Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

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dimanche 27 avril 2025

Meurtre - Murder, Alfred Hitchcock (1930)

John Menier, acteur dramatique de renom, participe en tant que juré à la condamnation pour meurtre d'une jeune actrice (Norah Baring) dont il finit cependant par douter de la culpabilité. Il entreprend alors de conduire sa propre enquête...

Meurtre est la troisième incursion dans le parlant d’Alfred Hitchcock, et s’inscrit dans la seconde phase de sa carrière britannique. Après des débuts au sein du studio Gainsborough dont le cadre modeste favorise sa créativité, Hitchcock intègre la compagnie British International Pictures (B.I.P.), studio britannique bien plus prestigieux et au sein duquel il est cette fois un talent prometteur certes, mais un de plus parmi d’autres. Il y signe d’authentiques réussites comme Le Masque de cuir (1927) et Chantage (1929), et d’autres œuvres où il semble encore se chercher. Meurtre constitue un intéressant entre-deux, poursuivant dans le registre du suspense où il semble trouver ses marques. Adapté du roman Enter Sir John de Clemence Dane, le film dessine grandement l’approche du thriller à venir pour le réalisateur.

Le récit endosse la figure du faux-coupable grandement revisitée par la suite, et détourne celle du whodunit. L’heure n’est pas encore au road-movie échevelé pour l’accusée Diana Baring (Norah Baring), résignée à son sort et dont la culpabilité est établie le temps d’un procès expéditif. La scène d’ouverture pose en effet une réalité qui semble implacable, avec Diana prostrée face au corps inerte de la victime et l’arme du crime à ses pieds. L’équilibre entre humour britannique et gravité se dessine d’ailleurs dans le microcosme social que constitue le jury par lequel l’ignorance ordinaire, l’effet de groupe et le déterminisme social scelle le destin de Diana condamnée à mort pour un crime dont elle n’a aucun souvenir. 
Cette dynamique est illustrée par Hitchcock par un effet de répétition, une sorte de musicalité dans les interactions communes par les cadrages et le montage qui achèvent de convaincre le groupe de voter au plus vite « coupable ». Seul John Menier (Herbert Marshall) grand acteur et assigné au sein du jury, a daigné émettre un doute mais a aussi finalement céder à l’avis commun avant de le regretter.

Une des phrases-clé déterminant son avis moins tranché est l’habitude qu’il a d’inviter la vie pour nourrir son art d’acteur, et le sentiment que cette affaire nécessite la démarche inverse, se servir de son art pour mieux comprendre l’incertitude de la vie. Avant cette tirade, Hitchcock aura illustré cette idée par l’image durant l’enquête policière initiale. Durant une scène où la police interroge les acteurs de la troupe avant leur entrée sur scène, le passage du naturel à leur rôle dessine déjà de manière triviale une certaine dualité, tandis que les vues de la scène depuis les coulisses découpent cette espace en deux pour nourrir une ambiguïté implicite. La résolution obéit d’ailleurs à ce motif avec un meurtrier agissant pour masquer sa mixité/dualité ethnique tout en en affichant une ambivalence sexuelle dans sa caractérisation.

L’enquête n’est pas particulièrement palpitante, mais servie brillamment par ce fond passionnant et un Hitchcock débordant d’invention formelle. Il sait jouer des nouveaux apports du parlant lors de la scène de quasi-épiphanie durant laquelle face à son miroir, la volonté de sauver Diane s’éveille chez John Menier sur fond de Tristan et Yseult de Wagner. Il prolonge aussi la force évocatrice et plus explicite du muet, de manière furtive lorsque le sol de la demeure de Manier s’enfonce sous le pas des acteurs pour faire ressentir le confort du luxe, ou la scène de trapèze finale avec toutes les émotions contradictoires traversant l’esprit du coupable en fondus enchaînés. Sans être un opus majeur, Meurtre est donc une œuvre intéressante qui appose une pierre de plus au grand édifice hitchcockien. 

Sorti en bluray français chez Carlotta 

vendredi 25 avril 2025

Une flic de choc - Zhi fa xian feng, Corey Yuen (1986)

Lors du procès d'un trafiquant de drogue, le témoin principal est abattu et le suspect relâché faute de preuve. Convaincu que la loi doit être appliquée coûte que coûte, le jeune avocat de la défense démissionne et passe à l'action en supprimant le trafiquant. Ce qui n'est pas du goût du chef de la police qui envoie deux inspecteurs pour coincer le justicier hors la loi. Celui-ci est d'autant plus motivé qu'il s'avère être le cerveau du trafique de drogue et le commanditaire du meurtre.

Une Flic de choc est une production mettant en valeur différents aspects du polar martial hongkongais. Il s’inscrit dans une volonté d’asseoir Yuen Biao comme une star d’action hors du giron de ses condisciples Sammo Hung et Jackie Chan. Pour l’américaine Cynthia Rothrock, c’est l’occasion de surfer sur la popularité acquise par sa prestation mémorable dans Le Sensdu devoir 2 (1985) où elle fut révélée par Corey Yuen également réalisateur d’Une Flic de choc. La comédienne venait d’ailleurs de voir s’envoler l’opportunité d’incarner l’antagoniste dans Mister Dynamite (1986) de Jackie Chan, la grave blessure de ce dernier ayant reporté le tournage du film.

Une Flic de choc est un polar assez sommaire dans le déroulé de son récit, mais soulevant quelques thématiques intéressantes dans le contexte de Hong Kong. Le sujet de l’auto-justice est amené par l’existence alternative du procureur incarné par Yuen Biao, en terminant radicalement en coulisse avec les dangereux malfrats que la corruption l’a empêché d’inculper au tribunal. La corruption est à cette période un problème relativement résolu à Hong Kong, au prix de politiques agressives et volontaristes, mais dont le souvenir reste encore vivace pour ceux l’ayant vécu dans les années 60/70. 

Le fait d’imaginer l’ultime recours d’une justice alternative illégale et radicale est donc un argument dramatique efficace, d’autant plus avec un personnage dont le métier détonne des habituels flics que l’on a l’habitude de voir vriller. Yuen Biao se montre très convaincant et va croiser son pendant opposé avec Cynthia Rothrock, policière dure à cuire et croyant encore naïvement à l’application stricte de la loi.

Il est dommage que cette confrontation idéologique n’aille pas assez loin dans les situations proposées et les dialogues, mais cela pose en tout cas une base dramatique plutôt solide. Ce manque de profondeur malgré les possibilités est fort heureusement contrebalancé par un spectacle de très haute volée durant les scènes d’actions. Ces dernières sont conjointement chorégraphiées par Yuen Biao et Corey Yuen, offrant un crescendo impressionnant en termes de combats et cascades. Les cascades les plus périlleuses semblent dévolues à Yuen Biao nous offrant d’authentiques instants kamikazes n’ayant rien à envier à son comparse Jackie Chan (la descente en rappel d’un immeuble, l’esquive de voitures cherchant à le renverser dans un parking, le climax sidérant accroché à un avion dans les airs) tandis que les joutes martiales les plus nerveuses seront l’affaire de Rothrock. 

Le sommet à ce titre survient lors de son duel face à Karen Sheperd (ancienne rivale du temps de leurs compétitions sportives) qui prolonge la tradition des grandes antagonistes féminines étrangères dans le cinéma d’action hongkongais. Usage inventif de l’environnement est des accessoires ordinaires à disposition, bottes secrètes douloureuses et hargne de tous les instants, l’affrontement est un morceau de bravoure époustouflant. La maestria de Cynthia Rothrock, de Yuen Biao (qui la double sur certains mouvements périlleux) et Corey Yuen est à son meilleur et l’étonnante noirceur du récit rend ces moments de plus en plus cathartiques. Melving Wong campe ainsi un méchant délicieusement ignoble et redoutable, et le seul regret du film est de ne jamais voir Cynthia Rothrock et Yuen Biao constituer un vrai team-up pour en venir à bout lors du combat final. 

On peut sans doute soupçonner les agendas et cadences intenables des productions hongkongaises pour nous priver de cela, les deux stars se croisant très peu et vivant leur aventure chacune de leur côté durant le film. Une Flic de choc n’en demeure pas moins un spectacle nerveux et efficace, voire assez nihiliste selon le montage dans lequel on le voit. Le cut hongkongais dispose en effet d’une fin sombre, et le montage international d’un happy-end tourné après la mauvaise réaction du public et ayant nécessité d’expéditifs reshoots – aisément repérables avec la coupe de cheveux différentes de Cynthia Rothrock. 

Sorti en bluray français chez Le Chat qui fume

mardi 22 avril 2025

Akira - Katsuhiro Otomo (1988)


 Neo-Tokyo, an 2019. Détruite trente ans plus tôt par une mystérieuse explosion, la mégalopole japonaise renaît de ses cendres et se prépare à héberger les Jeux Olympiques. Les oubliés de la reconstruction manifestent chaque jour contre le pouvoir en place, tandis que les plus jeunes trouvent refuge dans la drogue et la baston. Parmi eux, Kaneda et Tetsuo, amis d'enfance, et membres d'un gang de jeunes motards. Au coeur des travaux du stade, une section spéciale de l'armée poursuit en grand secret le projet Akira, tandis que les dissidents cherchent à percer le mystère qui se cache derrière ce nom.

En parallèle du succès rencontré par son manga Akira (publié depuis 1982 dans le Weekly Young Magazine, Katsuhiro Otomo avait commencé à faire ses armes dans le monde de l’animation. Il va tout d’abord être sollicité par le réalisateur Rintaro pour être chara-designer sur le film Harmageddon (1983), faire ses premiers pas à la réalisation en signant deux courts segments du film à sketches Robot Carnival (1987), puis briller de nouveau dans le format court avec Stoppez le travail ! excellent troisième sketch du film de SF Manie Manie (1987). Ces expériences le rendent plus réceptif à la possibilité d’une adaptation d’Akira qui lui avait été proposé mais pour laquelle il n’avait pas immédiatement fait montre d’intérêt. 

Dès lors, son exigence et implication pousseront très loin le projet qui par l’ambition et les moyens déployés va révolutionner l’animation japonaise et profondément contribuer à son rayonnement mondial. Le projet va réunir un impressionnant comité de production (comprenant entre autres le fabricant de jouet Bandai, l’éditeur Kōdansha, les studio Toho et TMS) et solliciter les plus grands talents d’alors au sein de la japanimation. Ainsi la TMS va en quelque sorte créer un studio dans le studio (nommé Akira Studio) entièrement consacré au film, et au sein duquel s’intégreront des animateurs externes, notamment ceux du studio Ghibli une fois libéré de leurs obligations sur Mon voisin Totoro (1988). Le budget pharaonique de1,1 milliard de yens est un record pour l’époque, dépassé bien plus tard par Otomo de nouveau sur Steamboy (2004).

La durée de 2h du long-métrage et le fait d’être produit alors que l’œuvre papier est encore inachevée empêche Akira d’avoir totalement l’ampleur thématique, politique et en partie dramatique du manga. De nombreux personnages majeurs sont absent, font de la figuration ou sont revisités (pas toujours pour le meilleur comme Kaori), tandis que la fin est assez différente et correspond davantage au milieu du manga (qui ne connaîtra sa conclusion qu’en 1990). Dès lors Akira en dans son récit ne fait qu’esquisser la profondeur du manga, mais l’endosse pleinement sur le plan formel. Les tourments adolescents, les amitiés tumultueuses, la métaphore de la puberté, tout cela est bien présent dans une fougue juvénile s’exprimant par la fluidité de l’animation. 

La mémorable scène d’ouverture emprunte bien sûr comme le manga à l’imagerie bozoku avec ses courses à moto effrénée dans une urbanité chaotique. Le montage alterné entre ces combats de bande et la répression d’une manifestation exprime un tumulte commun, la révolution sociale et la rébellion adolescente, les angoisses adultes contre l’insouciance de la jeunesse. Les plans iconiques s’enchaînent porté par des idées formelles brillantes (les lignes de fuites entraînées par les phares des motos) et Otomo traduit dans l’énergie du moment la relation amour/haine entre le complexé Tetsuo et le leader naturel et charismatique Kaneda.

La figure d’Akira est davantage symbolique que dans le manga où elle avait une incarnation concrète et mystérieuse. Ici il s’agit avant tout d’un écho signifiant une apocalypse libératrice pour les illuminés, la volonté de maîtrise d’un pouvoir destructeur pour l’armée, et pour tous l’écho d’un ordre nouveau destiné à tout renverser. Otomo en approfondissant certaines situations (l’émeute d’ouverture) parvient par l’image à exprimer les allusions politiques plus explicites du manga, comme les manifestations de la jeunesse militante japonaise des années 60. 

Il capture les angoisses du pays par le prisme de sa propre fascination pour la destruction, le réveil d’Akira, la rage de Tetsuo, étant tout autant synonyme d’un renouveau que d’une fin. Tous les personnages, dans leur insouciance (Kaneda), leur fureur (Tetsuo), leur autoritarisme (le colonel Shikishima), leur fraternité (le trio d’enfant/vieillard télépathe) font montre d’une fuite en avant déterminée et sans retour.

C’est vraiment ce sentiment d’urgence exprimé de manière sensorielle et pulsative (l’hypnotique bande-son de collectif Geinoh Yamashirogumi) qui guide le récit clairement pensé comme une alternative purement formelle du manga. L’ampleur, l’inventivité et l’emphase du climax destructeur transcende les raccourcis narratifs, archétypes et personnages tout juste esquissés pour nous emporter et en définitive susciter une sincère émotion. Otomo sait conférer à ses images de cauchemars (l’illusion terrifiante de Tetsuo, sa mutation, les deux étant de vraies prouesses d’animation), de combats et de désolation une puissance évocatrice exprimant le mélange de nihilisme et de croyance qui le caractérise dans un tout cohérent qui convoque autant le cyberpunk que le body-horror.

Sorti en bluray chez Dybex