Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

Pages

jeudi 4 juillet 2024

Le Kid de Cincinnati - The Cincinnati Kid, Norman Jewison (1965)


 Eric Stoner, surnommé le « Kid de Cincinnati », est un as du poker de La Nouvelle-Orléans. Shooter, son manager, contacte un organisateur de tournoi, Slade, pour mettre sur pied une rencontre au sommet entre lui et le vieux Lancey Howard, un maître incontesté et reconnu du poker.

 Le Kid de Cincinnati est la dernière (avec Nevada Smith de Henry Hathaway et La Canonnière du Yang-Tse de Robert Wise l’année suivante) interprétation de Steve McQueen dans un emploi de « rookie », de jeune chien fou et/ou arrogant se heurtant à une certaine réalité du monde. Avec le succès de Bullitt et L’Affaire Thomas Crown (les deux en 1968) viendra le temps du mâle alpha séducteur et charismatique dont se dessinaient déjà les contours dans ses rôles précédents. Il interprète ici le « Kid », jeune surdoué du poker cherchant à se faire une place au somment en affrontant Lancey Howard (Edward G. Robinson), maître vieillissant mais indéboulonnable du jeu.

Le film fut pour Norman Jewison l’occasion de sortir des comédies pour lesquelles il était identifié en début de carrière, pour le mettre sur les rails de productions plus ambitieuses pour les années à venir. Il remplace un Sam Peckinpah (qui retrouvera McQueen pour Junior Bonner et Guet-Apens) qui débuta le tournage mais fut renvoyé au bout de quelques jours. Son choix de filmer en noir et blanc (afin de donner une patine années 30 en rapport avec la période de l’intrigue) et de corser la facette érotique irrita le producteur Martin Ransohoff qui fit le choix de le congédier. Le scénario est construit sur une longue mise en place des personnages et enjeux avant de déboucher sur un haletant climax voyant le duel entre le Kid et Lancey. Le trio de personnages principaux articule une dynamique observant les différents stades de la carrière d’un joueur de poker.

Le Kid végète encore dans les bas-fonds (la partie d’ouverture virant au pugilat) malgré une réputation qui le précède, et son ambition démesurée vacille encore face à la tentation d’une vie amoureuse plus apaisée auprès de la douce Christiane (Tuesday Weld). McQueen exprime très bien ce mélange de froideur et de douceur, le petit ami tendre pouvant basculer en un instant dans une raideur glaciale si les attentes de son aimée font obstacles à ses projets. Le mentor Shooter (Karl Malden) est une sorte de projection d’un avenir raté pour le Kid, déclassé depuis une défaite humiliante face à Lancey et mal marié à Melba (Ann-Margret), femme légère semblant avoir jeté son dévolu sur lui en des heures plus glorieuses. L’environnement faussement luxueux et étriqué du couple, leur manque de communication, semble tisser le futur d’une union née dans le milieu vicié et insincère du poker. Enfin nous trouvons Lancey, détaché de tout et dévoué à son art, filmé par Jewison dans un alliage de prestance et de solitude (le long plan le figeant seul à l’image avant la partie alors que le Kid vient de saluer toute l’assemblée chaleureusement). Il s’est délesté avec l’âge des dernières tentations susceptibles de le distraire (la tirade au Kid sur la gêne que représente les femmes et une relation suivie), et n’existe désormais plus que pour briser ses adversaires, puis les écraser de son dédain à coups de bons mots.

Jewison resserre progressivement le cadre du récit, comme pour nous faire évoluer justement entre les possibles que représentent les trois personnages, leur rapport au monde. L’énergie cosmopolite et l’urgence de la Nouvelle-Orléans par le prisme de ses rues, ses salles de jeux grouillantes passent par le Kid. Les frustrations et les égos meurtris s’agitent dans l’intimité du foyer pour Shooter et Slade (Rip Torn), nanti ne pouvant étendre sa domination de classe sur la table de poker. Le huis-clos final nous fait entrer dans le pur monde du jeu, des faux-semblants et du duel que l’on pense appartenir à tous les protagonistes, mais qui est avant tout celui-de Lancey. Norman Jewison signe un morceau de bravoure virtuose où les rudiments de poker suffisent à la compréhension, le bluff et l’intimidation manifeste passant par la gestuelle, les jeux de regards, hésitants pour certains et froid jusqu’à la déshumanisation pour d’autres. Les voix et regard déterminés capturés par Jewison expriment tout l’ascendant du Kid et Lancey sur leurs faire-valoir, avant que la table n’appartienne plus qu’à eux.

Les cadrages, le montage et l’intensité sobre de McQueen font passer toute une gamme d’émotion avec peu, notamment les micros-évènements qui amènent le Kid à soupçonner Shooter de fausser la partie. La dernière main fait basculer la table en véritable espace mental, la photo de Philip H. Lathrop estompant les contours de la pièce pour ne plus qu’éclairer les visages captivés par le spectacle et y projetant leurs propres névroses. Jewison nous avait en réalité habilement préparé à l’issue - le Kid ayant perdu de sa « pureté » initiale tout en ne se pliant pas à l’ascétisme de Lancey - mais celle-ci s’avère néanmoins implacable, faisant tomber de son piédestal l’un des deux joueurs – appuyé par la tournure différente de l’énième jeu avec le jeune laveur de chaussure. Entre le rookie, le raté et le vieux sage, quelle est l’étape suivante attendant le Kid ? La question reste ouverte lors de la conclusion sobre. 

Sorti en bluray français chez Warner

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire