Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

Pages

samedi 30 avril 2016

L'école de la Sensualité - Kanno kyoshitsu: ai no technique, Noboru Tanaka (1972)

En proie à ses premiers émois sexuels, l'adolescent Isao rêve chaque nuit de son professeur d'éducation physique, la belle et vive Ikuko. Il finit par lui ouvrir son cœur mais elle repousse gentiment ses avances. Frustré, Isao invente toutes sortes de stratagèmes pour dégoûter Ikuko de son fiancé, professeur de chimie dans le même lycée. Comme ses plans échouent, il envisage une solution radicale. La catastrophe est imminente...

Noboru Tanaka signe avec L'école de la sensualité l'un de ses premiers Pinku Eiga au sein de la Nikkatsu. La tonalité de comédie lycéenne potache ne permet pas au film d'atteindre complètement le trouble de ses classiques à venir. Le film dépeint le désir dévorant du jeune Isao (Nobutaka Masutomi) pour son professeur d'éducation physique, la belle Ikuko (Mari Tanaka). Dès l'ouverture, cela permet au réalisateur de signer une séquence éblouissante dans l'expression des fantasmes de l'adolescent. La salle de classe devient le théâtre de ses ébats imaginaires, cet environnement participant aux jeux érotiques avec Ikuko nue se frottant au tableau de classe et voyant son corps pâle enduit de craie. On reconnaît à la fois l'esthétique crue et stylisée du désir chez Tanaka où une étreinte très bestiale baigne dans un écrin travaillé avec cette photo gorgée de filtre.

Isao va ensuite tenter divers stratagèmes pour séduire Ikuko et surtout la faire rompre avec son fiancé le professeur de chimie. Le scénario est assez paresseux pour dépeindre ces péripéties et c'est surtout par l’étude de caractères que Noboru Tanaka élève l'intérêt du récit. Contrairement à nombres de grandes icones du Pinku Eiga, Mari Tanaka n'incarne pas un personnage victime (une Naomi Tani, Junko Miyashita ou Asami Ogawa passent par un véritable chemin de croix pour assumer leur désir dans leurs films phare) symbole de la domination masculine dans la société japonaise, mais une femme assumant sa libido. L'aspect culpabilisant du sexe s'estompe à travers son personnage en parlant librement avec ses élèves, repoussant sans le brusquer les avances d'Isao. Cette sensualité sans complexe est à la fois implicite (Ce short et ce haut moulant laissant voir ses tétons qu'elle porte pour donner ses cours de volley) et explicite dans le total abandon lascif de ses étreintes avec son fiancé qu'espionnent en douce les élèves.

Le cadre contemporain et l'humour atténue un peu des thématiques que l'on verra avec plus d'intensité dans ses œuvres suivantes. Isao par ses manigances rend le fiancé d'Ikuko de moins en moins fiable à ses yeux et paradoxalement renforce leur attirance mutuelle, leur coït trouvant une intensité plus grande encore et filmée sur le vif par Noboru Tanaka. Cette excitation renforcé par l'incertitude annonce bien sûr le très anxiogène La Véritable histoire d'Abe Sada (1975) où il donnait une étouffante relecture du même fait divers ayant inspiré Oshima pour L'Empire des sens (1976). L'amour obsessionnel nourri de fantasmes et de voyeurisme d'Isao prépare également aux visions d'un Japon libre de ses perversions dans le cadre des années 20 sur La Maison des perversités (1976). Enfin le côté douloureux (Isao préférant la frustration tant qu'il n'a pas eu Ikuko plutôt que de suivre ses camarades chez une prostituée) et le plaisir transgressif de cette impossible romance élève/professeur développe déjà les idées de Bondage (1977) le biopic que Tanaka consacrera à l'artiste Seiu Ito.

Tout cela passe par le visuel plus que par la construction maladroite du scénario. Les scènes d'amours prennent un tour de plus en plus oniriques au fil du récit, comme pour nous faire douter que l'ensemble n'est pas une prolongation du fantasme d'ouverture et que nous nous trouvons dans l'esprit d'Isao. L'adversité semble rendre l'attirance irrépressible, Ikuko s'accrochant à la fois à son amant quand il est le plus vulnérable et cédant enfin à Isao alors que celui-ci a commis l'irréparable. Le plaisir semble reposer sur ce danger et cette transgression morale, Noboru Tanaka faisant apparaître symboliquement des flammes autour d'Ikuko et Isao lors de leur sensuel rapprochement qu'il filme avec une lenteur savamment calculée. Malgré le ton comique qui atténue parfois la portée dramatique et les quelques maladresse narratives, une œuvre très intéressante où s'exprime déjà tout le brio de Noboru Tanaka qui fera bien mieux par la suite.

 Sorti en dvd zone 2 français chez Wild Side

Captain America : Civil War - Anthony et Joe Russo (2016)

Steve Rogers est désormais à la tête des Avengers, dont la mission est de protéger l'humanité. À la suite d'une de leurs interventions qui a causé d'importants dégâts collatéraux, le gouvernement décide de mettre en place un organisme de commandement et de supervision. Cette nouvelle donne provoque une scission au sein de l'équipe : Steve Rogers reste attaché à sa liberté de s'engager sans ingérence gouvernementale, tandis que d'autres se rangent derrière Tony Stark, qui contre toute attente, décide de se soumettre au gouvernement...

 Le coup de poker d’un univers partagé, engagé par Marvel lors du lancement de Iron Man (2008) s’avère désormais un coup de maître, parfois artistique (Captain America : First Avenger (2011), Captain America : le soldat de l’hiver (2014), Avengers (2012) et Les Gardiens de la galaxie (2014)) et surtout financier. La promiscuité de la série télé et les moyens du cinéma ont façonné une vraie connivence avec le spectateur, pour lequel l’immense feuilleton Marvel est devenu le mètre étalon du film de super-héros – avec ses codes identifiés, il n’y a qu’à voir les salles rester pleines lors des génériques en attente de la scène bonus habituelle. C’est désormais la norme du blockbuster américain, ne pensant plus ses productions qu’en terme d’univers partagés et déclinables en de multiples et très rentables franchises. Les tentatives de projets originaux, risqués et one shot, se font denrées rares, le public n’ayant plus la curiosité de s’aventurer dans une proposition lui étant totalement inconnue – voir les échecs injustes des formidable A la poursuite de demain (Brad Bird, 2015) ; John Carter (Andrew Stanton, 2012) ; ou Lone Ranger (Gore Verbinski; 2013). D’évènementielle, la saga Star Wars est devenue une vache à lait lucrative - on attendra de voir si les spin off valent mieux que la paresseuse redite de JJ Abrams -, Universal recycle ces mythiques Universal Monsters en univers partagé à la Avengers, et la Warner reprend à son tour le modèle pour adapter les DC comics avec le récent Batman vs Superman : l’aube de la justice (Zack Snyder).

Désormais copié de toute part, comment Marvel allait donc répondre à la concurrence ? Le problème de la construction d’un univers partagé au cinéma, c’est le sens des priorités dans ce que l’on a à raconter au fur et à mesure que celui-ci se développe. Avengers : l’ère d’Ultron (2015) avait été une déception en négligeant le déroulement du film en cours pour préparer les évènements des suites à venir dans un ensemble bancal. C’est un écueil dans lequel est tombé de manière pire encore Warner dans Batman vs Superman : l’aube de la justice, les vraies qualités du film étant noyées dans le cahier des charges destiné à préparer les opus suivant. Des personnages pas établis annonçant un univers qui l’est tout aussi peu et amorcé dans la précipitation, le résultat était un beau gâchis que corrigera peut-être un director’s cut. Marvel semble de son côté avoir retenu la leçon avec ce Captain America : Civil War : chaque nouveau film doit fonctionner en tant que continuité de cet univers partagé et pas en promesses de ce qui s’y annonce. Les Captain America sont certainement les films les plus réussis produits par Marvel et ce troisième volet le confirme. Le film poursuit les précédentes aventures du Captain dont on retrouve la tonalité de thriller politique tout en constituant une suite bien plus convaincante des Avengers dont on retrouve l’équipe presque au complet.

L’intitulé Civil War désigne une fameuse saga récente des comics qui questionnait la place des super héros et leur nature instable par rapport au gouvernement en place, ce qui suscitait un immense conflit idéologique au centre duquel s’opposaient Iron Man et Captain America. Le film reprend cette idée avec tous les climax destructeurs des précédents films, remettant en cause le statut des Avengers sommés de se soumettre au pouvoir en place. Un souhait légitime tout comme sa contradiction si ledit pouvoir est corrompu et fait agir nos super héros selon des intérêts douteux. C’est là que la continuité des films antérieurs est judicieuse : en instaurant une tension immédiate de par les acquis déjà posés des personnages. L’héroïsme nourri de culpabilité de Tony Stark/Iron Man (du fait de son passé de marchands d’armes) l’incite à se soumettre à la loi. La figure de rempart vertueux et son expérience face à la dictature affichée ou larvée (les nazis du premier film ou le SHIELD infiltré du second) amène plutôt une méfiance de Captain America, refusant lui de donner le blanc-seing à un pouvoir aux desseins imprévisibles. A cela s'ajoute une implication plus personnelle, connue pour Captain America avec Bucky et qui constituera un superbe coup de théâtre pour Iron Man.

Chacun des personnages est dans son droit, pense agir pour le meilleur, le récit offrant de très intéressantes thématiques dans une Amérique pas remise du 11 septembre et des errements de l’administration Bush. Tout cela était déjà contenu dans Captain America : Le soldat de l’hiver et idéalement développé ici. L’adversaire est d’ailleurs tout ce qu’il y a d’humain, et le fruit des fautes passées de nos super héros. Les frères Russo avaient livré un spectacle de haute volée avec Le Soldat de l’hiver et récidivent ici, profitant des bases de l’univers Marvel pour se départir de scènes introductives et lancer immédiatement l’action. Tout ce conflit moral qui va déchirer les Avengers se fait dans le mouvement d’une narration fluide et riche en péripéties. Il y aurait à redire sur le trop plein de personnages dont le choix dans le débat est survolé pour certains afin de privilégier cette dynamique du récit.

Cependant, les scènes de combats collectives sont fabuleuses, comme ce duel dans l’aéroport où les Russo exploitent avec une grandiloquence comics jubilatoire les capacités des protagonistes, que ce soit Ant-Man, une nouvelle incarnation éblouissante de Spider-Man ou la Panthère noire. D’ailleurs, là aussi l’aspect teasing rédhibitoire (Marvel intronisant ce nouveau Spider-Man en vue d’un prochain film), en se fondant dans l’action, dérange moins. C’est en déchaînant la pyrotechnie du genre au service de l’intime que le film trouve sa force, notamment dans un final cathartique et anti-spectaculaire où les héros sont renvoyés à leurs doutes.

Robert Downey Jr. n’avait pas été aussi intense et impliqué depuis le premier Iron Man, Chris Evans est égal à lui-même et formidable d’humanité et de droiture. Fort de ses deux pivots, le reste des protagonistes - quand on leur laisse le temps de présence pour exister (Scarlett Johansson en Veuve Noire, Chadwick Boseman en Panthère Noire) - est au diapason. Les Russo tournent le dos à l’escalade de destruction massive - remise en cause au sein même du film – pour une conclusion amère laissant les Avengers ébranlés. C’est donc la force du récit en cours qui donne envie de voir la suite et pas les indices maladroitement lancés qui rendent plus problématique l’intérêt du Batman Vs Superman de la concurrence. En revenant à hauteur de ses personnages, Marvel redonne de l’intérêt à son univers.

En salle

vendredi 29 avril 2016

Cochons et Cuirassés - Buta to gunkan, Shohei Imamura (1961)


Après-guerre, l'armée américaine s'installe à Yokusuka, à 30 kilomètre de Tokyo, et en fait une base navale. Gangsters et prostituées y voient l'occasion de profiter de la situation, et leurs commerces fleurissent dans la ville occupée. Kinta et sa petite amie Haruko tentent de survivre dans cette corruption généralisée. Le jeune homme commence à travailler avec des trafiquants vivants du commerce de cochons nourris par les déchets des bases américaines. Un jeu dangereux qui va amener le couple dans une spirale décadente.

Cochons et cuirassés est la première œuvre majeure de Shohei Imamura, celle qui l’associera à la Nouvelle Vague Japonaise aux côté de Nagisa Oshima entre autres. Après des débuts à la Shōchiku où il fut l’assistant d’Ozu, Imamura intègre la Nikkatsu où il rongera longuement son frein dans des films de commande. Alors qu’il pense pouvoir enfin signer un film personnel, le studio lui impose la réalisation de Mon deuxième frère (1959), adaptation de l’autobiographie d’une émigrée coréenne de dix ans. Le film est un immense succès salué par le ministère de l’éducation, au grand dam d’Imamura qui renie cette œuvre aux antipodes de ses préoccupations. En récompense la Nikkatsu lui laisse le champ libre pour son projet suivant, ce Cochons et cuirassés rageur.

Le film fait un portrait sans concession du Japon d’après-guerre et sous occupation américaine. Si Imamura fustige en filigrane les américains avec ses soldats distribuant les dollars en quête de plaisirs divers, c’est surtout l’avilissement des japonais pour obtenir leurs faveurs qu’il dénonce. Le cadre de l’histoire est la ville de Yokusuka qui comme d’autres cités portuaires japonaises abrite une base navale américaine. C’est donc un lieu interlope abritant une population douteuse en quête d’argent facile. La scène d’ouverture donne le ton avec un plan d’ensemble sur la base sur fond d’hymne américain avant qu’un panoramique laisse apparaître les drapeaux. Nous y suivons le jeune Kinta (Hiroyuki Nagato) petite frappe cherchant à percer chez les yakuzas. Il pense faire fortune en se mêlant à un trafic de cochons nourris avec les restes des bases américaines.

Imamura nous montre un Japon brisé et à bout de souffle. Les anciens ne peuvent plus servi de guides à la jeunesse, que ce soit le père de Kinta usé par l’alcool et le travail à l’usine ou le chef yakuza (Tetsuro Tamba) affaibli par la maladie. Pour Kinta les deux voies proposées par ses « pères » s’avéreront une impasse, que ce soit la vie de labeur de son père qu’il refuse ou celle de yakuza à laquelle il aspire mais pour laquelle il sera trop tendre. Cette indécision se caractérise même par sa tenue vestimentaire avec une pure allure d'ado américain dont les vêtement arbore des motifs japonais, illustration de son rapport amour/haine face à ces envahisseurs américains. Seul l’amour de sa fiancée Haruko (Jitsuko Yoshimura) semble pouvoir le sauver mais elle-même est soumise à une pression sociale pour céder à un même avilissement. 

Sa mère et sa sœur l’incite à céder aux avances d’un riche soldat américain, Imamura montrant avec crudité un Japon délesté de toutes valeurs, de toute distinction entre le bien et le mal par instinct de survie. Les plus immatures comme Kinta cèdent complètement aux tentations et à l’argent facile quand il est plus difficile dans cette société japonaise machiste d’y résister pour une âme pure comme Haruko. Imamura scrute avec un réalisme frénétique ces bas-fonds qu’il connaît bien puisqu’il bascula un temps à cette vie facile lorsqu’il vécut dans le quartier de Shinjuku entre jeux, alcool et femmes. C’est en voyant L’Ange Ivre d’Akira Kurosawa et le réalisme avec lequel il dépeignait cette fange qu’Imamura quitta cette existence pour intégrer l’industrie du cinéma. 

La mise en scène d’Imamura cède à un chaos de plus en plus insoutenable (la scène de viol où la caméra tourbillonne en plongée comme une 'ellipse à l'horreur) au fur et à mesure de l’avancée du récit. La première scène nocturne montre Kinta rabattre un GI dans une maison close bondée avant que la police n’expulse tout le monde avec un sens du mouvement intense et tout le film tend à exacerber cette ouverture tandis que les personnages basculent. La photo de Shinsaku Himeda oscille entre les ténèbres des ruelles désertes où se règlent les comptes et la grande rue sur éclairée de néons tapageurs de bars où les prostituées aguichent les GI.

Le tumulte représenté par cette urbanité luxueuse et corrompue s’oppose à la misère des mansardes où vivent Kinta et Haruko, leurs familles vindicatives jurant également avec la bienveillance calculée de yakuzas/maquereau qui veulent profiter d’eux. La jeunesse semblent donc clairement plus une victime sacrificiel de l’état du Japon d’alors. Entre l’usine et les yakuzas, pas de voies intermédiaires et une même vie de souffrance même s’il est suggéré que l’entraide pourrait amener de jours meilleurs au pays.

Le final fonctionne également sur cette dualité entre calme et chaos. Après une ultime étreinte apaisée promettant de jours meilleurs pour Kinta et Haruko, la dernière scène déchaîne les visions de cauchemars avec cette nuée de cochons lâchés en pleine ville, engloutissant tout le mal ambiant. L’atmosphère de film noir bascule dans un symbolisme oppressant qui ne laisse aucun espoir de retour. La dernière scène est d’une ironie aussi mordante que tragique avec cette arrivée d’un nouveau régiment de GI haranguant la nuée de japonaises débarquant en ville pour les satisfaire. Ce regard cinglant causera de nombreux problèmes à Shohei Imamura puisque par crainte de représaille le studio l’empêchera de tourner pendant deux ans mais qu’importe : un grand cinéaste était né. 

Sorti en dvd zone 2 français chez Elephant Films

Extrait

jeudi 28 avril 2016

Ice Storm - Ang Lee (1997)


En 1973, à New Canaan, Connecticut, les habitants se préparent à fêter Thanksgiving, mais l'enthousiasme est noyé par les déchirements familiaux : adultère, dépressions, absences, enfants déboussolés… La nuit venue, une tempête souffle, qui recouvre de glace et cristallise toute la ville.

Après sa belle adaptation de Jane Austen Raison et Sentiments (1995), Ang Lee prouvait une nouvelle fois avec Ice Storm sa capacité à explorer des univers forts éloignés de sa Taiwan natale. Le film adapte le roman éponyme de Rick Moody paru en 1994. La veine psychologique et les cadres typiques de l’auteur avec ces banlieues du Connecticut semblent plutôt respecter par Ang Lee dans ce récit choral. On suit au début des 70’s deux familles déboussolées durant une veille de Thanksgiving. La première partie explore les fêlures des protagonistes dans leur quotidien avant que dans la seconde l’isolement provoqué par une tempête fasse exploser un équilibre fragile.

Tout le film interroge une Amérique traditionnelle représentée par ce cadre provincial face aux bouleversements sociaux et politique d’alors – le scandale du Watergate évoqué à la télévision est un fil rouge narratif. Les 70’s ébranlent les modèles du couple et de la famille pour lesquels l’innocence des 50’s semblent bien loin. Les adultes ont du vague à l’âme, ne trouvant satisfaction ni dans le travail ni côté intime, le mal-être des couples Hood (Kevin Kline et Joan Allen) et Carver (Sigourney Weaver et Jamey Sheridan) les poussant vers le non-dit, l’indifférence et l’adultère. Les rapports avec les enfants s’en ressentent, notamment avec le personnage de Kevin Kline. 

Il tente maladroitement d’expliquer les « choses de la vie » à son fils (Tobey Maguire) déjà adolescent et au fait, ne choisit jamais entre fermeté et laxisme dans sa relation avec sa fille (Christina Ricci) et fait preuve d’une réaction exagérément vieux jeu lorsqu’il la surprendra à flirter.  L’atmosphère hivernale cotonneuse semble comme figer et écraser les personnages dans des environnements proprets, le blanc de la neige comme celui des demeures et du mobilier ayant aspiré les couleurs et les émotions. Même la sexualité de cette ère si libertaire donne des séquences sinistres, que ce soit les coucheries entre voisins (perdant leur insouciance pour reprendre une facette domestique montrant des modèles difficiles à bousculer), les rapprochements maladroits des adolescents où une grande soirée échangiste où le partenaire est choisi au hasard de sa paire de clés. 

Le mal-être des adultes se prolonge aux enfants par un saisissant effet de mimétisme (la kleptomanie et Joan Allen et Christina Ricci) dans la même famille ou se reflétant de l’une à l’autre tel Christina Ricci et Sigourney Weaver s’offrant par provocation plus que par désir pour tromper l’ennui. L'inconstance des adultes se conjugue à la maturité précoce des enfants déjà trop lucides et désenchanté. La première partie offre un remarquable portrait de mœurs, froid, impitoyable et étrange – le jeu très perché d’Elijah Wood. Cela se gâte un dans la deuxième, trop empesée dans sa noirceur hormis l’amusante scène où Tobey Maguire voit ses projets de perte de virginité mis à mal. 

Tout le reste force le trait dans l’interprétation, les situations et les rebondissements notamment un terrible drame final. Inscrire la grande tragédie dans un cadre ordinaire n’était pas une mauvaise idée mais jure un peu avec la touche de chronique dépressive dans laquelle baigne le reste du film. Pas inintéressant néanmoins et porté par une interprétation d’ensemble excellente. C’est d’ailleurs un des films les plus célébrés d’Ang Lee puisqu’il remportera le Prix du scénario au Festival de Cannes 1997.

Sorti en dvd zone   français chez Studiocanal