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mardi 25 décembre 2018

The Blade - Dao, Tsui Hark (1995)


L'histoire se situe en Chine, au Moyen Âge. Un jeune forgeron, Ding On, en apprenant la mort tragique de son père, décide de retrouver le meurtrier de celui-ci. Malheureusement, attaqué par un groupe de bandits, il perd un bras. Retrouvé par une jeune fille qui le ramène dans une ferme isolée, notre héros met alors au point une nouvelle technique de combat très rapide et particulièrement violente pour compenser son handicap.

La tradition ou la modernité, le passé ou le présent, le classicisme ou l’expérimental soit autant de questionnements formels et thématiques qui agitent Tsui Hark tout au long de sa filmographie. Cela se fait parfois en réaction d’un film à l’autre où au sein d’une même œuvre. C’est la première solution qui prévaut au moment où Tsui Hark réalise The Blade. Il considère s’être installé dans une forme de routine et confort dans sa manière de filmer, notamment avec la saga des Il était une fois en Chine (qui en est déjà à son cinquième volet à ce moment-là) qui a imposée de nouveaux standards au film martial avec ses chorégraphies gracieuses, stylisées ainsi que ses combats câblés.

Tsui Hark décide donc de bousculer ces certitudes avec The Blade. Comme souvent avec lui, le renouveau s’inscrit dans une figure classique qu’il va se plaire à révolutionner. The Blade et son sabreur manchot est ainsi une relecture de la trilogie des One-Armed Swordsman signé par Chang Cheh au sein de la Shaw Brothers. C’est une des figures majeures du cinéma martial hongkongais que Chang Cheh a exploité dans un puissant film de vengeance avec Un seul bras les tua tous (1967), revisité par un beau ludisme guerrier dans Le Bras de la vengeance (1969) puis poussé à un excès graphique mémorable mais diluant l’émotion et la nature sacrificielle avec le culte La Rage du tigre (1971).

Tsui Hark s’approprie donc le mythe et bouscule les codes contemporains qu’il a contribué à instaurer par une approche visuelle façon cinéma-vérité. L’univers fantasmé de chevalerie noble de la Shaw Brothers tout comme le contexte historique des Il était une fois en Chine laissent place à un Moyen Age incertain et barbare - l’heroic fantasy n’est pas loin avec le physique autre de certains sbires comme cet homme au visage enfariné à la langue hypertrophiée accentuant son sadisme. Cette violence s’exprime donc par un filmage sur le vif et chaotique traduisant le sentiment de danger permanent où la mort peut surgir à tout moment. A l’image du héros Ding On (Chiu Man-Cheuk), nous ne sommes que les spectateurs impuissants de la tyrannie d’un monde sans merci, où la moindre velléité héroïque est tuée dans l’œuf (le moine corrigeant un groupe de bandit avant d’être brutalement assassiné à son tour). Ding On est un personnage inaccompli par ses origines au départ inconnues, par la mutilation de son corps lorsqu’il aura le bras tranché et par le sabre brisé de son vrai père mort en le sauvant enfant. 

Cette idée se prolonge avec le manuel d’arts martiaux à moitié calciné qu’il va trouver, le forçant à un apprentissage autodidacte et incomplet. De tous ces fragments intimes et physiques pourra ainsi naître une identité propre et le guerrier qu’il aspire à être. Cette idée de collage traduit la différence avec le traitement des One-Armed Swordsman où une logique narrative, filmique et corporelle guidait le parcours du héros, la manière de dompter son handicap où le sabre serait désormais un prolongement de son bras amputé. L’approche purement sensitive de Tsui Hark joue dans la progression viscérale de l’intrigue où chaque évolution des personnages obéit à un sentiment primaire tel que la douleur, le désir ou la vengeance. Cette simplicité se teinte d’une certaine complexité avec la tentation du mal de Tête d’acier (Moses Chan) rongé par le désir pour une prostituée (Valerie Chow).

Le chaos présent à l’écran a également été savamment instauré par Tsui Hark pour parvenir à ce résultat. Le scénario fut écrit sans dialogues, seules les intentions et sentiments des protagonistes étant donnés aux acteurs forcés d‘improviser leurs répliques. Le filmage des joutes martiales se fit sans les artifices habituels (câbles, doublures) et forçant les acteurs à réaliser eux-mêmes la moindre prouesse physique. Le but n’était plus de penser le combat pour sa mise en valeur par la caméra, mais produire une frénésie que cette caméra s’efforcerait de suivre dans un style documentaire et sur le vif. Le résultat s’avère stupéfiant avec sa caméra à l’épaule aux cadres incertains d’où rentrent et sortent les protagonistes dans une totale anarchie, par un montage sensoriel (déjà expérimenté dans les Il était une fois en Chine mais plutôt dans une suspension d’incrédulité alors qu’ici il s’agit de traduire une confusion réaliste) et une violence dont l’impact se trouve décuplé. 

Le chaos est d’abord subit avec Ding On et sa gestuelle désordonnée pour échapper à ses poursuivants lors de la scène où il perd son bras (ou encore celle où il est torturé puis sa cabane brûlée). Ce désordre est ensuite imposé par notre héros avec, sous l’hystérie, une vraie logique de montage et de mise en scène pour accompagner la dynamique de ses mouvements, l’impact de ses coups dévastateurs et sa rage enfin extériorisée. L’esthétique chatoyante et bigarrée de ses succès récents (Green Snake (1993) ou The Lovers (1994)) vole en éclat face à ce traitement frontal où notamment la lumière se réduit au strict nécessaire. Le tournage fut une rude épreuve pour les équipes techniques si épuisées que Tsui Hark (lié aussi par les contraintes économiques de production) selon lui n’approcha qu’à moitié son parti pris initial (Time and Tide (2000) se chargerait de compléter le tableau).

Tsui Hark inscrit cette volonté de destruction/reconstruction au cœur des thématiques du film. The Blade est une redéfinition d’une icône du cinéma martial hongkongais et une manière (une fois de plus pour Tsui Hark) d’écrire le futur en s’appuyant sur la tradition. Ding On par la façon non conventionnelle d’acquérir ses aptitudes incarne aussi un renouveau, celui de ne plus plier l’échine face à la barbarie et d’une génération capable de venger ses ancêtres. La voix-off de la belle Fei Lung (Sonny Song) apporte une forme de hauteur philosophique et candide au récit tandis que le méchant incarné par Hung Yan-yan par sa malveillance quasi animale symbolise le pendant déloyal de cette révolution – ses bottes secrètes traitresses opposées à la réinvention martiale de Ding On.  Tsui Hark signe là un de ses chefs d’œuvre et parvient à une nouvelle et brillante mue - malheureusement échec à sa sortie.

Sorti en dvd zone 2 français chez HK Vidéo

 

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