Le quotidien d'un groupe d'adolescents homosexuels à Los Angeles, entre ennui, rage, expérimentations sexuelles et peur du sida.
Totally Fucked Up est le film qui inaugure la célèbre trilogie de l’apocalypse de Gregg Araki, pièce maîtresse de son œuvre avec Mysterious Skin (2004). Il s’agit déjà du quatrième long-métrage du réalisateur, dont les précédentes œuvres (Three Bewildered People in the Night (1987), The Long Weekend (O'Despair) (1989) et The Living End (1992)) furent produites et exploitées dans l’économie de moyen du film de fin d’étude et du cinéma indépendant. Totally Fucked up fait donc le pont entre le Araki première manière et celui de la trilogie. Cette transition s’exprime à plusieurs niveaux, le plus évident étant esthétique.
Dans The Doom Generation (1995) et Nowhere (1997), Araki vampirisait la pop culture de son temps en revisitant en mode punk et trash l’esthétique flashy de MTV, ainsi qu’en embauchant les jeunes stars teenage du moment qu’il entraînait dans des dérapages sexuels et langagiers bien loin des fictions proprettes qui les avait révélés. La principale rupture repose néanmoins sur le ton. Le désespoir et le nihilisme exprimé dans The Doom Generation (1995) et Nowhere (1997) s’exprimaient dans la provocation et la rupture de ton surréaliste (la conclusion hallucinée de The Doom Generation en tête) se fondant dans l’imagerie pop. Cet enrobage pop est absent, ou du moins tout juste naissant dans Totally Fucked Up. Le film est l’expression sans artifices de la colère et l’amertume qui agitaient Gregg Araki au début des années 90, période encore baignée d’homophobie et marquée par les ravages de l’épidémie du sida. Ce sont ces peurs qui rongent le groupe d’adolescent au centre du récit. La structure emprunte en partie celle du Masculin Féminin de Jean-Luc Godard (1961), avec les témoignages face caméra des personnages filmés par Steven (Gilbert Luna), l’un d’entre eux étudiant en cinéma. Entre authenticité, posture et distance amusée, le procédé anticipe tout le dispositif de confessionnal qui constituera le pivot de la télé-réalité naissante et qui prendra le pas sur les programmes musicaux de MTV. Dans ces instantanés vidéos, certains revendiquent leur hédonisme comme Tommy (Roko Belic), à l’inverse leur nihilisme adolescent pour Andy (James Duval), leur aspiration à un bonheur familial encore réservé aux hétéros tel les lesbiennes Michele (Susan Behshid) et Patricia (Jenee Gill), où exposent les fragilités de leur couple supposé idéal avec Deric (Lance May) et Steven. Les doutes ou certitudes exprimés face caméra se confronte à la réalité dans le régime d’image plus classique du reste de la narration. Andy entrevoit l’espoir d’une romance sincère avant d’être trahi, Tommy se heurte à l’intolérance de ses parents quand ils découvrent son homosexualité, la tentation de l’infidélité fragilise le couple Deric/Steven… La fragilité de leurs situations intimes se répercute dans un environnement socio-médiatique hostile par le choix d’Araki d’entrecouper le récit d’extraits télévisés de campagne de prévention contre le sida, ou encore de diatribes télévisées homophobes de personnalités politiques conservatrices. Une grande partie du film choisit néanmoins de montrer un quotidien solidaire et joyeux de ce groupe de marginaux, refusant de les réduire à une facette uniforme de victimes. C’est dans ces instants que les prémices du Araki pop se dévoile, dans des compositions de plan capturant le collectif dans son indolence tranquille, par cette bande-son prolongeant leur énergie et caractère rêveur telle cette belle scène d’amour sur le Vapor Trail du groupe shoegaze anglais Ride. L’aspect iconique et fantasmatique de la ville de Los Angeles, prégnant dans les films suivants, se ressent déjà ici lors des déambulations urbaines durant lesquels les logos et enseignes emblématiques dominent l’image au détriment des personnages réduits à des silhouettes ou des voix-off. Cette veine plus brute, née en partie du budget modeste, est une expression à vif d’une émotion que Gregg Araki dévoilera dans un vernis plus chatoyant et explosif dans les volets suivants de la trilogie. Loin d’être un brouillon, Totally Fucked Up une poignante mise à nu où Araki se dévoile sous son jour le plus authentique.Sorti en bluray français chez Capricci






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