Chris Kyle est un
champion de rodéo vivant au Texas. Après les attentats de Nairobi, il décide de
s'engager dans les Forces armées des États-Unis. Il suit alors l'entrainement
des SEAL où il devient un sniper de l'unité. Il rencontre Taya Renae, qui devient
sa femme. Chris est envoyé en Irak. Sa précision et son adresse au tir sauvent
de nombreux soldats américains, qui le surnomment très vite « La Légende ».
Les films vrais bons films produits sur la guerre en Irak
furent à postériori rares, Hollywood y retrouvant certes une conscience
politique mais sans finesse dans sa diatribe anti Bush généralisée pour des œuvres
désormais oubliées – dont un sinistre Redacted
(2007) où De Palma refaisait grossièrement à la sauce YouTube ce qu’il avait
autrement mieux exprimé dans Outrages
(1989). L’intérêt se trouvera dans les films plus ambigus, à la lecture
incertaine allant au-delà de la simple dénonciation pacifiste. On pense
évidemment au brillant Démineurs
(2009) de Kathryn Bigelow qui mêlait une originale et palpitante tension
capturant autant la singularité du conflit à la notion addictive de l’adrénaline
qu’elle générait pour ce corps de l’armée avec le personnage de Jeremy Renner. American Sniper creuse le même sillon
avec un plus grand vertige encore puisque transposant une histoire vraie. Clint
Eastwood adapte en effet les mémoires de Chris Kyle, sniper émérite et héros
national ayant 160 tirs létaux à son « tableau de chasse » durant ses
différentes campagnes. L’ambiguïté du
film relève totalement de celle à laquelle on associe Eastwood entre le contenu
de ses films et ses opinions politiques.
La première partie de la carrière d’Eastwood, acteur comme
réalisateur, dessine une vision faussement binaire du monde. Inspecteur Harry (1971) reprend en
milieu urbain les codes du western et l’imagerie du shérif dont la gâchette
doit éradiquer la menace pour ses concitoyens. La démarche visait plus le
divertissement efficace qu’une vraie vision du monde d’Eastwood et Siegel mais
leur vaudra les foudres de la critique. Le tir est rectifié avec le second Magnum Force (1973) qui clarifiera les
choses (les méchants étant de vrais vigilantes policiers au-dessus des lois)
mais le très efficace quatrième volet Le
Retour de l’Inspecteur Harry (1983) semble de nouveau magnifier le shérif
urbain – avec cette inoubliable image d’Harry iconisé dans l’ombre, Magnum 357
à la main au secours d'une victime innocente. A l’inverse les westerns rendaient progressivement vains ce recours aux
armes et à la vengeance avec le magnifique Josey Wales, hors-la-loi (1976) et surtout Impitoyable
(1991). La dernière période d’Eastwood ne sera alors qu’une dénonciation de la
loi du talion et des bas instincts dont on l’a fait le chantre avec Mystic River (2003) et Gran Torino (2008). American Sniper fait donc renouer Eastwood avec la polémique mais
cela était nécessaire afin d’équilibrer entre le message du réalisateur, la
personnalité controversée du vrai Chris Kyle et la figure de héros national qu’il
s’agit de respecter.
Eastwood définit la nature d’American Hero de Chris Kyle à travers son identité WASP, que ce
soit le culte des armes dès l’enfance, la religion et le patriotisme dans la
vision binaire du monde inculque par son père divisé en prédateur/agresseurs,
victimes et protecteur. Kyle semble dans un premier temps perdu et sans but
jusqu’aux premiers attentats contre les ambassades américaines qui éveillent sa
conscience et sa nature de protecteur. Il va donc s’engager chez les Navy Seals
où ces aptitudes au tir vont en faire un sniper d’élite. La formation rude tissant
les liens du corps des Navy Seals définit ainsi cette fraternité à travers une
imagerie guerrière et virile dont la détermination et volonté de revanche sera
renforcée par les attentats du 11 septembre. Le héros en construction va même
rencontrer la femme idéale (Sienna Miller) avant que la première manifestation
de cet héroïsme sème le trouble chez le spectateur. Dans une séquence d’une
tension extrême, Kyle devra donc abattre une femme et un enfant qui s’apprêtaient
à lancer une grenade sur un convoi américain.
Ce ne sont pas le genre d’images
que convoquent les conflits nobles comme la Deuxième Guerre Mondiale (qui ont
eu certes leur lot de confrontation sanglantes) et contribue à effriter la
nature du héros. Eastwood avec cet acte fondateur procède ainsi à la
déshumanisation progressive de Kyle. La caméra s’attarde longuement sur son
visage troublé et saa réaction épidermique quand un camarade le félicite,
après avoir saisi sa longue hésitation avant le tir. Les cibles suivantes
seront neutralisée avec une froideur grandissante, que ce soit via le montage cut
ou le visage désormais impassible de Kyle. Eastwood adopte le point de vue de ces
soldats américain sur l’Irak dont la population constitue toujours une menace
latente ou un moyen d’accéder à l’ennemi. La désinvolture à l’égard d’une
famille irakienne les ayant renseignés conduira à un châtiment barbare de la
part du Boucher, chef ennemi insaisissable. Face à ce chaos, il s’agit de rester
lucide et de contenir ses émotions jusqu’à perdre son âme que Kyle dissimule
sous une épaisse barbe, des lunettes noires et une casquette. La nervosité et
le masque deviennent peu à peu naturels pour lui et il ne peut s’en départir
de retour à la vie civile, restant un fantôme pour sa famille.
Eastwood exprime l’addiction au champ de bataille de Kyle
par sa gestion de la temporalité. Les missions et les permissions s’alternent,
les camarades tombent ou se retirent, la famille vieillit et/ou s’agrandit,
Kyle revient toujours déterminé pour faire son « devoir » en Irak.
Contrairement à Démineurs où il s’agissait
clairement d’une addiction à l’adrénaline inhérente à ce métier si particulier,
American Sniper semble plutôt
dessiner un patriotisme maladif annoncé avec l’imagerie WASP initiale. Si l’humanité
de Kyle ressurgit vers la fin lorsqu’il aura de nouveau des scrupules à abattre
un enfant, ses regrets ne viendront pas du sort de ses cibles mais des
camarades qu’il n’a pu sauver. L’empathie pour ses frères d’armes tués ou
mutilés émeut autant que son détachement face à ses actes certes héroïques mais
discutables.
Les doutes, Kyle ne les entrevoit qu’à travers son entourage :
un frère plus ouvertement traumatisé en rentrant au pays, un camarade s’interrogeant
sur l’utilité profonde de leur mission et bien sûr son épouse ne comprenant pas son
acharnement à y retourner, encore et encore. La simplification du conflit
(Eastwood s’astreignant de toute la géopolitique locale en mélangeant les rebelles
sunnites et les miliciens chiites) suit ainsi le regard guerrier des soldats ou
« l’autre » est tout simplement l’ennemi, aspect renforcé par une scène
inventée pour le film quand le père de famille irakien qui loge les Navy Seals
s’avérera être un sniper. Eastwood tout en ayant suscité l’empathie par la
prestation de Bradley Cooper endosse ainsi la vision du monde de Kyle qui tint
nombres de propos polémiques par la suite dans les médias et se montra d’un
narcissisme certain dans le récit de ses exploits.
Les zones d’ombres sont donc bien là dans les situations et
attitudes, sans pour autant négliger la nature héroïque du personnage, quelles
que soient ses raisons. Seulement en ne surlignant pas son propos et en
laissant l’ensemble à la libre interprétation du spectateur, Eastwood s’est
autant exposé aux accusations de fascisme que de la réappropriation patriotique
du film, son plus gros succès commercial à ce jour. D’autant qu'Eastwood en
fait un vrai film de guerre haletant auquel il fait endosser une fois de plus
la dimension de western avec le duel à distance (et inventé pour le film) que
se font Kyle et un sniper syrien tout aussi redoutable de précision.
Leurs
confrontations offrent des séquences saisissantes, notamment celle qui conclut
le film en pleine tempête de sable - où blessé et forcé de lâcher son
équipement pour sauver sa vie, Kyle laisse la légende pour redevenir lui-même.
La conclusion du film en faisant passer la machine de guerre inadaptée à la vie
civile au père de famille épanoui puis au mythe lors du générique en forme de
funérailles nationale dessine ainsi toute l’ambiguïté de Chris Kyle dans un
admirable refus de la facilité. Si l’on était simplement venu se faire asséner « la
guerre c’est mal » (a-t-on besoin d'un film pour être renforcé dans son opinion ? Autant poser d'autres questions) comme la plupart des films évoquant le conflit irakien
on repartira déçu mais pour une étude de caractère plus vaste, plus trouble, on sera servi.
Sorti en dvd zone 2 français et bluray chez Warner
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