Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tous mes visionnages de classiques, coups de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

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lundi 29 décembre 2025

Phase IV - Saul Bass (1974)

 Des fourmis du désert se regroupent subitement pour constituer une intelligence collective et déclarent la guerre aux humains. C'est à deux scientifiques et une fille qu'ils ont sauvé des mandibules des fourmis qu'échoit la mission de les détruire.

Vedette de la publicité pour l’inventivité de ses logos et affiches, Saul Bass accède au monde du cinéma par l’entremise d’Otto Preminger pour lequel il conçoit les génériques mémorables contribuant grandement à la réussite d’œuvre comme L'Homme au bras d'or (1955), Bonjour tristesse (1958), Autopsie d'un meurtre (1959), Exodus (1960), Tempête à Washington (1962) ou Bunny Lake a disparu (1966) Il sera également un partenaire privilégié d’Alfred Hitchcock pour lequel il façonne notamment les génériques de Sueurs froides (1958), La Mort aux trousses (1959) ou encore Psychose (1960). Son rôle sur les films auquel il participe finit par s’étendre, au point de contribuer à la conception visuelle de certaines scènes. Bass s’avère donc avoir clairement des velléités de mise en scène, tout d’abord concrétisée dans plusieurs court-métrages dont Why Man Creates (1968) récompensé de l’Oscar du meilleur court-métrage.

En 1974, il voit la possibilité de passer au long lorsque le studio Paramount le sollicite pour la réalisation de Phase IV. Les studios sont alors à un carrefour critique entre la volonté de s’inscrire dans les innovations du Nouvel Hollywood, et une frilosité les faisant se reposer sur des formules éculées. Phase IV s’inscrit dans cet entre-deux, pensé comme une remise au goût du jour des films de monstres de série B comme Des monstres attaquent la ville de Gordon Douglas (1954), mais au traitement radicalement opposé par un Saul Bass lorgnant sur la rigueur et l’austérité du courant hard-science de la science-fiction des années 70. 

On peut ainsi rapprocher Phase IV de Le Mystère Andromède de Robert Wise (1971), par sa menace invisible, son cadre austère et sa paranoïa ambiante. La principale différence repose sur la dimension mystique installée par Bass, prolongement de ses préoccupations écologiques. La scène d’ouverture voit l’évolution faisant des fourmis une menace pour l’humanité comme une forme de menace cosmique qui troque l’effroi lovecraftien souvent inhérent à ce type de sujet à un cadre scientifique strict qui tentera de l’expliquer et l’affronter sans y parvenir.

Saul Bass oppose les passions humaines divisant les individus, à la logique collective implacable et inéluctable des fourmis. Alors que la défiance et les égos empêchent les scientifiques Hubbs (Nigel Davenport) et Lesko (Michael Murphy) empêche de collaborer sereinement, tandis que l’organisation méthodique des fourmis pave leur avancée. Dans un habile paradoxe, la perte de pied des humains les amène à s’isoler et s’enfermer dans un bunker où leur équipement moderne ne leur sera guère de secours, quand les tribulations sous-terraines des fourmis génèrent le chaos, et déploient des édifices à l’étrangeté fascinante et insaisissable. 

Les très immersives, mystérieuses et inquiétantes séquences dans le monde des fourmis bénéficient du savoir-faire de Ken Middleham, directeur photo qui brilla pour capturer les pérégrinations micros des insectes dans le documentaire The Hellstrom Chronicle (1971) – auquel s’intègrent des séquences en stop-motion.  Bass fait basculer progressivement cette approche hard-science vers le mysticisme, des visions oniriques dans lesquelles il peut laisser pleinement s’exprimer son sens graphique. 

En restant dans ce registre rigoureux dans l’approche mais inexplicable dans le résultat, Bass façonne un indicible impossible à définir, et certainement pas sous la forme des menaces communistes métaphoriques des films de monstres d’antan. Un peu à la manière du 2001 de Stanley Kubrick (pour lequel il conçu le générique de Spartacus), il imagine la fin ou du moins l’évolution de l’humanité telle qu’on la connaît dans une conclusion basculant définitivement dans l’abstraction et les visions hallucinée. Le montage cinéma du film s’avère pessimiste dans cette perspective, tandis que la vraie fin imaginée par Bass (et visible le bonus du bluray) dresse un point de vue plus nuancé. Trop radical, le film sera un échec à sa sortie, mais demeure un objet SF original et envoutant. 


 Sorti en bluray français chez Carlotta

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