Tony Manero, un jeune
New-Yorkais italo-américain de 19 ans, tente d'agrémenter sa morne existence
dans son quartier de Brooklyn grâce à ses talents de danseur en se rendant
chaque samedi soir dans une boîte disco où il est le roi de la fête.
En ce milieu des années 70, le disco est un phénomène
partagé entre un succès commercial croissant et une dimension encore underground
à travers la faune hétéroclite venant se déhancher en club. Le journaliste et
critique musical Nik Cohn va signer en 1975 dans le New York Magazine l’article Tribal
Rites of the New Saturday Night, véritable manifeste anthropologique du
mouvement. Le producteur Robert Stigwood, en quête d’un projet apte à lancer
son poulain John Travolta (déjà populaire à la télévision pour la série Welcome Back, Kotter) tombe sur
l’article et décide de produire un film sur cette base. Cette source s’avérera
pourtant fausse puisque Nik Cohn avouera quelques années plus tard avoir tout
inventé, retranscrivant dans le milieu disco de vraies anecdotes issues du
phénomène Mod anglais des 60’s. Le scénariste Norman Wexler s’attèle ainsi à un
script qui sorti des atours culturels du disco, se trouve être assez universel
dans ces questionnements et plus proche d’un Rocky (1976) que de la superficialité kitsch dans laquelle on range
parfois le film – du moins ceux qui ne l’ont pas vu.
Le film s’ouvre sur une vue aérienne de New York qui
s’approche bientôt du quartier de Brooklyn. C’est là que déambule sur le rythme
de Stayin’ Alive le jeune Tony Manero
(John Travolta), fier comme un coq et lorgnant les jeunes femmes passant sous
ses yeux. Ce bel élan est atténué lorsqu’il arrive à destination et que l’on
découvre son modeste emploi de vendeur de peinture. Cette entrée en matière
constitue une métaphore du film où l’éclat du héros est ramené sur terre par
cet environnement modeste de Brooklyn. Tony se sent médiocre par rapport à son
milieu social, son quartier, dans sa famille face à son frère aîné entré dans
les ordres. Le seul lieu où il devient soudainement un dieu regardé avec
admiration par les hommes et adulé par les filles, c’est la piste de danse du
club 2001 Odyssey. Le jeune homme
pataud et complexé glisse soudain avec grâce et assurance sur les martèlements
de caisse claire, chevalier de la piste vêtu d’une armure moulante savamment
choisie lors d’une scène mémorable. John Badham capture toute la grandiloquence
bariolée de ces instants, notamment par le superbe plan-séquence qui accompagne
l’entrée de Tony et ses amis dans la discothèque. Le film offre donc un
contraste constant entre la démesure des pistes de danses et la nature terne du
réel - cette transition saisissante où l'on passe de de la grandiloquence dionysiaque du club à l'exiguïté de la chambre de Tony.
Cette médiocrité s’avère touchante tant dans le complexe
d’infériorité de Tony que celui de supériorité de la snob Stéphanie (Karen Lynn
Gorney), mythomane s’inventant une vie de strass dans son job de Manhattan. La
force du récit tient en son authenticité et si la famille traditionnelle
italienne n’est pas dénuée de clichés, l’opposition père/fils illustrant
l’aigreur du parent et la vision d’un avenir peu reluisant pour sa progéniture
fonctionne en une poignée de scènes. Sans le refuge de la danse, le besoin de
reconnaissance de Tony passe par une attitude machiste discutable. La
différence avec ses camarades, c’est qu’il en est conscient et ce tiraillement
tient dans l’interprétation de John Travolta.
Tour à tour réticent puis en
demande d’une admiration/soumission féminines (la relation amour/haine avec
Annette, les coucheries sur la banquette arrière), Tony est un être en quête
d’ailleurs et d‘attention (magnifique moment de Travolta au bord des larmes
quand Stéphanie lui témoigne enfin de l’affection). Chaque démonstration de
vulnérabilité succède à une autre de virilité mal placée et inversement,
expression de l’incertitude du héros entre les codes de la rue et ses
aspirations. Si certains aspects ont vieillis (la partie guerre des gangs),
l’étude de caractères fonctionne réellement, dans la visions des codes
machistes donc, mais aussi le racisme sous-jacent de cette communauté
italo-américaine (envers les noirs et les hispaniques) et la relation
contradictoire à la religion – la culpabilité d’un personnage d’envisager
l’avortement pour sa petite amie enceinte.
John Badham livre son lot de visions iconiques, à la fois
dans l’émotion contemplative (cette observation chargée d’espoir du pont de
Brooklyn) et surtout l’ivresse de la danse. La photo diaphane de Ralf D. Bode
baigne d’un halo féérique les pas de danse chaloupés où Badham capture
l’hédonisme collectif et la célébration de l’égo de Tony. Contre-plongées sur
dandinement de postérieur, travelling virtuose accompagnant les mouvements les
plus audacieux et plans d’ensemble majestueux, Badham fond les codes de la
comédie musicale dans le disco et décuplera ainsi sa popularité mondiale.
L’extraordinaire bande-son des Bee Gees (qui avait amorcé ce virage disco avec
leur deux albums précédents) parvient à exprimer la furie dansante avec You should be dancing comme le
romantisme dans More than a woman ou How deep is your love, tout en
distillant une mélancolie palpable dans Stayin’
alive (au texte plus sombre et profond qu’il n’y parait). Cet ensemble
forme un tout qui contribuera à l’immense succès du film où l’on capture les
questionnements d’une jeunesse bien au-delà de l’argument disco initial,
notamment dans la conclusion douce-amère.
Sorti en bluray et dvd zone 2 français chez Paramount
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