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lundi 14 juillet 2025

La Sorcière sanglante - I Lunghi capelli della morte, Antonio Marghereti (1964)

 Au XVIe siècle, Adèle Karnstein est condamnée au bûcher, accusée d’avoir tué le comte Franz. Sa fille aînée, Helen, tente de la sauver en accordant ses faveurs au comte Humboldt, en vain. Avant de mourir, devant les yeux de sa plus jeune fille, Elizabeth, Adèle lance une terrible malédiction.

La Sorcière sanglante est une des plus belles réussites du cinéma gothique italien des années 60, et un des sommets d’Antonio Margheriti. Comme bien d’autres stakhanoviste du cinéma d’exploitation italien, Margheriti a œuvré dans tous les genres au gré de leur popularité auprès du public local, mais va réellement trouver l’écrin idéal à son talent dans le cinéma gothique. L’impact sera tel que nombre de ses œuvres hors de ce corpus en seront marquées formellement comme sur le western Avec Django, la mort est là (1968). La Sorcière sanglante est le troisième volet d’une trilogie gothique informelle du réalisateur venant après La Vierge de Nuremberg (1963) et Danse macabre (1964), ce dernier ayant déjà la grande Barbara Steele en tête d’affiche.

La Sorcière sanglante reprend nombre d’éléments thématiques et narratifs de ces précédents films, ainsi que de certains archétypes du gothique italien installés avec le succès des fondateurs Les Vampires de Riccardo Freda (1957) et surtout Le Masque du démon de Mario Bava (1960), mais aussi par la présence au scénario de Ernesto Gastaldi – à l’œuvre sur des classiques comme Le Corps et le fouet de Mario Bava (1963) ou L’Effroyable Secret du docteur Hichcock de Riccardo Freda (1962). Il semble néanmoins qu’en dépit d’éléments très codifiés, Margheriti ait souhaité faire un léger pas de côté, procéder différemment de ses essais antérieurs. Ainsi la scène d’ouverture s’ouvre sur l’exécution inquisitrice d’une sorcière dont la malédiction va poursuivre ses assassins. Cependant, Adèle Karnstein (Halina Zalewska) la triste victime, s’avère innocente et meurt atrocement sous les yeux de sa fille cadette Lisabeth. 

Margheriti entremêle Eros et Thanatos par un montage alterné magistrale durant lequel les cris de souffrance et la chair calcinée d’Adèle s’entremêle aux gémissements étouffés de Mary (Barbara Steele), sa fille aîné cédant au désir du Comte Humboldt (Giuliano Raffaelli) pour qu’il accorde la grâce à sa mère. Les chairs subissent l’assaut des flammes et la souillure du violeur auprès de deux générations de femmes, schéma amené à se reproduire de manière plus « officielle » plus tard par le mariage forcé de Lisabeth adulte (Halina Zalewska dans un double rôle) avec Kurt (George Ardisson), le fils du comte à l’origine de tous les drames. Margheriti poursuit son entreprise ambiguë en filmant avec une véritable sensualité ce qui est un viol conjugal, et en laissant entendre qu’Elisabeth en a ressenti un plaisir coupable.

Cette dualité va se poursuivre ensuite sur plusieurs pans du film. Ce dernier est d’un côté un récit explicitement fantastique, et de l’autre travaille davantage une dimension psychanalytique par laquelle les éléments supposés surnaturels pourraient tout à fait être issus de la peur et culpabilité de Kurt face à ses actes. Les passages secrets, alcôves poussiéreuses, apparaissent alors autant comme des gimmicks gothiques que les méandres d’un esprit anxieux et torturé. Pendant longtemps le rôle de fille ressuscitée et séduite de Barbara Steele semble de trop, comme un élément de trop simplement présent pour s’assurer la présence de la star du genre. En effet la scène d’ouverture suggère que le scénario va reproduire le schéma de La Masque du démon, mais Margheriti parvient à un résultat plus iconoclaste. Le film est un grande partie un drame historique lorgnant davantage sur Le Château des amants maudits de Riccardo Freda (1956), notamment en tenant compte de l’opposition entre le peuple et la noblesse durant l’épidémie de peste. La revanche des opprimés, et plus particulièrement des femmes, se fait en punissant les nobles à travers leurs vices.

Le personnage de Barbara Steele personnifie cette intention, dès une apparition iconique en diable lorsqu’elle pétrifie par sa seule présence le comte à sa vue. Le vieillard connaît une mort foudroyante, quand la vengeance envers son fils sera bien plus sordide. Un des marqueurs les plus forts de Margheriti dans ses films gothiques repose sur un goût pour la putréfaction, un attrait pour les chairs à vifs et malmenées. On est frappé par le sens du détail morbide lors de la scène du bûcher, plus tard durant la résurrection de Mary dont on observe les moindres détails organiques. Ce sens du macabre joue également sur les deux tableaux, l’aspect psychanalytique s’affirmant lorsque le comte croit voir le cadavre décrépi de son frère respirer alors qu’il s’agit simplement de rats traversant ses entrailles. Au contraire la fin du film en révélant la vraie nature de Mary expose un vrai cadavre « zombiesque » qui nous scrute bel et bien, et reprend à rebours le motif initial d’Eros et Thanatos pour susciter un dégoût vengeur faisant glisser Kurt dans la folie.

L’approche cérébrale et relativement « réaliste » se superpose au pur fantastique par cette cohérence thématique, ces personnages troubles, et le charisme d’une Barbara Steele qui a rarement dégagée une présence aussi menaçante et érotique. Alors qu’en cette année 1964, le western est sur le point de devenir le nouveau filon du cinéma d’exploitation italien, La Sorcière sanglante est un bel aboutissement du film gothique.

Sorti en bluray français chez Artus Films 

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