Réputé pour sa sécurité infaillible, la société de convoyeurs de fonds Darcy vient pourtant de subir un violent braquage. Une lettre anonyme annonçant un nouveau braquage sème le trouble au sein de la compagnie. D'où viennent ces menaces ? D'un salarié modèle, d'un nouvel employé trop propre sur lui ? D'un parrain local ou d'un flic corrompu…
Parmi les nombreux classiques et films cultes issus de la Nouvelle Vague australienne, le polar est un genre étonnamment sous représenté puisque L’Attaque des fourgons blindés fait figure d’exception dans ce beau corpus. C’est après la réalisation de The Getting of Wisdom, récit d’apprentissage féminin dans un pensionnat de jeunes filles, que naît chez Bruce Beresford l’envie d’alterner avec une œuvre plus nerveuse. Il va trouver matière avec le roman le roman The Money Movers de Devon Minchin, publié en 1972. Baroudeur aux multiples expériences, pas toujours dans la légalité, Devon Minchin s’inspirait justement dans son roman de la période où il fut le patron d’une société de convoyeurs. L’aura trouble autour de l’auteur vient notamment du fait que quelques mois après avoir revendu sa compagnie, celle-ci fut victime d’un braquage et, bien qu’il ne fût jamais inquiété, les mauvaises langues attribuèrent l’écriture du roman à une volonté « d’alibi » explicitant son innocence.
Ce passif justifie en tout cas la rigueur documentaire, tant dans le fonctionnement que la caractérisation des personnages, avec laquelle Beresford nous immerge dans ce corps de métier. Le réalisateur s’attache là à dépeindre crûment certains pans de la société australienne. Le polar était certes absent des écrans de cinéma, mais s’inscrivait bel et bien via la télévision dans le quotidien des spectateurs locaux, notamment une série au long cours comme Homicide, diffusée entre 1964 et 1977. L’image proprette et vertueuse montrée de la police était cependant bien éloigné de la réalité du pays, rongée par la corruption et balayée de nombreux scandales. Le microcosme de la société de convoyeur reflète cela, en étant notamment composé de nombreux employés anciens fonctionnaires de police, et échoués là pour des raisons douteuses. Ce climat se ressent très vite à travers certains personnages authentiquement véreux le policier Sammy Rose (Alan Cassell) en charge de l’enquête sur les braquages, d’autres bannis et piégé au contraire pour leur probité tel Dick Martin (Ed Devereaux), et certains à cause de leurs mœurs comme Jack Henderson (Bud Tingwell), homosexuel. Sur ce dernier point, le film allie parfaitement sa nature de polar hard-boiled à une certaine problématique masculiniste australienne. Plusieurs films de l’époque dépeignent le climat d’isolation et de solitude stimulant un climat de virilisme débouchant sur des excès de violence où le refoulé gay n’est jamais bien loin. Un film comme Réveil dans la terreur de Ted Kotcheff est emblématique de cela, tout comme les Mad Max de George Miller et Bruce Beresford abordera en partie le prisme historique dans Héros ou Salopards (1980). Ce surplus de testostérone mal dosée installe une atmosphère tendue, toute en intimidation physique, langage ordurier et machiste, via laquelle il est difficile de s’attacher à un personnage. La paranoïa ambiante tient à la menace d’un braquage du centre de dépôt, la possibilité d’un tel acte ne pouvant venir que d’un employé aux noirs desseins. Ce sera bien le cas mais la minutieuse et efficace étude de caractère de Beresford rend la question plus complexe. L’empathie difficile vient de sa soumission de tous les protagonistes aux pans les plus abjects du système. Les braqueurs infiltrés expriment cette veine machiste évoquée plus haut (notamment lorsque le personnage de Brian Jackson (Bryan Brown) affirme n’avoir aucun scrupule à abandonner sa femme une fois le butin acquis), mais sont également acteurs et victimes d’un capitalisme carnassier. Démasqués dans leur plan, ils vont devoir en faire profiter un parrain local tout comme une petite entreprise subirait l’OPA hostile d’une grande corporation - le raffinement recherché par les mafieux les rapprochant d’ailleurs de magnats de la finance. Cette logique sans scrupules intervient à toutes les strates : le chef syndicaliste fait partie des braqueurs et usera de ses prérogatives lors du méfait, l’attachant et gauche convoyeur Leo Basset (Tony Bonner) s’avérera un espion mandaté par les assurances, et lui-même sera manipulé par une jeune femme n’hésitant pas à user de ses charmes. L’écrasement de l’autre la masculinité et/ou le pouvoir de l’argent se caractérise dans le film par une violence sèche et décomplexée. Tout est bon pour impressionner et effrayer par l’intimidation physique (Brian Jackson jouant les cow-boys pour corriger des voleurs de voiture), soumettre l’autre par la torture – éprouvante scène de coupage d’orteils – et en définitive obtenir son dû par la gâchette facile. Bruce Beresford se montre particulièrement inspiré pour filmer les empoignades nerveuses dans des chorégraphies chaotiques. Les impacts sont brefs, sanglants et douloureux durant des gunfights cherchant l’urgence plutôt que l’emphase, notamment durant un climax étonnamment confiné où le réalisateur se montre très inspiré. Avant l’explosion finale, le montage alterné accompagnant tous les protagonistes fait monter la tension avec brio. Le miroir sans doute trop crû tendu à la société australienne suscitera l’échec public et critique du film, prenant au pied de la lettre ses provocations. L’Attaque des fourgons blindés a heureusement depuis gagné ses galons cultes (on peut soupçonner un Nicolas Boukhrief de l’avoir vu pour son excellent Le Convoyeur (2003) d’autant que le Beresford est sorti en VHS dans les années 80 et aurait pu passer sous les yeux de l’ancien rédacteur de Starfix) et mérité la place qui lui est dû, celle d’un grand polar. La carrière australienne de Bruce Beresford, loin de sa période hollywoodienne plus convenue, regorge décidément de trésors.Sorti en blura français chez Badlands
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