Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

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samedi 6 août 2016

Plus fort que le diable - Beat the Devil, John Huston (1953)

Quatre escrocs européens (Peterson, «O'Horror», le Major Ross et Ravello) projettent de s'approprier un gisement d'uranium en Afrique. Ils sont associés à un aventurier américain ruiné, Billy Dannreuther, accompagné de sa femme. Dans un port italien où ils attendent leur bateau, ils font connaissance des Chelm, un couple de britanniques qui se prétendent héritiers d'une plantation de café.

Plus fort que le diable se situe dans la carrière de John Huston au moment où sa nature d’aventurier va réellement se refléter dans le choix de ses films. On se souvient en effet que Huston eut plusieurs vies avant sa réussite cinématographique : boxeur, journaliste, engagé dans la cavalerie mexicaine… Après le succès de l’inaugural Le Faucon Maltais (1941), Le Trésor de la Sierra Madre (1948) - situé dans ce Mexique auquel il était très attaché, tout comme Les Insurgés (1949) qu’il signe l’année suivante - sera pour un temps la seule illustration de sa nature bourlingueuse – dans la fiction du moins puisqu’il signa plusieurs documentaire marquants lorsqu’il fut mobilisé durant la Seconde Guerre Mondiale. Au début des années 50 la Chasse aux Sorcières incite cet homme de gauche à l’exil, tout comme les difficultés rencontrées à la MGM avec son dernier film La Charge Victorieuse (1951) qui subit quelques coupes. En allant tourner aux quatre coins du monde, Huston s’assure une relative tranquillité tout en nourrissant son attrait pour l'ailleurs. Cet ailleurs s’illustrera par les genres, les époques et les lieux de ces films suivants avec le Paris impressionniste de Moulin Rouge (1952), l’aventure au propre comme au figuré d’African Queen (1951). Alors qu’on pouvait encore associer Huston à des genres bien marqué – en particulier le polar avec Le Faucon Maltais, Key Largo (1948) et Quand la ville dort (1950) - il gagne à ce moment ses galons de cinéaste inclassable. Plus fort que le diable avec son mélange des genres et ses ruptures ton est totalement représentatif de cette évolution.

Le film est l’adaptation du roman éponyme de James Helvick, duquel Huston incitera son ami Humphrey Bogart à acquérir les droits. Les sentiments à vifs d’un groupe de personnages forcés de cohabiter constituent un postulat familier pour le réalisateur qui va ici l’exploiter de manière décalée. La confection singulière du film sera pour beaucoup dans l’approche étonnante du film. Truman Capote de passage en Italie où il vient de signer le scénario de Station Terminus (Vittorio De Sica, 1953) est recruté par Huston pour écrire quasiment au jour le jour le film. Cette méthode permet de donner de merveilleux contre-emploi aux stars Humphrey Bogart et Jennifer Jones, ainsi que d’exploiter au mieux l’excentricité des seconds rôles que sont Robert Morley, Peter Lorre ou encore Edward Underdown. Comme souvent avec Huston, la thématique de l’échec est moins importante que le chemin, ici fort farfelu, qui y mène. Le destin sera moins la cause de cet échec annoncé que l’anticonformisme des personnages. L’aventurier américain ruiné Billy Dannreuther (Humphrey Bogart) est ainsi forcé de s’acoquiner à un quatuor d’affreux pour l’hypothétique acquisition d’un gisement d’uranium en Afrique. 

Ils doivent partager le bateau qui les y mènera avec le couple formé par les anglais Gwendolen (Jennifer Jones) et Harry Chelm (Edward Underdown) eux aussi en route pour une hasardeuse affaire de plantation de café. La folie douce imprégnant les protagonistes va les mener à leur perte dans chacun de ces projets, avec une identité nationale au cœur de chacun de leurs errements. Billy Dannreuther cynique et désabusé semble prêt à accepter placide tous les désagréments pourvu qu’il puisse se refaire et est défini par ce capitalisme forcené. Harry Chelm par ses attitudes snob symbolise presque une caricature de l’aristocrate anglais exilé, tout en indécrottables habitudes – le fameux usage d’une bouillotte - et regard hautain qui se verront mis à mal par une révélation sur ses origines. 
Enfin les acolytes sans nations sont les plus douteux, dissimulant tous un passé suspects, de l’allemand rebaptisé O’Hara (Peter Lorre) à l’américain adepte des thèses fascistes et nazie Major Jack Ross (Ivor Barnard) et l’imposant Peterson (Robert Morley) s’avèrent les plus dangereux, adeptes du meurtre sournois pour arriver à leur fin. John Huston tire leur nature inquiétante vers le grotesque, la diction glaciale de Peter Lorre paraissant maniérée jusqu’au ridicule tout comme la présence massive de Robert Morley s’avère pataude. La menace risible amorce ainsi déjà l’échec annoncé.

Tout l’intérêt de Huston repose sur les personnages inconsistants et qui se cherchent. Ce sera dans une moindre mesure Gina Lollobrigida, l’italienne rêvant d’un train de vie anglais et surtout Jennifer Jones qui cherche au contraire à le fuir dans les bras d’Humphrey Bogart. Méconnaissable teinte en blonde, Jennifer Jones campe une femme délurée mais remarquablement intelligente (les scènes où elle humilie son époux aux échecs, un sens de la répartie qui sauvera quelques situations) dont les penchants mythomanes mèneront toutes les ambitions à la catastrophe. Hormis La Folle Ingénue (1946) d’Ernst Lubitsch, l’actrice n’avait guère eut l’occasion de se montrer sous un jour aussi fantaisiste – son époux David O’Selznick veillait sans doute moins au grain que sur d’autres tournages - et enchante par sa nature imprévisible.

Humphrey Bogart dépassé et loin de ses emplois de dur à cuire semble tout autant se délecter, Huston amenant justement l’anticonformiste de son film par cet usage inattendu de ses stars. En arrière-plan, les pays traversés, de l’Italie à une contrée arabe inconnue fonctionnent sur cette même théâtralité décalée. Pour quelques jolis paysages, on retiendra surtout cet équipage italien au rythme nonchalant et cet officier arabe que l’on peut soudoyer en lui faisant miroiter une rencontre avec Rita Hayworth. Tout n’est que farce où l’inconséquence de la nature humaine mène au désastre, mais dont le cheminement farfelu aura été source de nombreux rires. Et ironiquement c’est au plus idiot que Huston fait remporter la mise dans ce génial jeu de massacre.


Sorti en dvd zone 2 français et bluray chez Rimini 

 

2 commentaires:

  1. Je viens de découvrir le film. Votre analyse est la plus complète et pertinente. Merci.

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    1. Et bien merci beaucoup Tierno ça fait plaisir ;-)

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