Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

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vendredi 22 août 2025

Fantasmes - Gojitmal, Jang Sun-woo (1999)

 Y, lycéenne de dix-huit ans, s’est promis de perdre sa virginité avant d’entrer à l’université. Sa meilleure amie, Ouri, a le béguin pour J, un sculpteur marié de trente-huit ans. Immédiatement séduite par le son de sa voix au téléphone, Y lui propose de se retrouver pour faire l’amour. Une forte attirance naît entre eux dès leurs premiers ébats. Auprès de sa jeune maîtresse aux désirs insatiables, J va laisser libre cours à ses pulsions sadomasochistes…

Jang Sun-woo, réalisateur phare du mouvement démocratique coréen, se trouve à une place privilégiée en cette fin des années 90. Plébiscité par le public et salué par la critique, il est cependant à la recherche d’un projet propre à bousculer un nouvel ordre en apparence plus libre, notamment en testant les limites du nouveau système de censure. Il va trouver le matériau idéal en adaptant un roman à scandale de Jang Jung-il, auteur sulfureux dont l’ouvrage en question, publié en 1996, lui valut plusieurs mois de prison pour sa teneur dérangeante.

Le titre original du film, Gojitmal, signifie « Mensonges » et par ce biais Jang Sun-woo installe une note d’intention volontairement confuse. Ainsi ce n’est pas forcément l’argument initial (la liaison torride entre un homme adulte et marié avec une lycéenne) qui s’avère le plus déroutant, mais son déroulement et la matière dont il est mis en scène. Fuyant les schémas culpabilisant, moralisateurs et accusateurs, le réalisateur orchestre la première rencontre la jeune Y (Kim Tae-yeon) et le mûr J (Lee Sang-hyun) selon un motif totalement trivial. Séduite par la voix de J au téléphone, dont son amie Ouiri est amoureuse, Y décide d’aller à sa rencontre par pur désir et défi. La forme sous laquelle nous est présentée les évènements désarçonne également. 

Le réalisateur instaure une mise en abyme dans laquelle face à une caméra DV les acteurs partagent leurs impressions quant aux thèmes du film (Lee Sang-hyun durant la scène d’ouverture) ou leur appréhension face aux scènes érotiques qu’exigera le récit. Ce procédé supposé installer une vérité documentaire n’est pas nouveau, et a d’ailleurs été remis au goût du jour quelques années plus tôt par Stanley Kwan et son Center Stage (1990). Le réalisateur poursuit pourtant sa manœuvre déstabilisante en mettant en scène l’émotion de coulisses éprouvante lors d’une séquence s’interrompant pour révéler son dispositif, ses répétitions avant de reprendre son cours dramatique, de nouveau dans un régime esthétique différent.

La veine romanesque offre un contrepoint s’appuyant sans doute sur le livre, tandis que des panneaux elliptiques révèlent le temps qui passe durant cette relation torride, mais exprimant implicitement un ton plus froid. Tous ces artifices reposent sur des expérimentations passées de Jang Sun-woo (notamment sur Bad Movie (1998)) poussées ici à leur paroxysme, mais aussi une continuité thématique. La lâcheté ordinaire et le machisme du protagoniste masculin dans A Short Love Affair (1990) laissait la romance adultère se faire rattraper par les contingences sociales et l’ordre moral. Contrairement au couple de A Short Love Affair, celui de Fantasmes ne se projette pas, n’espère pas une union plus officielle, mais pourtant défie tous les obstacles et tabous frontalement. Le seul et unique objectif repose sur les retrouvailles pour une prochaine étreinte torride et délicieusement douloureuse.

Le choc des scènes de sexe en partie non simulées ne tient d’ailleurs pas à cet outrage, mais plutôt à l’abandon décomplexé de ces instants. Alors que la première rencontre correspond au dépucelage de Y, celle-ci réclame et obtient un coït rugueux qui passe très vite aux choses « sérieuses » avec des pratiques plus audacieuses. Les prémices de la rencontre ont certes désamorcé la notion de prédation de l’adulte sur la mineure, mais les premières scènes de sexe pourraient néanmoins entretenir cette idée. Pourtant en se prolongeant à la majorité et l’entrée à l’université de Y, la dynamique s’inverse avec des pratiques sadomasochistes désormais infligé par la cadette du couple. 

Le réalisateur n’a de cesse de briser l’idée de « cinéma-vérité » que pourrait se faire le spectateur face à la crudité et l’absence d’esthétisation des scènes de sexe. La première multiplie les micros-ellipses et les cuts de montage, une autre à la sauvette dans un lieu public se fait en accélérant l’image. Plutôt que le coït en lui-même, Jang Sun-woo étire le temps dans les scènes sadomasochistes, laissant monter une tension ambiguë entre douleur et plaisir lors des coups que s’assène le couple avec des « instruments » de plus en plus impactant sur les chairs.

Le réalisateur par cette forme, narration et tonalité incertaine veut faire partager la défiance de ses personnages n’entrant dans aucune case. Leurs excès les font devancer et briser les attentes que la société leur réclame, qu’un système leur dicte. Y va ainsi avouer à J qu’elle lui a cédé car elle voulait expérimenter le sexe par elle-même, avant qu’il lui soit imposé par le viol comme ses deux sœurs aînées. Quant à J, les « punitions » infligées par son amante le font régresser avec nostalgie en enfance, loin des responsabilités que lui réclame le monde moderne (et plus particulièrement la société coréenne) en tant qu’homme. 

Les renoncements matériels et humains (J pour sa maison, son métier, Y face à un frère aux instincts protecteurs tout patriarcaux) participent à défi sensuel et provocateur face aux diktats de la norme. Le film provoquera évidemment un scandale proche de celui du livre, mais remportera un certain succès car s’inscrivant dans un courant plus vaste d’œuvres coréennes d’alors cherchant à bousculer sur cette question du sexe. C’est presque un chant du cygne pour Jang Sun-woo dont c’est l’avant-dernier film, et qui laissera alors la lumière à la génération de Park Chan-wook, Bong Joon-ho.

Sorti en bluray français chez Carlotta

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