Japon, vers 1785. La jolie
Kaé épouse par procuration Unpei Hanaoka, le fils du fanfaron médecin de
campagne Naomichi et de la belle Otsugi, parti faire des études de médecine à
Kyoto. Elle s'installe donc chez ses beaux-parents où elle est bien accueillie
durant les trois années que dure l'attente du retour du fils. Mais tout change
lorsque le jeune médecin Unpei revient enfin vivre et exercer dans la maison
familiale, une rivalité s'installe entre Otsugi et Kaé, l'épouse de son fils.
Yasuzo Masumura observe à nouveau un récit d’amour fou,
inconditionnel et sacrificiel dans une approche une nouvelle fois étonnante. Le
postulat fait au départ penser que nous allons voir un avatar du Barberousse d’Akira Kurosawa. Le film
évoque en effet le destin d’Hanaoka Seishū, médecin de l’ère Edo resté célèbre
pour ses méthodes révolutionnaire et plus particulièrement la chirurgie puisqu’il
fut le premier au monde à opérer sous anesthésie générale quand il parvint à
extraire une tumeur cancéreuse du sein d’une patiente. Masumura adapte le roman
Kaé ou les deux rivales de Sawako
Ariyoshi, récit biographique et fictionnel entourant d’une veine romanesque les
travaux de longue haleine du docteur Hanaoka pour trouver le bon dosage à sa
formule d’anesthésie.
Tous le récit vise à questionner le rôle de la femme dans l’ombre
du grand homme. On connaît la place de la primauté masculine dans la société
japonaise, encore renforcée ici par l’aura du médecin. Elle surmonte ainsi le
clivage de classe lorsque la jeune Kaé (Ayako Wakao) issue d’une famille de
rang supérieur épouse Hanaoka (Raizō Ichikawa) de milieu plus modeste. Le
mariage se fait par procuration puisque Hanaoka effectue encore ses études à
Kyoto et que c’est sa mère Otsugi (Hideko Takamine) qui a
soigneusement choisie son épouse. Avant même l’apparition d’Hanaoka on ressent
le piédestal sur lequel il trône, toute les ressources du foyer étant dédiées à
lui envoyer de l’argent à Kyoto. L’harmonie simple et l’affection entre la belle-mère
et sa bru se développe ainsi jusqu’au retour d’Hanaoka qui va tout bouleverser.
Les situations soulignent immédiatement la profonde
dévotion/soumission des femmes de la maison pour le médecin, que ce soit ses sœurs
ou sa mère. Masumura relègue Kaé au fond du cadre, en amorce ou même hors-champ
au profit des autres femmes trouvant chacune leur place pour déshabiller, laver
ou nourrir leur homme. Kaé peine à exister face à cet époux qu’elle découvre
et, comble de l’humiliation, c’est Otsugi qui déterminera le soir ou doit être
consommé leur union. C’est d’abord symboliquement que Kaé va s’imposer au
regard de son époux en l’aidant à la cueillette et à la préparation de feuilles
de Datura stramonium, plante toxique qui servira à la formule d’anesthésie.
Masumura montre par touches subtiles Kaé prendre l’ascendant sur Otsugi dans la
vie du foyer et le cœur d’Hanaoka, la frontière étant toujours incertaine entre
bienveillance et mesquinerie dans leurs rapports ambigus. Ainsi un simple
renvoi dans sa famille pour accoucher est une offense pour Kaé qui y voit une
mise à l’écart, et une volonté d’Otsugi de ne pas voir sa bru accouchée par son
médecin d’époux comme elle en eut l’honneur jadis.
Parallèlement à cela on assiste au tâtonnement d’Hanaoka
expérimentant sa formule sur des chats ne revenant pas du sommeil du composant,
ou alors profondément diminués. Cela va créer une atmosphère mortifère renforcée
par les morts tragiques de ses sœurs qu’Hanaoka n’a donc pas encore la faculté
d’opérer. Lorsque le dosage va enfin fonctionner sur les animaux, il s’agira de
l’essayer sur des cobayes humains. La rivalité pousse alors Kaé et Otsugi à se
proposer, dans une thématique typique de Masumura. Les amants de L’Ange rouge (1966) défient la mort en
faisant l’amour sous les bombes, La Femme de Seisaku (1965) retient son homme en le rendant aveugle et bien sûr la
passion et le plaisir du couple de La Bête aveugle (1969) culmine quand ils s’infligent mutuellement la douleur.
Pour Masumura l’amour ne se démontre et ne s’assouvit que par une dimension
sacrificielle, dans un chemin de croix de la souffrance où l’on se sent enfin
exister. Ici il s’agira donc de se défier mutuellement dans l’apnée cotonneuse
de l’anesthésiant, ce sera à celle qui sera restée le plus longtemps dans les
limbes et surtout qui aura contribuée à la formule définitive. Les cadrages et compositions de plan font constamment de celle qui souffre la gagnante, en avant plan tandis que la perdante et en pleine santé n'est qu'une spectatrice à l'écart. Les faux airs de
mélodrame classique dissimulent une morbidité qui se révèle par le vice des
adversaires, faisant une demande cruciale à Hanaoka avant de sombrer (faire de
sa fille l’héritière de l’hôpital pour Kaé, et de même pour Otsugi pour son
fils et frère d’Hanaoka étudiant la médecine). Le duel s’effectue également
dans le malheur, un deuil filial (volontairement anecdotique dans le récit pour
bien signifier son rôle dans la relation des personnages) et une nouvelle
grossesse permettant à Kaé de supplanter sa belle-mère.
La victoire se fait ainsi dans le tribut fait au grand
homme, Kaé y sacrifiant sa vue tandis que la fin d’Otsugi ne sera pas due aux
médicaments mais à l’humiliation d’avoir absorbé un dosage moindre. Le ton
feutré est paradoxal à la profonde tension psychologique du récit. Le propos
est cinglant avec ces femmes contraintes au pire pour satisfaire des hommes
lâches et en quête de reconnaissance. Hanaoka semble dès le départ plus
soucieux d’être le nouveau Hua Tuo (légendaire chirurgien chinois de a dynastie
Han) que de guérir les malades, faisant déjà montre d’une profonde indifférence
dans le carnage infligé à ses cobayes chats. L’accomplissement d’une vie sera
donc d’avoir guidé son homme vers le succès (la fameuse opération étant filmée avec détachement
par Masumura), puis renvoyant à la solitude et l'inutilité une fois ce devoir
réalisé.
Inédit en dvd zone 2 français et seulement sorti en dvd japonais sans sous-titres
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