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mardi 23 juillet 2024

Trains étroitement surveillés - Ostře sledované vlaky, Jiri Menzel (1966)

Miloš travaille dans une petite gare de Tchécoslovaquie pendant l'Occupation, lors de la Seconde Guerre mondiale. Tourmenté par sa timidité, il reste paralysé devant la jolie contrôleuse qui pourtant s'offre à lui. Devant cet échec, et désespéré de pouvoir prouver qu'il est un homme, il tente de se suicider.

Trains étroitement surveillés est le premier long-métrage de Jiri Menzel, dont le succès et les récompenses (Oscar du meilleur film étranger en 1967) le placeront en chef de fil de na Nouvelle Vague tchèque au côté de Milos Forman ou Věra Chytilová. Le film est une adaptation du roman de Bohumil Hrabal, écrivain tchèque profondément lié aux plus grandes réussites du réalisateur. Jiri Menzel l’avait en effet déjà adapté dans son segment du film à sketches Les Petites Perles au fond de l'eau (1965, coréalisé avec Věra Chytilová, Jaromil Jireš, Jan Němec et Evald Schorm) puis réitéra avec Alouettes, le fil à la patte (1969), Une blonde émoustillante (1981), Les Festivités du Perce-neige (1984) et Moi qui ai servi le roi d'Angleterre (2006). Le mélange d’humour noir, de provocation teintée d’érotisme et de tendresse caractérisant l’univers littéraire de Hrabal en font une influence majeure de la Nouvelle vague tchèque et plus particulièrement de Menzel.

Ces émotions contrastées se trouve donc dans Trains étroitement surveillés, récit d’apprentissage décalé. La scène d’introduction illustre ce mélange de poids du passé et d’impasse du présent qui fige le jeune Milos (Václav Neckář). Le héros nous énonce en voix-off le passif « glorieux » de ses ancêtres masculins, tous coupables dans leur mélange de feignantise et d’excentricité d’avoir réussi à échapper aux métiers ouvriers les plus laborieux. Ces pensées le traversent alors qu’il est revêtu par sa mère de l’uniforme jadis porté par son père, fraîchement retraité dont il s’apprête à reprendre le poste dans une petite gare. Milos ressent ainsi le poids d’une lignée pourtant peur recommandable, tandis que les modèles masculins qu’il va fréquenter au sein de son cadre de travail le sont tout aussi peu.

Hubicka (Josef Somr), le sous-chef de gare qui va le prendre sous son aile est en effet un séducteur invétéré dont les prouesses intimide notre héros. Un contexte ambigu participe implicitement à l’anxiété de Milos. L’histoire se déroule durant la Deuxième Guerre Mondiale, alors que l’Allemagne nazie occupe la Tchécoslovaquie. Le modèle de virilité masculine rêvé est ainsi contredit par un pays vaincu, voire ridiculisé (le flashback familial de l’oncle ayant cherché à stopper les chars allemands grâce à son pouvoir d’hypnotiseur) tandis que le cadre de la gare offre un microcosme de la situation en voyant les trains chargés de cargaisons et soldats allemands traverser librement les lieux. Milos est ainsi partagé entre un climat de concupiscence stimulé par des hommes virils mais aussi des femmes ardentes, et la frustration d’autres se réfugiant derrière l’église et la morale pour fustiger les plaisirs dont ils sont privés – géniale séquence nocturne où le chef de gare hurle son aigreur alors que Hubicka s’apprête à conclure.

Jiri Menzel trace une nette différence entre le climat hédoniste dont Milos reste l’éternel spectacteur – l’orgie entre les infirmières et les soldats, la main baladeuse entre l’oncle photographe et ses modèles féminins peu farouches – et la timidité voire la tétanie qui le frappe quand il s’agit de se lancer, ne serait-ce que pour un baiser avec sa fiancée contrôleuse Macha (Jitka Bendová). Menzel filme ces moments à travers un onirisme suspendu et une ironie apportant leur lot de vision surréalistes. Il n’en oublie cependant jamais la profonde souffrance de Milos dont le dépit va le conduire à quelques actions extrêmes qui estompe toute moquerie possible, qui ravive notre empathie quand le ton se fait trop rigolard.

Les différentes lignes narratives et thématiques fustigeant ce virilisme intimidant finissent par se rejoindre de façon habile. Il y a tout d’abord les « exploits » de Hubicka qui le confronte enfin de façon menaçante à l’opprobre morale, avec un hilarant sens de l’ironie dans le dévoilement fessier de sa victime « étudié » par les censeurs. Mais plutôt que de tourner à vide pour la seule autosatisfaction du plaisir charnel, « être un homme » rejoint aussi une sorte d’idéal héroïque pour Milos. Cela s’incarne par une séduisante messagère livrant une bombe destiné à faire sauter un train allemand, et qui va se charger de déniaiser enfin le jeune homme. Les peurs s’estompent, tout fait sens et Milos peut enfin lâcher prise et s’abandonner le temps d’une nuit.

Mais devenir un homme et quitter les rives de l’enfance, c’est aussi être rattrapé par les soubresauts du monde des adultes comme il va le comprendre à ses dépens. Trains de nuit étroitement surveillés est une œuvre passionnante qui placera Jiri Menzel sur l’échiquier cinématographique mondial, mais dont l’ascension sera malheureusement stoppée par la fin du Printemps de Prague.

Sorti en dvd zone 2 français chez Malavida


 

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