Premier film américain de Paul Verhoeven, Robocop est un classique instantané
qui offrira une nouvelle voie au
« Hollandais violent ». Persona non grata aux Pays-Bas suite aux
multiples provocations de ces œuvres (dont un ultime pied de nez magistral
avant son départ avec Le Quatrième Homme),
Verhoeven rencontra l’échec également
avec le tout aussi peu consensuel La
Chair et le Sang, fascinante fresque historique montrant un Moyen Age comme
on l’a rarement vu au cinéma, barbare, paillard et où règne l’obscurantisme
religieux.
Désormais exilé aux Etats-Unis, Verhoeven végète faute d’un
projet intéressant et s’apprête à
balayer d’un revers de la main le script de Robocop
qu’on lui a adressé mais sa propre épouse l’incitera à revoir sa décision. En
effet, sous le pitch de série B poussif (un policier transformé en robot traque
les truands dans la ville) le script de
Michael Miner et Edward Neumeier s’avère bien plus corrosif qu’il n’y
paraît. Verhoeven y trouve la voie qui fera le sel de toute sa période
américaine : offrir un spectacle divertissant et attrayant sous lequel se
dissimule un sous-texte virulent. On aura ainsi parmi les grandes réussites à
venir le All About Eve de Mankiewicz
revisité à l’aune de la vulgarité du monde des strip-teaseuses de Las Vegas
(Showgirls), une quasi parodie de polar
Hitchcockien transcendée par sa virtuosité et ses écarts sexuels (Basic Instinct) et surtout le visionnaire et
incompris Starship Troopers, critique
d’une société totalitaire, manipulé par les médias et fascinée par l’uniforme
anticipant l’Amérique de George W.Bush.
Ici la cible de Verhoeven et de ses scénaristes sera la
société américaine des 80’s, règne du cynisme, du paraître et de de la
consommation où les nouveaux dieux sont les yuppies aux dents longues. La
caricature est poussée à gros trait avec les faux spots de pub outranciers
traversant tout le film, les réunions d’exécutives obséquieux et le cynisme
glacial des nantis (ce n’est qu’un détail
lancé par Ronny Cox alors que l’ED209 vient de massacrer un innocent). L’humanité va surgir de la plus étonnante des
façons dans toute cette ironie sous la cuirasse (conçue par Rob Bottin) de l’imposant Robocop.
Verhoeven use de manière surprenante de la parabole
christique où en reconquérant son humanité, tel un Jésus d’acier Robocop va
racheter les péchés de ce monde corrompu. Les angles de caméra et les postures
de martyrs d’Alex Murphy (Peter Weller) ne trompent pas lors de l’insoutenable
séquence où il se fait massacrer par une horde de malfrats. De même plus lorsque
devenu le cyborg policier Robocop ses collègues se retourneront contre lui
Verhoeven adoptera à nouveau cette imagerie d’iconographie religieuse pour
signifier la dimension sacrificielle du personnage.
Qu’est ce qui définit un être humain ? La chair constituant
son corps ou son âme ? Voilà la question que nous pose Verhoeven et à travers ce Robocop tout d’abord présenté dans toute sa froide technologie. L’imposante
allure du héros (cet aspect lourd et intimidant étant parfaitement raccord avec
le cadre de l’action la cité industrielle de Detroit) est donc magnifiée lors
de sa première sortie sur le tonitruant thème martial de Basil Poledouris où il
décime impitoyablement les truands et obéissant aux desseins de la tentaculaire
multinationale OCP.
Pourtant sous les directives et les programmes, les
souvenirs du passé affluent sous ce casque sans expression à travers les anciens collègues (excellente Nancy Allen) et des geste et habitudes oubliées. C’est donc en
traquant ses anciens meurtriers que Robocop va se construire une identité et
redevenir Alex Murphy, et découvrir que sa mission de justice est viciée dès l’origine
puisque la violence d’en bas trouve sa source dans les profits d’en haut avec
un duo de méchant d’anthologie avec le feu Clarence Boddicker (Kurtwood Smith
terrifiant) et la glace Dick Jones (Ronny Cox carnassier).
Dans cette progression dramatique, Verhoeven ne daigne faire
retirer son casque et laisser voir l’homme sous la machine que dans les
derniers instants du film. C’est à visage découvert, en homme prêt à se défendre que la machine s'estompe pour laisser place à
Murphy faisant face à ses ennemis. Toutes ses thématiques sont insérées avec
une limpidité et efficacité rare dans ce qui n’oublie jamais d’être un grand
spectacle d’action rondement mené. Verhoeven y déploie sa fascination pour une
violence outrancière qui choque encore aujourd’hui dans ses excès (encore plus
gratiné dans le director’s cut du dvd) et l’on n’est pas près d’oublier le
terrible assassinant de Murphy donc, le test de l’ED209 ou ce moment peu
ragoutant ou un méchant se liquéfie après avoir été plongé dans un bain d’acide.
Cet usage est tout à la fois complaisant pour signifier le détachement des
personnages les plus cyniques face à ces écarts et on contraire créer une
empathie douloureuse et extatique vers les plus proche de nous puisque l’on
souffre enfin avec Robocop/Murphy dans les derniers instants et craignons pour
sa vie. Verhoeven a réussi son pari en dévoilant le plus
fragile des hommes sous une carcasse de métal et d’acier (Peter Weller vécu d’ailleurs
un enfer sur le tournage) avec en point d’orgue cette magistrale et parfaite
réplique finale.
-
Nice shooting, son. What's your
name?
-
Murphy.
Grand film qui porte toute les qualités de l’autre chef d’œuvre
SF à venir de Verhoeven, Starship
Troopers. La seule différence étant que l’ironie a triomphé dans ce dernier
pour un Verhoeven désabusé alors que Robocop
malgré ses dérapages porte encore une vraie foi en l’Homme.
Sorti en dvd chez MGM
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