomie avec le monde des humains au sein duquel ils retrouvent leurs caractéristiques animales tout en conservant leur intelligence. 

Le pont entre les deux se fait à travers la petite fille Anne-Marie, qui possède le pouvoir de comprendre les animaux. Ce lien n’est absolument pas une facilité, la part gangster anthropomorphisé de Charlie représentant une sorte de facette justement bien « humaine », imparfaite, individualiste et manipulatrice chez lui. La part animale dénuée d’artifices illustre à l’inverse la bienveillance du personnage. Les chiens n’offrant jamais cette dualité sont bel et bien les méchants comme Corface, mais tous les autres animaux, même les plus loufoques (l’alligator à la fois dangereux prédateur puis féru de chant) font montre d’une même nature double.

Don Bluth joue avec ce sentiment, en conservant une certaine rudesse chez Charlie dont le cynisme longtemps maintenu empêche un attachement trop simple et facile. Cela n’en rend que plus touchant le moment où la douce et naïve Anne-Marie découvre explicitement cette facette de lui, cette perspective créant une tension intéressante tout au long du récit en filigrane, notamment quand Anne-Marie freine la tendance au larcin de Charlie. Dès lors quand celui-ci cède aux remontrances d’Anne-Marie, on ressent typiquement ce questionnement entre cynisme et réelle évolution de notre anti-héros, au cœur justement des meilleures comédies dramatiques hollywoodiennes des années 30. Le réalisateur sait faire passer ces questionnements par de splendides idées formelles. 

Une des séquences les plus saisissantes repose sur un cauchemar de Charlie se pensant rattrapé par les enfers après avoir fuit le paradis, l’esthétique morbide et créatures démoniaques offrant des tableaux particulièrement impressionnants (cette prou de bateau squelettique échappée de Terry Gilliam). Les moments suspendus de pure candeur mettant en scène Anne-Marie sont très touchants aussi, l’usage de la stéréoscopie (une vraie petite fille fut filmée) ajoutant une dose d’imperfection paradoxalement « authentique » de la fillette notamment lors du magnifique numéro musical Soon You'll Come Home

Bluth manie parfaitement ces problématiques, évitant de surligner grâce à une symbolique subtile (la montre figeant le possible décès de Charlie représentant son individualisme jusqu’à ce qu’il y renonce pour sauver Anne-Marie) tout en variant les tons. Les moments de pure folie cartoonesque (la course de chevaux, la confrontation avec l’alligator) sont encadré d’une direction artistique épurée et stylisée dans sa description de la Nouvelle-Orléans notamment le beau plan d’ensemble sur des bâtisses de la ville durant la grande scène d’appel au sauvetage des chiens de la ville.

Don Bluth ne cède pas à la mièvrerie en assumant une conclusion mélancolique mais rédemptrice pour son héros, et nous laisse sur une belle émotion liée à la fois au spectacle vu mais aussi à l’hommage de la dernière chanson, Love Survives, hommage à l’actrice Judith Barsi doublant Anne-Marie et décédée un an avant la sortie dans un fait divers sordide. Le film sortira en grande pompe, auréolé d’une grande attente après les succès de Don Bluth, mais rencontrera un succès inférieur sans pourtant démériter. En effet le nouvel âge d’or de Disney se profile après une décennie de disette avec la sortie simultanée de La Petite Sirène (1989) qui sera un triomphe. Néanmoins le marché vidéo donnera une vraie seconde vie à Charlie, mon héros, au point d’en faire un des opus les plus populaires de Bluth et qui connaîtra une suite ainsi qu’une série télévisée plus dispensables. 

Sorti en bluray français chez Rimini

jeudi 19 décembre 2024

My Sunshine - Boku No Ohisama, Hiroshi Okuyama (2023)

Sur l’île d’Hokkaido, l’hiver est la saison du hockey pour les garçons. Takuya, lui, est davantage subjugué par Sakura, tout juste arrivée de Tokyo, qui répète des enchaînements de patinage artistique. Il tente maladroitement de l’imiter si bien que le coach de Sakura, touché par ses efforts, décide de les entrainer en duo en vue d’une compétition prochaine… À mesure que l’hiver avance, une harmonie s’installe entre eux malgré leurs différences. Mais les premières neiges fondent et le printemps arrive, inéluctable.

Hiroshi Okuyama avait enchanté par l’approche bienveillante, chaleureuse et très originale de son premier long-métrage, Jésus (2018). On avait également pu apprécier son talent sur la série Makanai : Dans la cuisine des maiko (2023), dont il avait signé quelques épisodes. On dénotait donc à travers ces deux œuvres un goût pour l’immersion dans des cadres singuliers (Jésus et sa découverte des rites catholique pour un jeune japonais), le monde de l’enfance et une volonté de transposer à l’écran une expérience autobiographique. On retrouve tout cela dans My Sunshine, né du souvenir de la pratique du patinage artistique durant son adolescence par Okuyama. 

Il y a une forme d’identification avec le héros Takuya (Keitatsu Koshiyama), ado rêveur un peu à la marge, notamment par son bégaiement. Le cadre de l’île d’Hokkaido est propice aux sports hivernaux et Takuya pratique le hockey sur glace, sa douceur et difficulté à se fondre dans un collectif masculin en faisant un piètre joueur. Sur la même patinoire locale, il a cependant le loisir d’observer les entraînements de Sakura (Kiara Nakanishi), une jeune fille visant la compétition et coachée par l’ancien patineur professionnel Arakawa (Sosuke Ikematsu). La liberté et la grâce de Sakura sur la glace est capturé à travers le regard émerveillé de Takuya, bientôt pris en main par un Arakawa touché par ses efforts. Okuyama s’éloigne de toute velléités de récit sportif sur fond de compétition et de dépassement de soi, pour faire de l’espace de la patinoire le cadre d’un épanouissement intime.

C’est une harmonie possible qui s’ignore chez Sakura, compétitrice mais finalement et bien malgré elle davantage inspirée lorsqu’on la forcera à former un duo avec le novice Takuya. C’est aussi une voie médiane pour l’entraîneur Arakawa, qui redécouvre presque le plaisir d’un sport auquel il a dédié sa vie en observant la progression de Takuya, le couple de danse de plus en plus complice qu’il forme avec Sakura. Okuyama déploie cela dans une vraie progression formelle durant les scènes d’entraînements, en variant les points de vue. Il capture la curiosité et l’enchantement ressenti par Takuya en regardant Sakura, puis dans une sorte de caméra isolée la curiosité d’Arakawa face à ce débutant plein d’abnégation, et enfin celui plus ambivalent de Sakura se voyant supplantée dans l’attention de son coach par un autre. 

La réunion des trois, malgré la perspective d’un concours, façonne pourtant un cadre par lequel le seul plaisir de patiner, s’amuser et partager des moments communs prévaut. On passe donc d’un filmage au cadrage de plus en plus ample, notamment lors d’une scène de danse en duo transformant la patinoire en espace de féérie. La blancheur de la glace s’orne de teintes pastels tandis que l’écart de niveau s’estompe par la grâce complice de Takuya et Sakura qui semblent comme flotter au-dessus de la piste. Cette libération s’amplifie lorsque l’on sort de l’espace de la patinoire pour un entraînement sur un lac gelé, avec les somptueux paysages naturels d’Hokkaido en toile de fond.

Il y a presque une anomalie à voir revenir le spectre de la compétition sportive pure après de tels instants, et c’est précisément là que le récit va basculer. Fuir l’exigence sportive normée a permit de transcender une certaine marginalité pour Takuya, mais aussi pour Arakawa dont on devine que l’homosexualité cadrait sans doute mal avec l’exposition publique d’une carrière sportive professionnelle durant sa carrière. Le personnage de Sakura se situe dans un entre-deux, poussée par cette norme concurrentielle (notamment par sa mère) tout en ayant entrevue une perspective plus paisible et satisfaisante de la pratique sportive. Okuyama excelle à faire passer toute cette gamme d’émotions contradictoires par l’image, les geste, jeux de regard et dispositions des protagonistes dans les compositions de plan prévalant sur une parole souvent superflue – notamment lors de la magnifique dernière scène.

En salle le 25 décembre