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mardi 23 décembre 2025

La Femme à abattre - The Enforcer, Bretaigne Windust et Raoul Walsh (1951)

 Le gangster qui avait accepté de témoigner contre le chef d'une redoutable organisation criminelle se tue accidentellement. Le procureur Martin Ferguson perd son témoin clé et doit repartir à zéro. Il a peu de temps pour éviter que le suspect ne ressorte libre du tribunal.

La Femme à abattre participe au courant alors en vogue du procedural au sein du film noir, soit la description minutieuse et réaliste des différentes étapes d’une affaire criminelle – de l’enquête sur le terrain aux procédures judiciaire. Le film s’inspire plus spécifiquement des Murder inc, réelle affaire contemporaine ayant révélée une forme de sous-traitance méticuleuse de la mafia dans le registre de l’assassinat en tous genre (témoins gênants, rivaux menaçants). La vraie affaire contribua à plus concrètement faire connaître l’existence du crime organisé au grand public américain, notamment par la médiatisation de son instruction. Elle sera traitée avec réalisme et rigueur dans Crime, société anonyme de Stuart Rosenberg (1960) tandis que La Femme à abattre en tire surtout une inspiration au service d’un suspense à l’efficacité redoutable.

Le récit démarre par ce qui semble mener à la conclusion de l’affaire, avec l’arrivée au poste de police d’un Johnny Rico (Zero Mostel) terrorisé la veille de devoir témoigner contre Albert Mendoza, cerveau de cette entreprise criminelle. La mort accidentelle oblige le procureur Martin Ferguson (Humphrey Bogart) à remonter le fil de l’enquête en urgence, afin de ne pas voir son accusé partir libre le lendemain. Le scénario par sa narration en flashback voit ainsi l’enquête partir de rien, ou presque, à travers les aveux d’un meurtre dont les mobiles sont nébuleux, la victime inconnue et le corps introuvable. 

Cette opacité reflète celle du fonctionnement de cette délégation de l’assassinat, le cloisonnement entre commanditaires, tueurs et victimes constituant un lien impossible à établir dans le cadre d’une enquête traditionnelle. Ce n’est que tardivement que nous comprendront cela, mais en attendant la narration se montre brillante pour nous intriguer à travers un mystère où la mafia est à la fois absente et omniprésente. Une bribe d’information, un nom, un lieu, nous mène d’indices en indices avec tension, urgence et une remarquable inventivité à la fois formelle et narrative notamment par l’enchevêtrement des flashbacks.

Nous ne savons pas exactement qui ou quoi est traqué, mais observons seulement la franche terreur inspirée aux criminels appréhendés quant à la menace latente. C’est particulièrement frappant avec le contraste entre le Rico liquéfié du début de film et celui, glacial et intimidant entrevu dans les flashbacks. Il y a quelque chose préfigurant presque Usual Suspects de Bryan Singer (1995), avec le passage en revue de malfrats endurcis glacés d’effroi par un mal absolu qui les dépasse et qui ne se révèle que progressivement. Le film est un véritable modèle d’efficacité et de densité ne nous perdant jamais en moins d’une heure et demie. On peut y reconnaître le savoir-faire de Raoul Walsh qui, selon les sources, remplaça quelques jours le plus modeste Bretaigne Windust (novice au genre) tombé malade, ou sur le reste de la production car ce dernier ne donnait pas satisfaction. Walsh resta discret sur sa contribution (afin de ne pas bloquer la carrière de Bretagne dont il pensait qu’il s’agissait de son premier film) et maintient donc le bénéfice du doute, même si la suite très modeste de la carrière de Bretagne (qui se tournera vers la télévision) laisse à penser que les théories sont juste.

En tout cas, variété des environnements (huis-clos, joutes nocturnes, le final en traque urbaine), morceaux de bravoure secs et brutaux, limpidité du récit, la maestria walshienne semble se déployer dans toute sa splendeur dans un ensemble captivant. On a le vrai sentiment de découvrir une pépite méconnue du film noir.

Sorti en bluray chez Rimini 

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