Une prostituée a été
tuée dans un parc romain. La police interroge toutes les personnes présentes
dans le parc cette nuit-là. Parmi elles, se trouve l’assassin...
Le Bernardo Bertolucci des débuts est incontestablement un
jeune homme sous influence dans ses choix artistiques. Ces influences peuvent
être politiques, esthétiques et/ou thématiques dans ses premiers films où,
talent précoce, il cherche son identité de réalisateur. Les préceptes des
Cahiers du Cinéma et l’empreinte la Nouvelle Vague, ainsi que son appartenance
au Parti Communiste se font ainsi lourdement ressentir dans Prima della rivoluzione (1964) - où la
volonté de se différencier du cinéma italien d’alors témoigne paradoxalement
d’un manque de personnalité. Pour Bernardo Bertolucci la vocation de cinéaste
naît donc de ce contexte et surtout de rencontres, notamment celle d’Henri
Langlois alors qu’il fréquence la Cinémathèque française durant un voyage en
France.
L’autre personnage déterminant sera Pier Paolo Pasolini, ami de son
père (le poète Attilio Bertolucci) et qui l’engage comme assistant sur Accatone (1961), vraie expérience
formatrice pour Bertolucci. Satisfait par cette collaboration, Pasolini confie
le sujet de Les Recrues à Bertolucci
qui doit en écrire le scénario. Le producteur Antonio Cervi souhaitant surfer
sur le succès d’Accatone en achète les droits et impressionné par le script de
Bertolucci lui en confie la réalisation – Pasolini ayant préféré aller mettre
en scène Mamma Roma (1962). Tout juste
âgé de 21 ans, Bernardo Bertolucci signe donc un premier film où plane l’ombre
de Pasolini mais, contrairement à Prima
della rivoluzione, cette influence ne parasite un récit marquée de
l’imagerie pasolinienne. Il saura d’ailleurs par la suite faire de cette
incertitude un élément central du récit avec le héros de Le Conformiste (1970), le tumulte idéologique des protagonistes de 1900 (1975) et le déracinement de
fresques comme Le Dernier Empereur (1987).
L’apport majeur de Bernardo Bertolucci est la beauté
suspendue et la préciosité qu’il amène en opposition à la rudesse de Pasolini
dans la vision d’environnements, contextes et protagonistes similaires. On
pourrait grandement comparer le film à l’interprétation très personnelle que
sut tirer un Mauro Bolognini des scripts de Pasolini qu’il filma, notamment le diptyque
romain Les Garçons/ Ça s'est
passé à Rome (1959,1960). La narration éclatée façon Rashomon sert ainsi différent portraits entourant le drame de la
mort d’une prostituée dans un parc. Différents protagonistes au moment des
faits vont ainsi donner leur point de vue, prétexte à exercice de style
changeant selon la personnalité du narrateur qui joue sur la notion de
répétition et dilatation du temps. Le fil rouge est bien sûr le sort de la
malheureuse prostituée, corps inerte et anonyme en ouverture qui gagne en
présence et identité par fragments. Cadavre désarticulé puis silhouette
lointaine que chaque conteur a du mal à décrire, cette femme n’existe que dans
les flashbacks où on l’observe en journée se préparer méticuleusement à sa
soirée de « travail ». La mélancolie funeste de ce calme avant l’horreur
est magnifiquement capturée par Bertolucci qui introduit une forme d’emphase
feutrée dans le quotidien.
On retrouve de cette grâce de l’anodin dans une forme plus
insouciante avec l’épisode sur ce soldat du sud (Allen Midgette) émerveillé par
la cité romaine et ces jeunes femmes qu’il tente avec maladresse de courtiser.
Le caractère solaire et naïf du personnage est retranscrit dans la mise en
scène où Bertollucci déploie son lyrisme dans le mouvement. Le travelling sert
ainsi à accompagner la tentative de séduction de jeunes travailleuses, puis
fige notre soldat dans une galerie où il s’est réfugié avec d’autre d’une
averse. La pure rêverie surgit alors d’une tranche de vie simple.
La source pasolinienne surgit par le caractère cru de
certaines situations et personnalités le réel transcendé de Bertolucci laisse
place à quelque chose de plus trivial et assez drôle.
Toutes les turpitudes du
maquereau entretenu par sa compagne et les empoignades mémorables vont dans ce
sens même si Bertolucci y amène sa singularité par différents effets de
montages (la bascule des cadres et du temps lors de la dispute avec la
belle-mère). Ces variations de ton se conjuguent ainsi à celles météorologiques
de cette journée alternant langueur estivale et averse. Une même histoire
recèle la candeur de charmantes romances adolescentes pour basculer vers la
délinquance avec garçons cherchant à commettre un vol pour payer à repas à leur
petites amies. La seule beauté du moment à travers l’harmonie des corps, des sentiments
et des lieux permet à Bertolucci de déployer un enchantement où brillent les
mouvements de caméra inspirés (le panoramique sur le Tibre), la photo de Giovanni
Narzisi et la bande-originale de Piero Piccioni.
Le fil rouge criminel laisse planer un réel beaucoup plus
sombre sur ce lyrisme ambiant, et qui se rappelle à nous dans chaque histoire à
des degrés divers. La noirceur s’invite ainsi dans la rêverie lorsque le
meurtre nous est montré sans fard, et l’arrestation du coupable vient
interrompre une scène de bal langoureuse. Bernardo Bertolucci par une approche sensorielle
évite les scories qui alourdiront Prima
della rivoluzione aux velléités intellectuelles mal maîtrisées. Les
expérimentations narratives (toute la fluidité des transitions) de Le Conformiste et ainsi que sa veine
romanesque se déploient pourtant déjà de fort belle manière.
Ressort en salle cette semaine
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