A la fin du XIXe
siècle à Fa Shan, en Chine du Sud. Tandis que les puissances coloniales
européennes et américaines s'y affrontent pour le contrôle du commerce
maritime, les premiers signes d'occidentalisation commencent à percer dans la
société chinoise. Dans ce climat politique tendu, Wong Fei-hung, docteur en
médecine chinoise, maître de kung-fu et chef instructeur de l'armée du Dragon
noir, est chargé par le commandant Lau de maintenir l'ordre durant les guerres
qui éloignent ses troupes de la région, afin de sauvegarder ce qui reste de
paix et de stabilité.
En créant sa société de production Film Workshop, Tsui Hark
avait trouvé la formule magique du succès après des débuts compliqués. Jeune
chien fou de la Nouvelle vague (au côté de Ann Hui, Yim Ho et quelques autres),
Tsui Hark avait cherché à bousculer les genres et/ou les mœurs avec des films
trop extrêmes et anticonformistes comme Butterfly
Murders (1979) ou le très féroce L’Enfer
des armes (1980). Devenu producteur malin et avisé, Tsui Hark fera
désormais toujours passer ses velléités modernistes par le prisme d’un élément
traditionnel de la culture et/ou du cinéma hongkongais. L’incursion dans le
polar du Syndicat du Crime (1986) de
John Woo use des codes film de chevalerie chinois, le conte Histoires de Fantôme Chinois (Ching Siu-Tung, 1987) allie
la grâce originelle à un érotisme plus prononcé et une horreur outrancière
et plus tard Green Snake (1993) et The Lovers (1994) amèneront féminisme et
identité sexuelle confuse aux légendes d’origine. Ces rénovations cherchent
tout autant à bousculer la tradition de ces sources dans leur facette
littéraire que dans le souvenir figé de leurs premières adaptations
cinématographique pour le public hongkongais. Le sommet de cette démarche, Tsui
l’atteint avec la saga des Il était une
fois en Chine où il s’empare de la figure de Wong Fei-hung.
Wong Fei-hung est un véritable héros chinois, médecin et
maître d’arts martiaux célèbre pour sa droiture et soif de justice. Les
informations rares tout comme l’absence de photos (celle qui circule étant en
fait une photo d’un de ses fils lui ressemblant) auront contribués à laisser
libre cours à l’imagination et donc du cinéma pour se l’approprier dans les
très nombreuses adaptations lui étant consacrés dès les années 40, quelques
années après sa mort en 1924. L’acteur Kwan Tak Hing fut longtemps l’image la
plus célèbre de Wong Fei-hung, redresseur de tort paternaliste dans plus de
quatre-vingts cinq films de 1949 au début des années 80. Il vampirisera
tellement le « personnage » que les autres tentatives les plus
connues prendront une direction radicalement différente. Loin du père la morale
de Kwan Tak Hing, Gordon Liu dans Le
Combats des maitres (1976), ainsi que Jackie Chan dans Le Maître Chinois (1978) et sa suite tardive Drunken Master 2 (1994) jouent un Wong Fei-hung jeune chien fou
immature et encore en formation. Tsui Hark opère une brillante fusion de toutes
ses incarnations en réinventant le personnage sous les traits de Jet Li. Son Wong
Fei-hung a pour lui la jeunesse et la maturité à la fois, impose une figure
morale, d’autorité et de patriotisme tout en étant finalement toujours en
apprentissage. Le scénario inscrit en fait au cœur des enjeux ce fameux rapport
complexe à la tradition et modernité cher au réalisateur, à la fois pour la
Chine et le symbole que représente Wong Fei-hung.
Le récit se déroule à la fin du 19e siècle qui
voit les colons étrangers investir la Chine, prendre le contrôle de son
commerce maritime et se partager sa péninsule. Le régime cède à leurs exigences
par nécessité économique mais suscite la méfiance de l’armée, Wong Fei-hung
étant en début de film chargé par un officier dissident de former des disciples
en vue de se défendre contre les « étrangers ». Tous les personnages
du film sont ainsi en quête d’identité, qui sera signifiée par le regard
contrasté sur les intrus. Pour Wong Fei-hung c’est la méfiance tant il est
témoin d’injustices au quotidien où il cherche à être un impuissant médiateur
entre les autorités locales soumise, les colons arrogants et le peuple qui
souffre. Cet ailleurs revêt un visage oppressant qui ne pourra être atténué que
par Tante Yee (Rosamund Kwan), amie d’enfance de retour d’Angleterre et
secrètement amoureuse de lui. Ses tentatives d’initier Wong Fei-hung à certains
rites étranger sont sources de comédie et de doux moments romantiques (la
frayeur causée par un appareil photo, les mesures prises pour un costume
occidental) mais surtout de rapport de force tant notre héros ne peut séparer
le bon grain de l’ivraie dans cette culture occidentale.
Tsui Hark évite le
manichéisme, montre des étrangers corrompus (les industriels américains) et
bienveillant avec le prêtre catholique, mais aussi des chinois fascinés et
crédules (les appels à une migration aux Etats-Unis qui dissimule un
esclavagisme larvé) mais aussi d’une xénophobie crasse envers ce qui est
différents. Les pires et les méchants du film seront ceux qui choisiront les
plus viles facilités des deux cultures pour leur réussite, que ce soit une
milice locale racketteuse et pratiquant la traite des blanches ou le pendant
inversé de Wong Fei-hung avec « Habit de fer » (Shi-Kwan Yen) maître
d’art martiaux prêt à souiller son art pour s’enrichir. Dans cette idée, le
personnage le plus intéressant sera Leung Fu (Yuen Biao, complice bien connu de
Jackie Chan), jeune homme indécis ne trouvant pas sa place dans cette Chine
schizophrène, voguant d’un camp et métier à un autre avant d’être pris sous l’aile
de Wong Fei-hung.
Tsui Hark mène de main de maître ce scénario
particulièrement riche dans une veine épique qui fait passer le spectateur par
toutes les émotions. Jet Li est absolument impérial et trouve de loin son
meilleur rôle, à la fois stoïque dans ses convictions et plus vulnérable dans
ses émotions pour une belle alchimie avec la belle Rosamund Kwan. Les combats
virtuose servent de fil conducteur à toute la montée en puissance épique,
passant du trivial (la bagarre générale chez les occidentaux) au véritable
ballet aérien sous la férule du chorégraphe Yuen Woo Ping. S’appuyant sur les
compétences martiales hors-normes de Jet Li, Tsui Hark alterne le jeu sur la
gravité irréel issu de ses wu xia pian (la trilogie Swordsman, sa relecture de L’Auberge du Dragon (1993)) dans son usage des câbles, avec la vélocité surhumaine
des combattants assenant des rafales de coups dans les positions les plus
impossibles.
Le sens du chaos cher au réalisateur (et que l’on retrouvera dans
le furieux The Blade (1995)) s’estompe
pour une mise en scène plus lisible - qui permet de savourer la superbe direction artistique -, le montage aidant à faire passer les
mouvements réellement irréalisable tandis que le découpage virtuose des manos à
manos peut laisser place à des ralentis mettant en valeur la beauté de
certaines passes. Le sommet est atteint avec un stupéfiant combat final où des
échelles servent tout autant de marchepied que d’objet destructeur à Wong
Fei-hung et son redoutable adversaire. L’acceptation de « l’autre »
se fait même dans l’action avec ce moment discutable où Wong Fei-hung daigne
faire l’usage d’une arme à feu. Au final un vrai grand classique du cinéma de
Hong Kong qui remportera un immense succès et fera de Jet Li la nouvelle
incarnation indélébile de Wong Fei Hung pour le public. C’est aussi le premier
jalon d’une saga de six films dont la trilogie initiale toujours signée Tsui
Hark constitue le sommet et prolonge les thématiques de cette brillante entrée
en matière.
Sorti en dvd zone 2 français et bluray chez HK Video
Hello Justin,
RépondreSupprimerPas mon Tsui Hark préféré, mais ça reste formidablement distrayant et mise en scène.
Strum
Salut Strum, d'ailleurs je suis curieux quel est ton Tsui Hark préféré ? S'il fallait choisir ça ne serait pas forcément les plus énervés mais peut être les contes The Lovers et Green Snake. Enfin je suis quand même fan, même quand il se loupe ça reste fascinant.
RépondreSupprimerHello Justin, avec du retard : j'en ai deux, The Lovers effectivement mais aussi Time & Tide pour sa mise en scène assez ébouriffante.
RépondreSupprimerStrum
Sacré morceau Time and Tide un de ses films les plus furieux...
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