Tullio Hermil (Giancarlo Giannini) est
un homme froid, égoïste et psychotique. Marié, il vit une relation
sulfureuse et tumultueuse avec sa maîtresse, Teresa (Jennifer O'Neill).
Sa femme, Giuliana (Laura Antonelli), est au courant, et supporte en
silence ces affronts perpétuels, jusqu'au jour où elle rencontre un
écrivain à succès. À la suite d'une nuit avec lui, elle se retrouve
enceinte.
Ultime film d'un Visconti affaibli par la maladie,
L'Innocent
témoigne de la douloureuse noirceur des dernières œuvres du maître. Le
romantisme qui portait les plus intenses mélodrames prend ici un tour
morbide, la symphonie visuelle des grandes fresques historique est comme
éteinte. Même dans la tonalité tragique, il y avait chez Visconti
matière à la flamboyance, à la poésie et à une emphase absente ici comme
si tout était fini et joué. Luchino dépeint ici cette aristocratie
italienne du XIXe au centre de nombres de ces films à travers le couple
formé par Tullio et Giulana (Giancarlo Giannini et Laura Antonelli déjà
partenaire dans l'autrement plus léger
Le Sexe fou
de Dino Risi). La relation des époux se désagrège lentement au rythme
des infidélités de plus en plus humiliantes de Tullio.
Celui-ci tombé
fou amoureux de sa maîtresse Teresa (Jennifer O'Neill) ne se cache même
plus de leur communauté ni de Giulana qu'il transforme en confidente des
tourments dans laquelle le plonge sa capricieuse amante. Laura
Antonelli délivre une prestation surprenante en épouse délaissée.
Visconti ne l'affadi pas, ne l'enlaidit pas mais la rend par une
gestuelle figée et un jeu effacé totalement spectatrice et victime
résignée des évènements. La conscience de sa beauté s'est envolée avec
le désir de Tullio pour elle et son comportement offre un mimétisme de
son statut, un joli objet invisible.
L'Innocent est adapté du roman Gabriele D'Annunzio
L'Intrus
et l'auteur dans ses écrits dépeint avec sophistication et préciosité
la luxure de cette aristocratie bien-pensante. Luigi Comencini sans
l'adapter directement mais en s'inspirant de son style avait su tirer un
chef d'œuvre des préceptes d'Annunzio dans
Mon dieu comment suis-je tombé si bas ?
(déjà avec Laura Antonelli) où un couple aristocrate illégitime s'abandonnait à
ses sens. Le même thème est revisité dans le pur drame ici par
Visconti mais en en inversant la trajectoire, le couple supposé décomplexé étant finalement soumis à ces entraves morales. Tullio par sa liberté de mœurs et le peu de cas qu'il semble
faire des sentiments de son épouse obéit donc à une ouverture plutôt
moderne de la vie de couple qui devrait fonctionner aussi pour Giulana
comme il l'affirme hypocritement dans un premier temps.
Pourtant la
tradition possessive reprend ses droits lorsque l'épouse cède à son tour
aux charmes d'un écrivain à succès (Marc Porel). Comme tout personnage
D'Annunzio, Tullio ne raisonne qu'en termes de conquête et voyant sa
femme lui échapper en retombe aussitôt amoureux. Ce renouement offre la
seule vraie scène romantique du film où Visconti dans un somptueux
extérieurs ensoleillé en campagne filme les déambulations amenant le
rapprochement charnel du couple jusqu'à une étreinte passionnée où ils
deviennent ce qu'ils n'ont sans doute jamais réellement été, des amants
complices.
Ce moment trop enflammé sonne faux lorsque tombera la
terrible nouvelle, Giulana est tombé enceinte lors de cette brève
liaison. Visconti peut ainsi dénoncer l'hypocrisie de cette société
plaidant la liberté de pensée et de mœurs à travers la jalousie terre à
terre et maladive de Tullio. La relation entre Giulana et l'écrivain
aura été plus suggérée qu'autre chose par le réalisateur qui lui donne
un tour abstrait renforçant l'ignominie de Tullio voyant dans l'enfant à
naître le rival qu'il a entraperçu (et qu'il n'a pas eu le plaisir de
provoquer en duel) et dans l'amour maternel de Giulana celui qu'elle
porte à son amant. Tout cela fait peser sur le film un climat
terriblement oppressant renforcé par le jeu fiévreux de Giancarlo
Giannini et l'ambiguïté de Laura Antonelli.
Pour Visconti cela se
traduit par une mise en scène étouffante où les extérieurs sont rares,
la reconstitution comme souvent somptueuse de Piero Tosi exploite
rarement les fabuleux décors dans leur largeurs pour privilégier les
gros plans furtifs sur les visages anxieux, les échanges amers dans des
pièces resserrées. Et pourtant sous toute cette noirceur, c'est bien
d'une histoire d'amour dont il est question ici, d'un amour trop
inconstant pour s'épanouir dans la normalité et finalement trop exclusif
pour se satisfaire d'élans libertaires factices.
Conscient de cette
impasse, Tullio, monstrueux et pathétique à la fois y trouvera une
solution radicale. Visconti mourut avant d'avoir mis la dernière main à
son montage quelques mois avant la sortie du film et cela se ressent
parfois par un rythme moins maîtrisé, une montée en puissance moins
solennelle que dans ses meilleurs films mais sans être une conclusion en
apothéose,
L'Innocent est un testament d'une lucidité et d'une noirceur marquante.
Sorti en dvd zone 2 français chez Studio Canal
Extrait
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