Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tous mes visionnages de classiques, coups de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

Pages

jeudi 25 décembre 2025

Le Bon, la Brute et le Truand - Il buono, il brutto, il cattivo, Sergio Leone (1966)

 Pendant la guerre de Sécession, Joe et son complice Tuco rompent leur association de truands pour se lancer à la recherche d'un trésor caché par les Nordistes. Le cruel Sentenza est également en chasse, et chacun possède un indice dont les deux autres ont besoin.

Avec Pour une poignée de dollars (1964) et Et pour quelques dollars de plus (1965), Sergio Leone avait révolutionné le western dans le fond et la forme, ainsi que créé un nouveau filon lucratif pour le cinéma d’exploitation italien. Si des problèmes judiciaires l’avaient privé des gains financiers du premier film, Et pour quelques dollars de plus au succès plus immense encore sera plus confortable et lucratif pour Leone grâce au soutien du producteur Alberto Grimaldi, ainsi que du studio United Artist. Ce dernier réclame tout naturellement un troisième volet à Leone, doté d’une enveloppe budgétaire bien supérieure. Les discussions avec son scénariste Luciano Vincenzoni lui donnent l’idée d’un récit picaresque avec trois pauvres bougres menant une chasse au trésor avec en toile de fond la guerre de Sécession. Leone confie dans un premier temps l’écriture au duo Age-Scarpelli qui a déjà donné dans cette veine avec La Grande guerre de Mario Monicelli. Le résultat bien trop grotesque déplaît au réalisateur qui retravailler le script avec Vincenzoni et Sergio Donati.

Dans Et pour quelques dollars de plus et ensuite avec Il était une fois dans l’Ouest (1968), Leone s’applique à écrire « son » histoire parallèle des Etats-Unis, celle que les westerns classiques américains ne racontent pas. Le Bon, la Brute et le Truand creuse ce sillon en faisant progressivement se rejoindre les quêtes individualistes, l’univers de canailles de ses héros avec le drame de la grande Histoire, l’absurdité de la guerre. La première partie donne dans le pur ludisme dans la caractérisation du duo Blondin (Clint Eastwood) / Tuco (Eli Wallach), le roublard taciturne cynique et le hors-la-loi haut en couleur. Sentenza (Lee Van Cleef), la Brute, est fait d’un autre bois plus inquiétant, menaçant et impitoyable comme le montreront ses assassinats cruels en introduction. 

Il y a une vraie dimension picaresque et relevant de la Commedia dell'arte que Leone cherche à marier au tragique, à la noirceur du conflit que les héros ne font que traverser. La caractérisation des personnages va dans ce sens, ils sont bien plus réduits à des archétypes que dans les films précédents, Leone s’appuyant avant tout sur le charisme de ses interprètes. C’est surtout vrai pour Blondin et Sentenza, ce dont Eastwood a d’ailleurs bien conscience en se faisant voler la vedette et l’affection des spectateurs par Tuco. Eli Wallach incarne par ses mauvais penchants, sa maladresse et son profond instinct de survie toute une humanité outrancière mais à laquelle l’on peut s’identifier et s’attacher.

La dimension archétypale et iconique de cette caractérisation fonctionne par les gimmicks formels (les arrêts sur image intronisant qui est le Bon, la Brute et le Truand parmi les trois larrons) ou sonores d’Ennio Morricone, qui fort de ses travaux dans la pop et la musique expérimentale parvient à composer un thème mémorable, entre onomatopée et cavalcade. Sentenza est l’incarnation du mal absolu (Lee Van Cleef brillant pour s’éloigner de la figure romantique de Et pour quelques dollars de plus) et en est réduit à son qualificatif de Brute, tandis que l’attrait/répulsion entre Blondin et Tuco rend leur qualificatif plus ambivalent, et l’alternance entre leur alliance et trahison plus complexe que la seule quête pécuniaire. On jubile certes quand l’un prend le dessus sur l’autre (notamment les saillies sarcastiques de Blondin qui sont un régal), mais les revirements plus inattendus de chacun rendent leurs interactions plus profondes. 

Leone prend le temps de définir Tuco comme un professionnel implacable sous la bouffonnerie (l’assemblage d’armes chez le marchand, la traque de Blondin) mais le montre dans toute sa vulnérabilité lors de l’altercation avec son frère moine. Blondin assiste discrètement à cette dispute familiale, et l’on sent son regard changer et se faire compatissant envers son acolyte/ennemi mentant sur la nature de cette relation fraternelle. C’est d’ailleurs la manière pour Leone d’humaniser Blondin, toujours en écho à des évènements extérieurs plutôt qu’à une émotion spontanée. Ce sera le cas dans la dernière partie lorsqu’il laisse fumer son cigarillo à un soldat sudiste mourant, quand il déclare laconiquement n’avoir « jamais vu autant de monde crever » lors du massacre de la bataille du pont.

En embrassant pleinement l’Histoire des Etats-Unis, Leone déploie une forme épique et spectaculaire qui conserve néanmoins son style. La guerre s’invite tout d’abord dans les péripéties égoïstes des personnages (le mortier sauvant Blondin de l’exécution par Tuco), puis la dynamique s’inverse en les plongeant dans le conflit. La réalité des traitements peu commodes dans les camps de prisonniers nordistes comme sudiste est observée crûment, et Leone renvoie chacun dos à dos lors d’un rebondissement incluant la couleur des uniformes. L’individualisme certes répréhensibles des personnages repose sur des affects plus compréhensibles et logiques que les massacres qu’ils traversent, la longue séquence du pont et la figure romantique du capitaine désabusé exprimant cela.

Cet équilibre entre le grotesque, le grandiose et le tragique est constant dans la mise en scène de Leone, alternant procédés astucieux et non « nobles » (zooms, gros plans, inserts déroutants), expérimentations déroutantes (la séquences du désert et son esthétique presque psyché porté par la photo de Tonino Delli Colli) et véritable envolées mélancoliques poignantes. Pour la première fois, la musique d’Ennio Morricone a pu être composée en amont et l’on sent que c’est en l’ayant pleinement à l’esprit (voire dans les oreilles puisqu’elle fut par moments diffusée sur le plateau) qu’il réfléchit sa mise en scène – notamment le thème de l’orchestre dans le camp que l’on réentend de façon plus ample durant l’assaut désespéré du pont. 

Cela culmine dans l’extraordinaire séquence du cimetière durant laquelle le thème L'estasi dell'oro accompagne la folle cavalcade de Tuco. Leone élève à son paroxysme la ritualisation du duel, par la théâtralité du cadre, les trois adversaires, l’étirement insensé du temps capturant toute l’anxiété des adversaires, et bien sûr l’incroyable thème Il Triello d’Ennio Morricone. Dernier volet de ce qui fut à postériori qualifié de « trilogie de l’homme sans nom » (le poncho arboré à la fin par Eastwood faisant le pont avec Pour une poignée de dollars), Le Bon, la Brute et le Truand est un des chefs d'oeuvres de Sergio Leone qui allait entraîner le western sur rails tout aussi novateurs avec son projet suivant.

 Sorti en bluray français chez MGM

 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire